Dans cet entretien, le ministre de l’Habitat revient sur les récentes Assises nationales de l’urbanisme et donne des détails sur le processus de mise en place des institutions, outils et mesures nécessaires à la refonte de notre urbanisme.
Liberté : Monsieur le ministre, vous venez de clôturer les premières Assises nationales de l’urbanisme. Quel est le diagnostic établi par les experts invités ?
Nourredine Moussa : Les Assises nationales de l’urbanisme sont un jalon, une étape très importante dans un processus de mise en place des institutions, outils et mesures nécessaires à la refonte de notre urbanisme. La prise en main vigoureuse des lacunes que nous traînons depuis des années dans ce domaine ne pouvait pas se faire dans la précipitation. Elle nous a si souvent joué de mauvais tours pour avoir cru que nous pouvions régler un problème immédiatement là où il aurait fallu laisser au temps la part de maturation indispensable. Nous avons donc choisi de construire un processus continu et cohérent pour d’abord nous assurer de mettre en place les structures capables de porter ce projet ambitieux.
Le nouvel organigramme du ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme, adopté en juillet 2008, a doté le secteur d’une direction générale de l’urbanisme et de l’architecture, s’appuyant sur trois directions : urbanisme, développement et planification urbaine et, enfin, architecture. Toutes ces directions sont maintenant installées et se sont mises au travail. Une année a suffi à la Commission nationale et aux Commissions régionales de préparation des Assises, de mener à bien cette mission dont nous les avons chargées. Toutes les structures ont accompli dans une parfaite coordination un travail gigantesque en un temps record.
Nous avions aussi un besoin crucial d’une structure indépendante, publique, I’Agence nationale de l’urbanisme en l’occurrence, capable d’engranger les savoirs et savoir-faire cumulés depuis des lustres sur les pratiques de l’urbanisme et de l’aménagement urbain, en mesure de retrouver toutes ces richesses enfouies et de les mobiliser immédiatement au bénéfice de cette cause nationale. Depuis la disparition de la Cadat, remplacée par le Cneru, qui avait vu le “r” que contient cette abréviation signifier “réalisation” alors qu’il désignait “recherche” à l’origine, et ce qui a découlé de ce changement, paraissant banal mais qui dénote une orientation différente à tout le moins, puis le détachement de ses démembrements régionaux devenus de simples bureaux d’études locaux en urbanisme sous l’appellation générique d’Urba, nous avons perdu le seul instrument que nous possédions, pouvant se charger de la maîtrise d’ouvrages, de la rénovation et de la restructuration urbaines.
L’Agence nationale de l’urbanisme a donc été mise en place afin de regrouper toutes les Urba et le Cneru et de constituer ainsi un maillon fort dans la chaîne de la politique urbaine que nous prônons. Elle aura enfin la tâche d’assister les autorités nationales et locales dans l’élaboration de stratégies de productions urbaines conjoncturelles et prospectives s’appuyant sur toutes les potentialités existantes sur place et à l’échelle nationale pour les utiliser à bon escient.
Les Directions de wilaya chargées de I’urbanisme, dotées déjà d’une mission lourde de puissance publique dans une conjoncture souvent très difficile, ont pallié comme elles ont pu à cette absence depuis au moins un quart de siècle. Elles ont été rarement capables de la dépasser, malgré toute la bonne volonté et Ie travail d’arrache-pied que menaient nos techniciens et responsables locaux, avec l’aide précieuse des autorités locales à cet égard. Je voudrais saisir l’occasion qui m’est offerte ici pour saluer leurs efforts conjugués à l’effet d’arriver à endiguer cette défaillance, nous en mesurons l’ampleur.
Pour parer au plus pressé en matière de réhabilitation et d’aménagement des espaces publics et de voieries et réseaux divers, les sommes énormes investies par l’état dans les opérations d’amélioration urbaine menées depuis l’orée du siècle ont permis de changer le visage de très nombreuses entités urbaines et de faire bénéficier beaucoup de nos concitoyens, immédiatement, des retombées de l’embellie financière et l’éloignement du spectre sécuritaire. Ce n’est jamais suffisant, car dans ce seul volet, pour espérer remettre tous nos lieux de vie à niveau, il faut un programme colossal. Mais les résultats de cette politique sont positifs à plus d’un titre. Vous pouvez en voir les effets dans la quasi totalité de nos petites et moyennes villes.
Les Assises nationales sont venues conforter et appuyer cette démarche. Elles ont regroupé plus de 1 200 personnes. Tous les participants sont restés les deux jours et ont contribué sérieusement, et souvent passionnément, aux débats qui ont animé les travaux des ateliers. Qu’ils soient tous remerciés. Les experts algériens vivant et travaillant aussi bien dans le pays qu’à l’étranger, choisis parmi les meilleurs que nous comptons, chacun dans son domaine, et nous les remercions tous d’avoir répondu à notre invitation et rehaussé de leur présence et de leur éclairage ces Assises, ont grandement permis d’affiner et d’enrichir toutes les recommandations issues de ces Assises, aussi bien régionales que nationales.
Nous avons maintenant un document en notre possession et savons ce que notre société veut comme avenir pour nos agglomérations et nos campagnes, et c’est là un facteur essentiel et inédit dans notre histoire.
En parlant d’urbanisme en Algérie, le mot qui vient juste après, vous en conviendrez, est anarchie. La question est la suivante : comment en sommes-nous arrivés là et à qui la faute ?
L’urbanisme est la somme des savoirs et pratiques qui servent à produire, réglementer et gérer la ville. Il ne peut pas s’y substituer. L’urbanisme trace, prévoit, oriente, offre un cadre approprié aux comportements humains à l’intérieur de ce cadre, mais il peut difficilement en empêcher les dérives. Pour prendre un exemple qui illustre ce que j’essaie de vous dire, nous avons des rues dans nos villes, dotées de trottoirs pour les piétons et de voies carrossables pour les voitures. Si les voitures se mettent à stationner sur les trottoirs, les obstruant totalement, elles obligent ainsi les piétons à marcher sur les voies et perturber la circulation. Que peut faire l’urbanisme pour corriger cette attitude ? A-t-il failli ? Les comportements humains sont essentiels dans la vie de toute ville.
Nous n’avons pas toujours produit l’urbanisme adéquat, adapté aux comportements de notre société. C’est une réalité incontournable et les Assises ont permis de déceler ces déviations et donner des pistes pour les corriger ou, du moins, en atténuer les effets. Mais, nous ferons un bond considérable dans le domaine de l’urbanité lorsque le comportement de chaque citoyen aidera à utiliser convenablement et garder chaque espace public propre et en bon état.
La conjonction de ces deux actions à l’avenir, c’est-à-dire la production ou le réaménagement d’espaces publics, au statut défini et clair, intelligemment conçus et correctement réalisés, et de comportements humains respectant ces espaces publics à tous égards, nous restituerons nos valeurs urbaines. Nous en restons porteurs, même si près d’un siècle et demi de cassure profonde de l’ancienne et un demi-siècle de tentative de constitution d’une culture urbaine nouvelle, intégrant la modernité comme élément premier, nous ont empêchés jusqu’à présent de nous concilier avec une vie urbaine comblée. Dans ce sens, la faiblesse des études en urbanisme nous fait beaucoup de tort et ne permet pas aux investissements consentis de donner des résultats à hauteur de ce que nous dépensons en argent et énergies en général. L’indigence de l’environnement professionnel dans de nombreuses spécialités, où aucune formation n’est plus dispensée et qui tendent à disparaître avec la mise à la retraite des seuls cadres qui continuent de les assurer, porte un coup fatal à ce moment essentiel dans la construction que sont des études fiables. La démarche qualité en est dépendante dans une très large mesure. Elle a aussi un prix et il devrait être en rapport avec les exigences que cette démarche fixe pour rémunérer justement le travail accompli et les compétences engagées pour y parvenir.
Nous péchons, pour notre part, par l’absence d’une maîtrise d’ouvrages, réduite à des fonctions, alors qu’elle est partout ailleurs, aujourd’hui, une somme de compétences avérées, soutenues par d’autres spécialités, comme la programmation, qui viennent l’appuyer dans ses tâches.
Pourquoi en 50 ans l’Algérie n’a pas été en mesure de construire une seule ville digne de ce nom ?
Nous ne sommes pas les inventeurs des cités-dortoirs. On continue d’en produire encore de par le monde et pas seulement chez nous, y compris dans les pays voisins auxquels vous faites allusion. C’est une politique de l’habitat que le monde entier, ou presque, subit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et la généralisation de l’application de la charte d’Athènes. Elle a été dépassée dans bien des pays développés, mais pas tous et pas partout, grâce aux performances combinées de l’architecture et des ingénieries diverses. Elle continue de sévir dans les pays moins avancés, dont, malheureusement, l’Algérie.
Conscients de ce retard, nous avons, depuis quelques années, multiplié les directives pour essayer d’apporter les mutations indispensables et espérer voir nos maîtres d’ouvrages, architectes, entreprises et producteurs de matériaux de construction contribuer à cet élan. Nous y parvenons encore timidement, car c’est tout un appareil de production avec sa lourde machinerie, ses réflexes, ses hommes et ses méthodes qu’il va falloir profondément recycler pour le voir sortir des sentiers battus depuis plus d’un demi-siècle de fabrication de l’habitat collectif. L’ampleur du programme que nous avons à réaliser nous dissuade d’espérer, tout de suite, changer radicalement de mode de production du logement et de l’habitat. Il faut y aller progressivement de façon à être capable d’améliorer notre production sans retarder toute la machine.
Au terme des Assises, vous avez pris des recommandations pour en finir avec l’anarchie urbaine. Mais y a-t-il une volonté politique d’appliquer ces recommandations, quitte à avoir recours à la force publique ?
Son Excellence, Monsieur le président de la République, nous a fait l’immense honneur d’accepter que ces Assises se tiennent sous son haut patronage. Quel argument pouvons-nous donner pour démontrer qu’une volonté politique forte anime tout le pays pour mener à bout ce projet de réforme de notre urbanisme ?
Je disais tout à l’heure que nous n’avons pas attendu pour passer à l’action. Des recommandations émanant des Assises régionales sont déjà mises en application.
Vous avez besoin de dire que ces recommandations ont été pertinentes et s’articulent à plusieurs niveaux. Nous ne pouvions en espérer de meilleures. Déjà, quelques jours à peine après la clôture de ces Assises, nous mettons en place le cadre de suivi des résultats et la mise en forme de leurs prolongements pour les traduire en textes applicables concrètement sur le terrain. Nous n’avons pas de temps à perdre.
Ce débat sur l’urbanisme est une occasion inespérée, grâce aux efforts de tous les médias, et nous tenons à vous remercier pour la couverture que vous en avez tous assurée. Il aide en soi à une plus grande prise de conscience de chaque concitoyen du cadre urbain dans lequel il vit, comment il peut mieux le percevoir et contribuer à en améliorer l’aspect et les usages qu’il doit en faire.
L’urbanisme reste le domaine de la concertation par excellence. Le recours à la force publique, dans ce genre de situation, lorsqu’elle n’est pas préventive mais coercitive, est à chaque fois une preuve d’échec partagé d’un dialogue. Nous tâcherons d’en limiter l’usage, ce qui n’est jamais une preuve de faiblesse mais une mesure de sagesse.
Maintenant force reste à la loi, en tout état de cause, et l’État a mis en place les éléments pour veiller à l’autorité de la loi et en appliquer strictement et sereinement chaque point.
Vous aviez récemment déclaré que les commissions d’attribution des logements sociaux fonctionnent dans la transparence et font preuve d’impartialité. À quoi imputez-vous alors les contestations qui accompagnent systématiquement chaque opération de relogement ?
À chaque fois que vous rencontrez un citoyen qui a besoin, dans l’urgence, d’un logement social pour abriter sa famille, dites-vous qu’il y a des situations encore plus intenables que la sienne. C’est le calvaire que vivent beaucoup de nos concitoyens, face à ce drame du logement, mais aussi le dilemme auquel sont confrontés les membres des commissions d’attribution de ces logements pour arriver à tenir convenablement leur rôle. Il n’y a pas d’autre solution que celle de patienter et d’attendre que son tour arrive. Le programme de construction de logements destinés à la location, faut-il le rappeler encore, est immense et devrait permettre à tous les Algériens demandeurs d’un logement locatif et y ouvrant droit d’en bénéficier, à terme.
Le travail des commissions est effectivement empreint de sérénité et elles travaillent dans la transparence. Ce qui ne veut pas dire qu’elles ne se trompent pas. La loi a prévu un recours pour réexaminer chaque cas, ce qui arrive presqu’à chaque attribution et, presque à chaque fois, des correctifs sont apportés aux listes des bénéficiaires de ces logements. Mais ce qui n’est pas compréhensible, c’est que les contestations s’expriment parfois violemment, avant même que les présumés contestataires n’épuisent leur droit de recours, si toutefois ils peuvent le faire valoir. Le simple examen des attributions montre à quel point nombreuses sont les personnes qui introduisent des recours fondés et sont rétablis dans leur droit.
Le programme de logements locatifs que nous nous attelons à édifier va l’être entièrement au bénéfice de tous ces demandeurs de logements qui y ouvrent droit. Nous leur demandons de nous aider par un comportement digne, patient et citoyen. Laisser les commissions travailler dans la sérénité accélérera la distribution de tous les logements achevés, au bonheur de nombreuses familles et jeunes Algériens.
Nous le leur souhaitons tous.