L’objectif stratégique pour le bien-être futur de l’Algérie c’est de moraliser et accélérer les réformes.
La majorité des experts donc ceux du Conseil économique et social disait tout le contraire de ce que propose aujourd’hui le gouvernement. Comment peut-elle être crédible? Dans plusieurs contributions datant de plusieurs années, j’ai attiré l’attention du gouvernement sur le fait que le cours des hydrocarbures sera bas et dans la durée.
Les firmes ne sont plus nationales
Tant la politique des subventions généralisées, que la politique industrielle actuelle, conduit l’Algérie droit dans le mur. En panne d’idées, l’Algérie doit éviter de vivre de l’illusion et des schémas du passé, ces slogans dépassés que le moteur du développement «quand le bâtiment va, tout va» ou les industries mécaniques classiques dont celle des voitures en grande partie des montages de très faibles capacités, fortement capitalistiques où l’Algérie supporte tous les surcoûts avec la règle des 49/51%. Sans une réorientation de la politique économique, se fondant sur la bonne gouvernance et la valorisation de la connaissance, l’Algérie risque de se retrouver dans une impasse à l’horizon 2018/2020 avec le risque de l’épuisement des réserves de changes où les opérateurs étrangers, ne pouvant être payés, risquent de nous abandonner à notre propre sort.
C’est que l’émergence d’une économie et d’une société mondialisée produit du développement du capitalisme, processus non encore achevé, et la fin de la guerre froide depuis la désintégration de l’empire soviétique, remettent en cause d’une part la capacité des Etats-nations à faire face à ces bouleversements et d’autre part les institutions internationales héritées de l’après-guerre. Ce n’est plus le temps où la richesse d’une nation s’identifiait aux grandes firmes des nations, les grandes firmes ayant été calquées sur l’organisation militaire et ayant été décrites dans les mêmes termes: chaîne de commandement, classification des emplois, portée du contrôle avec leurs chefs, procédures opératoires et standards pour guider tous les dossiers. Tous les emplois étaient définis à l’avance par des règles et des responsabilités pré-établies. Comme dans la hiérarchie militaire, les organigrammes déterminaient les hiérarchies internes et une grande importance était accordée à la permanence du contrôle, la discipline et l’obéissance.
Cette rigueur était indispensable afin de mettre en oeuvre les plans avec exactitude pour bénéficier des économies d’échelle dans la production de masse et pour assurer un contrôle strict des prix sur le marché. Comme dans le fonctionnement de l’armée, la planification stratégique demandait une décision sur l’endroit où vous voulez aller, un suivi par un plan pour mobiliser les ressources et les troupes pour y arriver. A l’ère mécanique totalement dépassée, la production était guidée par des objectifs pré-établis et les ventes par des quotas déterminés à l’avance.
Les innovations n’étaient pas introduites par petits progrès, mais par des sauts technologiques du fait de la rigidité de l’organisation. Au sommet, de vastes bureaucraties occupaient le rectangle de l’organigramme, au milieu des cadres moyens et en bas les ouvriers.
L’enseignement, du primaire au supérieur en passant par le secondaire, n’était que le reflet de ce processus, les ordres étant transmis par la hiérarchie, les écoles et universités de grandes tailles pour favoriser également les économies d’échelle.
Où va l’Algérie?
Actuellement une nouvelle organisation est en train de s’opérer montrant les limites de l’ancienne organisation avec l’émergence d’une dynamique nouvelle des secteurs afin de s’adapter à la nouvelle configuration mondiale. Nous assistons au passage successif de l’organisation dite tayloriste marquée par une intégration poussée, à l’organisation divisionnelle, puis matricielle qui sont des organisations intermédiaires et enfin à l’organisation récente en réseaux où la firme concentre son management stratégique sur trois segments: la recherche développement (coeur de la valeur ajoutée), le marketing et la communication et sous-traite l’ensemble des autres composants. Et ce avec des organisations de plus en plus oligopolistiques, quelques firmes contrôlant la production, la finance et la commercialisation tissant des réseaux comme une toile d’araignée.
Les firmes ne sont plus nationales, même celles dites petites et moyennes entreprises reliées par des réseaux de sous-traitants. Les firmes prospères sont passées de la production de masse à la production personnalisée (professeur Reich ex-secrétaire d’Etat US).
Ainsi, les grandes firmes n’exportent plus seulement leurs produits mais leur méthode de marketing, leur savoir-faire sous formes d’usines, de points de vente et de publicité. Parallèlement, au fur et à mesure de l’insertion dans la division internationale du travail, la manipulation de symboles dans les domaines juridiques et financiers s’accroît proportionnellement à cette production personnalisée. Indépendamment du classement officiel de l’emploi, la position compétitive réelle dans l’économie mondiale dépend de la fonction que l’on exerce. Au fur et à mesure que les coûts de transport baissent, les produits standards et de l’information qui les concernent, la marge de profit sur la production se rétrécit en raison de l’absence de barrières à l’entrée En ce XXIème siècle, la production standardisée se dirige inéluctablement là où le travail est bien moins cher, le plus accessible et surtout bien formée.
La qualification devient un facteur déterminant. L’éclatement des vieilles bureaucraties industrielles en réseaux mondiaux leur a fait perdre leur pouvoir de négociation expliquant également la crise de l’Etat providence (avec le surendettement des Etats) et de l’ancien modèle social démocrate qui se trouve confronté à la dure réalité de la gestion gouvernementale. Ce qui explique que certains pays du Tiers-Monde qui tirent la locomotive de l’économie mondiale se spécialisent de plus en plus dans ces segments nouveaux, préfigurant l’horizon 2020/2030 de profonds bouleversements géostratégiques dont un nouveau modèle de consommation énergétique reposant sur un Mix énergétique devant éviter l’erreur stratégique de l’actuel ministère de l’Energie algérien de raisonner sur un modèle de consommation libertaire. Il s’ensuivra inévitablement une recomposition du pouvoir économique mondial avec la percée de la Chine, de l’Inde, du Brésil, de la Russie et de certains pays émergents expliquant le passage d’ailleurs du G8 au 20 dans les grandes réunions économiques internationales.
L’époque de l’industrie industrialisante
L’essoufflement actuel de certains pays émergents à travers les nouvelles stratégiques mondiales tant dans le domaine de la sphère réelle que monétaire n’est que le reflet de cette recomposition.
Les emplois dans la production courante tendent à disparaître comme les agents de maîtrise et d’encadrement impliquant une mobilité des travailleurs, la généralisation de l’emploi temporaire, et donc une flexibilité permanente du marché du travail avec des recyclages de formation permanents étant appelés à l’avenir à changer plusieurs fois d’emplois dans notre vie.
Ainsi, apparaissent en force d’autres emplois dont la percée des producteurs de symboles dont la valeur conceptuelle est plus élevée par rapport à la valeur ajoutée tirée des économies d’échelle classiques, remettant en cause les anciennes théories et politiques économiques héritées de l’époque de l’ère mécanique comme l’ancienne politique des industries industrialisantes calquée sur le modèle de l’ancien empire soviétique alors que le XXIème siècle est caractérisé par le dynamisme des grandes firmes mais surtout les PMI/PME consacrant un budget à la recherche-développement, reliées en réseaux à ces grandes firmes.
Les expériences allemandes et japonaises, chacune tenant compte de son anthropologie culturelle, est intéressante à étudier, se fondant sur un partenariat, grandes firmes PME/PME. Avec la prédominance des services qui ont un caractère de plus en plus marchand contribuant à l’accroissement de la valeur ajoutée, la firme se transforme en réseau mondial, et il est impossible de distinguer les individus concernés par leurs activités, qui deviennent un groupe vaste, diffus, répartis dans le monde. Dans ce village mondial, existent des réseaux croisés consommateurs/producteurs. Cela a des incidences sur le futur système d’organisation à tous les niveaux, politique, économique et social.
En conclusion, cette analyse pose la problématique de la Sécurité nationale. Depuis 2012, je mettais en garde le gouvernement à la fois sur l’incohérence de sa politique des subventions, sur l’incohérence de sa politique industrielle et contre une politique cachée d’importation à partir d’usines de montage de voitures et cela s’adresse également à d’autres segments industriels vivant d’inputs importés avec des situations de rente. Deux leçons à retenir pour l’Algérie. Premièrement, le capital argent ne crée pas la richesse, puisque n’étant qu’un moyen. C’est le travail et l’intelligence qui sont la source permanente et durable de la richesse d’une nation. Deuxièmement, la mondialisation est une réalité et le temps ne se rattrape jamais en économie.
Il y a urgence d’une vision stratégique comme moyen d’adaptation à ce monde instable et turbulent, une nation qui n’avance pas recule forcément. Je ne rappellerai jamais assez par ailleurs que le moteur de tout processus de développement réside en la recherche-développement, que le capital argent n’est qu’un moyen et que sans l’intégration de l’économie de la connaissance, aucune politique économique et encore moins industrielle n’a d’avenir, en ce XXIème siècle, face à un monde turbulent et instable où les innovations technologiques sont en perpétuelle évolution.
L’Algérie supporte tous les surcoûts avec la règle des 49/51%.
L’Algérie doit investir tant dans les institutions démocratiques que dans des segments où elle peut avoir des avantages comparatifs: l’agriculture, le tourisme important gisement, les nouvelles technologies et dans des sous-segments de filières industrielles tenant compte des profonds changements technologique. Je suggère depuis 2012 un comité de veille chargé de coordonner la politique d’investissement qui doit synchroniser les liens dialectiques entre les rôles complémentaires de l’Etat et du marché, mettre fin aux distorsions actuelles pouvant entraîner des pertes pour l’Algérie, faute de visibilité et de cohérence stratégique, en dizaines de milliards de dollars.