Cet attentat kamikaze, dont les victimes sont des figures majeures de la hiérarchie sécuritaire, marque incontestablement un tournant dans la situation en Syrie depuis le début de la révolte en mars 2011.
La capitale syrienne à feu et à sang ? Mardi, l’Armée libre syrienne proclamait le début de la bataille de Damas et mercredi matin, un attentat frappait le siège de la Sécurité nationale, alors que de violents combats impliquant des hélicoptères se poursuivaient non loin de ce quartier, cœur du régime de Bachar al-Assad.
Un niveau de violence jamais atteint depuis le début de la révolte en mars 2011 qui accrédite la thèse selon laquelle la chute du régime syrien serait imminente. L’attaque s’est déroulée dans le quartier de Rawda ultra-protégé et symbole de la répression, dans le centre de la capitale. Une opération inédite qui a ciblé des responsables de premier plan à Damas.
Le ministre syrien de la Défense et son beau-frère, Assef Chaouket, l’un des principaux responsables de la sécurité dans le pays, ont été tués et plusieurs officiels blessés. Il s’agit de très hauts responsables à avoir été tué, et ce, à quelques heures d’un vote au Conseil de sécurité de l’ONU sur une résolution menaçant la Syrie de sanctions, auxquelles s’opposent jusqu’ici Moscou et Pékin. La télévision d’État qui ne soufflait pas mot sur le “printemps de Damas” a été contrainte de couvrir l’événement, de faire part du coup de poing téméraire des insurgés qui ont juré de mener la bataille de Damas jusqu’à la victoire. Le ministre de la Défense, le général Daoud Rajha, a été tué dans l’attaque d’une réunion de ministres et responsables de la sécurité. Assef Chaouket, ministre de l’Intérieur et beau-frère du président Al-Assad, est également mort dans l’attentat, a annoncé la chaîne du Hezbollah libanais, Al-Manar. Par ailleurs, des sources sécuritaires ont également affirmé aux rares médias étrangers accrédités dans le pays que parmi les nombreux blessés, se trouve le ministre de l’Intérieur, Mohammad Ibrahim al-Chaâr, évacué à l’hôpital Al-Chami dans la capitale.
La Sécurité nationale est dirigée par le général Hicham Ikhtiar, dont le sort n’a pas été rendu public. Plus de soixante soldats de l’armée régulière ont été tués ces dernières 48 heures à Damas dans les combats avec les rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL), composée de déserteurs et de civils armés, a affirmé l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).
Selon l’observatoire, des milliers d’habitants fuient les quartiers Barzeh, Al-Qaboun et Tishreen encerclés par les chars et les forces du régime qui pilonnent de tous les côtés, appuyées par hélicoptères. Des affrontements entre l’armée régulière et l’ASL se déroulaient parallèlement dans les quartiers de Midane et de Kafar Soussé, dans le sud et l’ouest de Damas, a ajouté l’OSDH. Selon les rares images en provenance de Damas mercredi en fin de matinée, des colonnes de fumée noire étaient visibles à plusieurs endroits au-dessus de la capitale. Cette bataille sera bientôt terminée et la capitale sera “le cimetière des agresseurs” (les insurgés, ndlr), affirmait pour sa part le quotidien Al-Watan, proche du régime ! “C’est l’État et toutes ses institutions qui sont visés. C’est une guerre ouverte contre tous les Syriens”. “Il y a des parties extérieures qui œuvrent pour la destruction de la Syrie”, accusant les États-Unis et “leurs instruments” à l’intérieur, sous-entendu le peuple en révolte.
Quoi qu’il puisse advenir, le régime syrien vit ses derniers moments. Alors que les combats font rage à Damas entre l’armée syrienne et les insurgés, son cercle rapproché, de plus en plus isolé sur la scène nationale et internationale, Bachar al-Assad doit désormais se mettre en avant pour se maintenir au pouvoir. Son entourage est également gagné par le scepticisme ambiant. Son clan rapproché, sa famille, en grande majorité des alaouites, une branche de l’islam chiite minoritaire dans un pays où les trois quarts de la population sont sunnites, doutent maintenant que ses responsables des services de sécurité ont été touchés. Ils ont pris conscience de la gravité de la crise à laquelle le régime est confronté depuis plus d’un an. Même ceux qui ont cru en la bonne étoile de Bachar ont le sentiment qu’il n’est plus en mesure de les protéger, souligne Ayman Abdel Nour, qui fut le conseiller du chef de l’État syrien jusqu’en 2007 et qui a rejoint depuis les rangs de l’opposition. Beaucoup de ses amis proches et de ses conseillers sont, soit partis, soit ils ont pris leurs distances. Au Liban, les pro-Damas ont également tiré la leçon : le prestige et la réputation du régime syrien ont été écornés. L’unité d’élite que dirige en propre Bachar pour gérer la crise au jour le jour vient de prendre un sacré coup en l’assassinat du ministre de la Défense Daoud Rajha et du beau-frère de Bachar par un kamikaze qui a actionné les explosifs dont il avait ceint son corps, les blessures de son chef des services de renseignement Hicham Bekhtyar, chargé de la coordination des services de sécurité, et de son ministre de l’Intérieur. Il ne lui reste que son frère Maher al-Assad, le second homme fort du régime directement impliqué dans les affrontements sur le terrain. Et ce n’est certainement pas le respirateur artificiel russe qui prolongera la vie du régime. Jusqu’à quand Moscou va, en effet, devoir supporter le regard désapprobateur de ses autres partenaires, ne serait-ce qu’au sein du Conseil de sécurité de l’ONU ? Les Russes se sont rendus compte de l’impasse dans laquelle ils se sont piégés avec leur soutien total au pouvoir de Damas. Sinon, pourquoi déploient-ils mille et un subterfuges pour maintenir le contact avec l’opposition.
La préoccupation de Poutine aujourd’hui : tout faire pour ne pas perdre la face ? Sur le plan diplomatique, le vote du Conseil de sécurité d’aujourd’hui sur un projet de résolution déposé par les Européens et les Américains, promet d’être extrêmement laborieux, voire violent. La Russie a dit clairement qu’elle mettrait son veto à ce texte qui menace Damas de sanctions s’il ne renonce pas à utiliser ses armes lourdes contre l’opposition, tout en prolongeant pour 45 jours la mission des observateurs de l’ONU en Syrie (Misnus) qui expire officiellement vendredi. Mais les lignes ont bougé avec la guerre qui a pénétré Damas. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a rencontré mercredi à Pékin le président chinois Hu Jintao.
Rien n’a filtré, mais Pékin a mis en garde en début de semaine Damas contre l’utilisation d’armes lourdes de guerre. Selon des diplomates occidentaux à l’ONU, Russes et Chinois ne parviendront pas non plus à recueillir les 9 voix sur 15 pays membres qui leur permettraient de faire adopter le projet de Poutine prolongeant la Misnus pour trois mois mais ne prévoyant pas de sanctions contre Bachar al-Assad. Si le mandat de la Misnus n’est pas prolongé, les 300 observateurs internationaux devront plier bagage, ce qui marquerait l’échec de la mission Annan. Alors, il ne restera plus que la solution mise en œuvre par l’opposition : la guerre totale. La communauté internationale se chargera alors d’alimenter ouvertement l’opposition syrienne en armes et moyens qu’elle reçoit, par ailleurs, discrètement via l’Arabie Saoudite et le Qatar et que soumet à son contrôle la CIA américaine. Un casus belli pour le Kremlin qui n’a plus les moyens de la guerre froide. C’est de l’histoire révolue.
D. B