En ce samedi matin, 23ème jour de Ramadhan, le soleil écrase tout le pays. Que ce soit au nord, à l’ouest ou à l’est, le mercure s’affole pour flirter avec des valeurs inégalées depuis de nombreuses années. A Chlef, véritable ville-étuve, le mercure a culminé jusqu’à 46 degrés Celsius hier, plongeant l’ex-Orléansville dans une profonde léthargie. Que dire alors des villes du sud du pays, où la vie s’est arrêtée depuis la mi-juillet. A Bordj Badji Mokhtar, à l’extrême sud du pays, les «habitants se terrent toute la journée», témoigne un routier, en provenance de la région. Toute l’Algérie va «chauffer» jusqu’après les fêtes de l’Aïd, alertent les services météorologiques.
A l’ouest du pays, à Tiaret par exemple, la chaleur écrase carrément la ville. «Il suffit juste de porter le bras haut pour toucher le soleil », se plaint un homme, visiblement assommé par le jeûne, sous l’oeil miclos de son ami, lui, avec la langue carrément… pendante. Hier, vers la mi-journée, le thermomètre affichait déjà 44° degrés Celsius, et la ville était comme abandonnée par ses habitants.
«Cette année, franchement, le mois sacré de Ramadhan est trop dur à supporter, allez-y savoir si c’est une abstinence imposée par la religion musulmane ou une simple grève de la faim que nous observons, tellement le fossé est trop grand entre le sens spirituel du jeûne et le comportement des gens au quotidien», décoche à la cantonade Ammi Larbi, un octogénaire qui a passé les huit premiers jours du mois saint à l’hôpital pour hypoglycémie aggravée.
Il est vrai que depuis le début du mois de tous les tracas, une ambiance plutôt «lourde» enlace toutes les villes du pays. L’Algérie entière ploie sous une chaleur étouffante selon les services météorologiques. Jusqu’à en faire de ses habitants des «HOINI», renchérit le vieil homme, c’est-à-dire des «hommes immobiles non identifiés».
La canicule ajoutée à la surchauffe des marchés, a mis le moral des Algériens dans les semelles. En ce samedi vingt-troisième jour du jeûne, il est onze heures passées et la ville traîne le pas encore. A Tiaret, seuls quelques rares téméraires, flanqués de paniers et autres sacs en plastique, glissent d’ombre en ombre, à la recherche d’un brin d’ombre.
D’autres, la majorité des personnes âgées, arpentent le marché couvert de la ville, l’allure avachie et le regard presque éteint. Juste en face, à la «place rouge», véritable coeur battant de la ville des Rostémides, seuls les lève-tôt et autres sans «occupations fixes» «tuent» le temps à faire les cent pas, le regard «scotché» sur la noria de vendeurs ambulants qui investissent les lieux.
«Le Ramadhan a tellement perdu de son charme, jusqu’à son sens le plus élémentaire, (spirituellement parlant), que tout le monde se contente de faire comme tout le monde, en attendant les bonnes ripailles de la soirée, sans plus…», commente la langue pâteuse Djillali qui se souvient de ce Ramadhan certes caniculaire des années quatre-vingt mais autrement plus «savoureux tellement l’ambiance et même les gens et les moeurs étaient autres ; je donnerai toute ma solde de retraité mal récompensé pour revivre un Ramadhan comme celui des années soixante- dix», nous dit-il, avec une grosse dose de nostalgie dans la voix.
Soudain, une esclandre éclate juste en face du siège de la banque BNA. Un homme crie à se rompre les cordes vocales. Deux policiers en faction interviennent. Une foule bigarrée s’agglutine autour de la scène.
Un jeune, avec une coupe de cheveux style «punk», sera arrêté sur place pour tentative de «vol à l’arraché» d’un téléphone portable. Retour au marché couvert : un légumier brandit un bout de carton en guise d’éventail. Assis sur un caisson en plastique, il attend la venue d’un client improbable qui ne viendra sans doute pas. Et pour cause… cette année, le fruit du pauvre qu’est la pomme de terre tutoie des cimes pour atteindre les 45 dinars le kilo. Vedettes parmi les vedettes et valant leur pesant d’or, les viandes rouges.
Depuis le début du mois de Ramadhan, rares sont ceux qui ont goûté aux produits carnés. «C’est peut-être parce que les gens ne mangent pas suffisamment de viande qu’ils affichent cette mine de cierge qui brûle mal », trouve le moyen d’ironiser une ménagère, flanqué d’un couffin en osier presque vide.
D’autres légumes, indispensables pour la meïda du f’tour, narguent de leur «sommet» le chaland «essoré» après 23 jours d’hémorragie… du portefeuille. A titre d’exemple, l’ail, le citron, ou même de la salade proposée à 140 dinars le kilo. La carotte joue elle aussi à la star et ne se fait céder qu’à 40 dinars le kilo.
Le navet, d’habitude au ras des pâquerettes, est cédé lui aussi à 40 dinars le kilo. De l’autre côté de la ville, au marché de «Volani», la situation n’en est pas meilleure. Des monticules de déchets en tous genres sont visibles aux quatre coins du marché, au sol boueux.
La folle sarabande des prix règne en maîtresse du logis Mais si la tendance en ces derniers jours du Ramadan est plutôt à la hausse, ce sont les différents marchés de la ville qui connaissent une fréquentation record avec une frénésie d’achat presque jamais égalée.
«Ceux qui pensent que les Algériens sont trop pauvres pour passer un Ramadhan sans le pain ou même sans un morceau de viande n’ont qu’à venir voir de ce côtéci du pays», ironise Khelifa, venu au marché des fruits et légumes le plus fréquenté de la ville pour acheter des abats de volailles à sa femme à son huitième mois de grossesse.
Au marché de «Volani», à quatre heures de la rupture du jeûne, une foule bariolée continue à jouer des coudes… et des nerfs, sur un sol «gorgé» de déchets en tous genres et de… pickpockets surtout. «Boustifaille» mise de côté, à Tiaret, le Ramadhan «cuvée 2012» n’a pas vraiment… bon goût. Et encore que cette litote ne convient pas à tout le monde puisque pour de nombreux Tiarétis, le Ramadan de cette année, comme celui de l’année dernière, a carrément «mauvais goût».
En effet, à part, peut-être, les habituelles «esclandres ramadhanesques» trop nombreuses alors que le mois de tous les tracas tire lentement à sa fin, le Ramadhan dans l’antique Tihert est si insipide que tout le monde a de la peine à «convoquer» son appétit quand «fuse», telle une délivrance, une voix mélodieuse, celle du muezzin autorisant le peuple des jeûneurs à faire dans la bombance…
Au rayon des activités culturelles, tout le monde… est aux abonnés absents. Victime du changement de l’ordre des «basses» priorités, la chose de l’esprit n’est plus courtisée par personne, la preuve que plus personne n’a encore appris à mettre de la culture… dans sa marmite. Comme écrit sur ces mêmes colonnes il y a quelques jours de cela, après la «malbouffe» du soir, les Tiarétis n’ont rien à se mettre sous la dent.
Le premier responsable de la wilaya, qui assistait à une soirée culturelle jeudi dernier, s’est laissé aller à penser que le secteur de la culture dans la wilaya de Tiaret a «besoin d’un grand coup de fouet (…), et qu’il appartenait aux hommes de culture du cru de prendre le relais». Un constat cinglant qui en dit long sur le statut peu flatteur de la chose de l’esprit, reléguée au rang de «cinquième roue du carrosse».
Pour le reste, quoi d’autre à dire à part ces vols en tous genres et de toutes sortes, le commerce à la mode du pain syrien, qui détrône le fameux pain «volcan», variété locale si prisée que tout le monde se l’arrachait, il n’y a pas si longtemps de cela, à 25 dinars pièce. Après le f’tour, si les visages reprennent des couleurs, les veillées ramadhanesques sont chaudes et si longues, trop longues et insipides comme une «chorba b’lech».
Au «silence radio» du côté de l’animation culturelle et artistique répond une ville «dévidée», comme fatiguée de vivre. Même le temps, plus clément le soir, et la bonne couverture sécuritaire de la ville ne semblent pas emballer une giga-cité qui a désappris à vivre… Seuls les cafés sont bondés par des couche-tard qui se shootent au café et autre thé jusqu’à risquer une insomnie chronique… Surtout que «l’estocade» de l’Aïd et ses grands soucis financiers pointe à la porte…
Signe des temps, même les irremplaçables jeux de dominos, rami et autre belotte semblent comme passés de mode au point que toute la ville se met à roupiller d’un sommeil de loir bien avant l’heure du s’hour… En ces autres temps et ces autres moeurs, qui pouvait croire un instant que même le Ramadhan était capable de nous laisser sur une grosse dalle…!
El-Houari Dilmi