Le marché est à proximité d’un commissariat,De la poudre au «Quartier chinois» de Bologhine

Le marché est à proximité d’un commissariat,De la poudre au «Quartier chinois» de Bologhine

La commune de Bologhine est en train de monopoliser la vente des drogues au centre-ville de la capitale. La pression policière exercée depuis quelque temps sur les dealers à Bab El Oued et à Oued Koreiche a favorisé la délocalisation de ce commerce. A Bologhine, plus précisément au «quartier chinois», la police, selon les habitants, serait encore «tolérante» à l’égard des jeunes vendeurs. Il est cependant très probable que les policiers soient en train de mener une sérieuse enquête pour frapper fort le réseau.

Les gens continuent de parler de «quartier chinois» pour désigner la rue Mohamed Aouameur, sise dans les environs du siège de l’APC de Bologhine.

Chacun donne sa version au sujet de cette appellation inhabituelle. L’une de ces interprétations veut qu’un groupe de jeunes du quartier se soient donné ce titre pour mieux se distinguer du restant de la population. Ce groupe verserait, d’après la même version, dans la vente et la consommation de la drogue.

Fantaisiste ? Pas si sûr ! Qu’on en juge. La première des choses qui attire l’attention dans le «quartier chinois», ce sont les groupes de jeunes qui occupent la rue Mohamed Aouameur. Des voitures de toutes marques, parfois de luxe, font régulièrement des tournées dans ce quartier. Les automobilistes roulent lentement, s’immobilisent devant un jeune, puis reprennent leur route au bout de quelques secondes d’arrêt.

La scène se répète à l’infini. En fait, les automobilistes y viennent s’approvisionner en drogue. Il paraît qu’on y vend même de la cocaïne et de l’héroïne. Les produits sont emballés dans des sachets en plastique transparent, à même le sol. Cela rappelle à plusieurs égards les marchés informels des fruits et légumes. Le plus étonnant, c’est que ce trafic se fait à quelque deux cents mètres du commissariat de police. Les vendeurs, tout comme les acheteurs, ne se sentent nullement inquiétés par la proximité des locaux des services de sécurité. «La vente débute dès 18h et elle dure toute la nuit. Les quantités de cannabis sont vendues dans des sachets.

Chaque sachet a un prix», témoigne une mère de famille qui habite dans le quartier et qui, à force d’assister malgré elle à ce négoce, a fini par en apprendre quelques secrets.

Ce commerce de la nuit explique pourquoi les dealers se retirent de la rue du quartier durant toute la journée. Ces vendeurs de drogue sont pratiquement tous des jeunes ne dépassant pas la vingtaine. Les habitants les connaissent personnellement, un par un. Leurs activités ne sont un secret pour personne. Ce sont des habitants du quartier et tous les riverains les connaissent. Leur âge varie de 17 à 30 ans.

Ils sont entrés dans ce commerce illégal pour plusieurs raisons notamment le chômage, la déperdition scolaire et les mauvaises fréquentations. «Nos enfants sont innocents.

Il faut voir plutôt les grands trafiquants, ce sont eux les responsables. Ils ont poussé nos enfants à consommer et à vendre de la drogue. Nous les connaissons très bien», confient des parents. «Auparavant nous ne connaissions même pas la drogue. Après, nous sommes devenus des consommateurs. Aujourd’hui, nous sommes devenus des spécialistes capables de reconnaître n’importe quel produit.

Il y a un trafiquant de drogue âgé de 27 ans, connu de tous qui nous ramène de la drogue pour la vendre au détail. Il nous sollicite avec acharnement dans les moments difficiles, quand on a besoin d’argent pour acheter de la drogue», témoigne un jeune. Ce dernier se présente comme une «victime» de ce commerce, mais il est toujours dans le circuit. Il n’a pas pu s’en détacher. Lui-même ne sait pas pourquoi.

Le cercle vicieux

Pour beaucoup de gens, les revendeurs de drogue au détail chercheraient à gagner le maximum d’argent possible qui leur permettrait à terme de se lancer dans d’autres affaires, légales et de s’arracher à la vente de drogue une bonne fois pour toutes. Ce passage paraît être obligé pour une catégorie de chômeurs.

A Bologhine, au «quartier chinois», ce n’est pas le cas. Les petits dealers demeurent toujours dans le circuit des années durant, sans possibilité de changement. La raison ? Ils n’arrivent pas à s’enrichir. «Nous gagnons juste une petite somme qui nous permet d’acheter notre dose.

Ce n’est que le grossiste qui gagne beaucoup. Il gagne entre 35 000 DA et 50 000 DA par jour. La quantité de drogue écoulée par jour avoisine les 4 kilos», ajoute-t-on.

Le prix du cannabis dans ce quartier varie entre 500 et 5000 DA la dose moyenne. Les prix des injections de cocaïne et héroïne sont très élevées. Ils arrivent jusqu’à 25 000 DA. Ce tarif est fixé par rapport au nombre de piqûres injectées par le client.

«La plupart des clients préfèrent les injections. Les paiements se font après les injections», explique un vendeur. Le «quartier chinois» est fréquenté par des clients de différentes catégories. On trouve des riches, des personnes de conditions sociales modestes et mêmes des pauvres.

Ces derniers font n’importe quoi pour avoir de l’argent afin d’acheter la dose. «Dans le cas où nous ne trouvons pas d’argent, nous formons des groupes et nous agressons les gens dans les ruelles et les délestons de leurs biens, surtout les portables, en utilisant des armes blanches.

Nous volons les postes radios des voitures, l’argent qui se trouve dedans. Nous nous introduisons aussi dans les maisons, à la recherche d’objets susceptibles d’être revendus dans les marchés informels», reconnaît un consommateur qui cherche à se donner bonne conscience.

Il rejette toutefois la balle aux grands trafiquants qu’il tient pour responsables de tous ces agissements qui font souffrir les paisibles familles du quartier et des environs.

«Ce sont eux qui nous poussent à voler. La première prise de drogue est gratuite. Une fois que nous sommes habitués, ils commencent à nous demander de l’argent, sachant que nous ne pouvons plus nous en priver», argue-t-il. Nous avons assisté à des scènes de vente et d’injections de drogues. Nous avons également été témoins de bagarres opposant les vendeurs aux acheteurs qui se sont soldées par de graves blessures à l’arme blanche, dans les deux camps.

Silence de la police

Les habitants sont convaincus que «ce phénomène a pris de l’ampleur à cause du silence de la police. Ils sont parfaitement au courant de cette situation, mais ils laissent faire». Pourquoi ? En entendant cette question, un officier de police du commissariat de Bologhine s’inquiète : «D’où vous avez ramené toutes ces informations ? Vous habitez dans le quartier ?

Je ne peux rien vous dire !». La prolifération de la vente de la drogue conjuguée au silence de la police suscite la colère des familles. Elles sont légitimement inquiètes du devenir de leurs enfants, déjà dealers ou en voie de l’être. «La police n’a rien fait pour arrêter ces trafiquants, bien qu’ils les connaissent. Cela fait trois ans que cette drogue est entrée dans notre quartier. La police est au courant de tout ce qui se passe ici.

Il y a même des policiers qui viennent pour acheter de la drogue dans notre quartier. C’est honteux !», accuse-t-on. Tout en rejetant cette situation qui risque de leur attirer des problèmes autrement plus graves, les habitants n’ont initié aucune action commune pour contenir le phénomène avant de s’en débarrasser. Pour le moment, ils se contentent de se présenter au commissariat pour réclamation.

D’autres résidents s’emploient à envoyer des lettres anonymes aux dealers, les menaçant de mettre la police au courant de leurs activités s’ils n’arrêtent pas la vente immédiatement.

Ces menaces sont superbement ignorées. Entretemps, les vendeurs se font une réputation et entretiennent une clientèle de plus en plus fidèle. Depuis quelque temps déjà, le nom de «quartier chinois» circule dans les communes voisines comme Raïs Hamidou, Bab El Oued et Hammamet.

«Cela fait presque deux ans que la vente ne se faisait plus dans des différents quartiers de notre commune car l’endroit a été bien nettoyé par la police. Malheureusement, ce n’est pas encore le cas pour le «quartier chinois» où on peut trouver n’importe quelle drogue. Les consommateurs de drogue de nos quartiers se déplacent à Bologhine», confie un habitant des Trois Horloges de Bab El Oued.

T. A.