Les raisons profondes qui ont été à l’origine d’une récente pénurie de lait en sachets à travers plusieurs régions du pays sont couvertes d’un épais brouillard qui suscite des soupçons liés à un trafic touchant principalement la matière première, la poudre de lait en l’occurrence, subventionné par l’Etat.
Des soupçons qui s’avèrent du reste «très forts» lorsque c’est le ministère du Commerce lui-même qui annonce l’ouverture d’une enquête pour déterminer les «vraies» raisons derrière la perturbation dans la distribution du lait en sachets relevée depuis quelques jours. Plusieurs wilayas du pays, dont Alger et Constantine, ont connu ces derniers jours une grave perturbation dans la distribution du lait pasteurisé en sachet.
«Le ministère va enquêter à partir d’aujourd’hui (mercredi) sur les vraies raisons à l’origine des perturbations dans la distribution de ce produit suite à une polémique entre l’Office national interprofessionnel du lait (ONIL) et les différentes laiteries», a indiqué à l’APS M. Aït Abderrahmane, directeur général de la régulation et de l’organisation des activités au ministère.
Ce dernier laisse entendre que la décision du ministère se réfère à une faiblesse des arguments, souvent contradictoires, qui ont été présentés par les parties concernées pour expliquer ces perturbations, laissant entendre, selon un son de cloche des laiteries, que la rareté du lait en sachet est due au fait que l’ONIL a diminué les quotas habituels de poudre de lait qu’il distribue aux laiteries, mais l’Office affirme que le problème se pose au niveau de la distribution dans ces unités.
«Toutes les laiteries, publiques ou privées, reçoivent leurs quotas normalement sans aucune restriction et cela depuis trois ans. Il n’y a aucun dysfonctionnement », affirme, de son côté, le directeur général de l’ONIL, Fethi Messar.
L’Office a déjà «confirmé les achats de poudre de lait pour six mois, ce qui va permettre d’assurer les approvisionnements jusqu’au ramadhan 2014″, souligne encore ce même responsable non sans préciser qu’il n’y avait aucune raison pour l’ONIL de réduire ses quotas. «Les laiteries reçoivent leurs quotas selon les conventions qu’on a signées et selon le programme de répartition de la poudre de lait arrêté par le comité interministériel créé par le ministère de l’Agriculture», relève-t-il.
En 2013, l’ONIL a importé 136.000 tonnes de poudre de lait soit une hausse de 13.000 tonnes par rapport à 2012, selon une récente déclaration du ministre du Commerce, Mustapha Benbada.
«Réduction» de quotas de poudre de lait ou encore «insuffisance de la quantité de lait cru collectée en 2013» par l’unité de production Numidia (ex-ONALAIT) de Constantine et qui se trouverait à l’origine des perturbations observées ces derniers jours dans la wilaya, comme le soutient le directeur de cette unité publique, Rachid Halimi. Deux raisons avancées pour justifier la pénurie de lait en sachet et qui ne semblent pas trop convaincantes pour les responsables du ministère.
Dans ses explications, le directeur de l’unité de production « Numidia » insiste sur la mauvaise collecte du lait cru, estimant dans ce sens que les objectifs tracés pour l’exercice 2013 en matière de collecte n’ont pas été réalisés (17 millions de litres seulement ont été collectés au lieu des 22 millions prévus), chose qui aurait conduit à la consommation de toute la quantité de poudre de lait (entrant dans la fabrication du lait en sachets) une semaine avant la fin de l’année, provoquant un dysfonctionnement dans la distribution et une perturbation qui ont duré sept jours et dont les effets sont encore ressentis çà et là.
Donc, pour M. Halimi, cette rupture momentanée «n’avait pas pour cause le manque de poudre de lait dont la distribution est assurée régulièrement par l’Office national interprofessionnel du lait», c’est plutôt « la mauvaise collecte du lait cru » provoquée par une diminution du nombre de collecteurs de lait de vache, qui figure parmi les facteurs ayant causé cette situation.
Pourtant, de sources concordantes, on affirme qu’il s’agit d’une crise « artificielle », la poudre de lait ayant été utilisée pour la fabrication des produits dérivés du lait (yaourt et leben) et, de ce fait, le quota a été consommé avant l’heure. La rupture remonte en réalité au mois d’octobre, et qu’ensuite on a dû recourir à prélever sur d’autres quotas de laiteries qui n’ont pas été consommés pour boucler l’année.
Des sources en activité dans le secteur, qui ont tenu à garder l’anonymat, affirment que le recours au « dopage » de la production en surexploitant et en détournant de sa vocation essentielle la matière première, pourrait avoir comme but de gonfler le chiffre d’affaires réalisé et obtenir du fait une prime de « performance » conséquente octroyée aux cadres dirigeants et dont le calcul se fait justement sur la base du résultat atteint.
En tout cas, tous les produits subventionnés font l’objet d’un trafic immonde. S’ils ne passent pas les frontières, on les détourne de leur vocation pour les utiliser dans la fabrication de produits vendus plus cher. Le beurre et l’argent du beurre, l’adage ne trouverait pas meilleur exemple.
Abdelkrim Zerzouri