Le marché s’écroule, la pomme de terre jetée dans les décharges

Le marché s’écroule, la pomme de terre jetée dans les décharges

La pomme de terre provenant des stocks de l’hiver 2012-2013 est jetée dans les décharges pour libérer les équipements de stockage. Au mieux, elle sert d’aliment de bétail. Effet pervers d’un dispositif mis en place par le gouvernement algérien.

Le prix de la pomme de terre n’a jamais été aussi bas depuis une vingtaine d’années en Algérie. La pomme de terre de saison a frôlé les dix dinars cette semaine sur les marchés de gros, alors que celle issue des stocks de l’hiver ne trouve plus preneur. Elle est jetée dans les décharges ou, au mieux, utilisée comme aliment de bétail, pour vider les chambres froides en vue de stocker la production de mai-juin. En fin de semaine, les prix ont à nouveau chuté, avant un léger rebond, samedi, ont indiqué des opérateurs à Maghreb Emergent. En fin de semaine dernière, les prix étaient en dessous de quinze dinars le kilo, avec une pointe vers le bas à douze dinars. « Si on soustrait les frais de transport, le prix réel est à dix dinars », selon un fellah.

Cette chute des prix est le résultat d’une conjonction de trois éléments. D’abord, la production de l’hiver, abondante, a été en grande partie stockée, les commerçants tablant sur une hausse des prix en période creuse. Mais la production a été si élevée que l’offre est restée abondante, maintenant des prix très bas, y compris pendant la période creuse de mars-avril. Ensuite, l’arrivée sur le marché de la production de saison, fin avril, a détourné les consommateurs de celle stockée en hiver. Celle-ci ne trouve plus preneur, et elle est cédée à des prix si bas qu’elle a fini par tirer la production de saison dans la même direction.

UN MARCHE BOULEVERSE

Troisième facteur qui a aggravé la baisse des prix, le succès du dispositif mis en place par le gouvernement pour stocker la pomme de terre. Des capacités de stockage importantes ont été mises en place, pour garantir la disponibilité du produit en période creuse. Avec les subventions, les propriétaires de chambres froides sont assurés de gagner de l’argent. Y compris quand ils n’arrivent pas écouler leur production.

Ces dernières années, de nouvelles régions ont commencé à produire de la pomme de terre pendant la période traditionnellement creuse, ce qui a bouleversé le marché. Mostaganem, El-Oued, Tiaret produisent à contre-saison, mais les effets de l’arrivée de cette production à des périodes inhabituelles sont encore mal appréhendés par le marché.

Résultat inattendu de cette situation, la pomme de terre stockée en février-mars est déversée dans les décharges publiques dans la région de Aïn-Defla. Même à moins de dix dinars, elle ne trouve plus preneur. Seuls les établissements collectifs (universités, écoles, casernes, restaurants) continuent de la consommer. Fin mai, elle était descendue jusqu’à cinq dinars le kilo sur le marché de gros !

PARADOXES

Les propriétaires de chambres froides, qui veulent stocker la production récoltée en mai-juin, sont contraints de vider les aires de stockage. Ils cèdent gratuitement celle janvier-février, ou la déversent dans le lit du Chéliff, du moment qu’ils sont assurés d’être remboursés. Il leur suffit de présenter les documents nécessaires à l’administration locale.

Cette situation débouche sur de nombreux paradoxes. Initialement destiné à aider les producteurs, le dispositif sert désormais à « subventionner les commerçants et les industriels, mais pas les fellahs », déplore l’un d’eux, qui a vendu sa pomme de terre à seize dinars le kilo. En outre, les mécanismes de régulation mis en place ont garanti la disponibilité du produit en période difficile, mais menacent de ruiner les fellahs. En moyenne, les fellahs arrivent à l’équilibre à partir de vingt dinars au prix de gros.