le marché des articles scolaires avoisine les 25 milliards de dinars,Les «bonnes affaires» de la rentrée scolaire

le marché des articles scolaires avoisine les 25 milliards de dinars,Les «bonnes affaires» de la rentrée scolaire

Le marché des articles scolaires avoisine les 25 milliards de dinars à la rentrée des classes.

Plus de 8 millions d’élèves en 2010-2011, c’est une aubaine pour les sociétés d’importation, transformateurs de papier, de plastique, imprimeurs, articles de maroquenerie, textiles, etc.

Il m’arrive parfois de ne plus savoir qui consoler en premier. L’enfant qui, sirène hurlante, franchit pour la première fois le seuil de l’école ou ses parents incapables de refouler les chaudes larmes.»

Voilà plusieurs années que Attika, directrice d’une école primaire du vieux quartier de Belouizdad (ex-Belcourt), observe, avec un air amusé, le même spectacle tragi-comique qui se joue, chaque année, au premier jour de la rentrée des classes, dans la cour de son école.

Avec ses émotions fortes et garanties, ses us et coutumes consacrées, ses nouvelles tendances, sa fièvre consumériste, la rentrée scolaire est de ces événements majeurs de l’année. Et pas seulement pour les parents d’élèves qui trouvent mille satisfactions à «tenir la main de leur enfant pour lui faire faire ses premiers pas sur le chemin de l’école»

La «rentrée» avec ses bonnes affaires scolaires est aussi un rendez-vous économique et commercial de premier ordre.

Dopé par une demande intérieure en constante augmentation (8 176 700 élèves pour la rentrée 2010/2011), le marché des fournitures scolaires fait les beaux jours des sociétés d’importation, des transformateurs de papier, de plastique, des imprimeurs de livres et manuels scolaires, des fabricants locaux d’articles scolaires, de fournitures de bureau, d’articles de maroquinerie, du textile, etc.

Une vraie poule aux œufs d’or, une machine à cash sur laquelle veillent également les petits et gros distributeurs, les libraires, les vendeurs à la sauvette d’articles scolaires.

Mardi, 7 septembre, troisième jour d’une rentrée scolaire placée sous le signe du renchérissement de certains articles, comme le cahier dont le prix a carrément doublé par rapport à l’année 2009.

Après un début de semaine difficile, les affaires reprennent timidement dans les quartiers commerçants d’Alger. Ses places publiques, ses trottoirs, squattés par les revendeurs d’articles scolaires, respirent la Foire de Canton ou de Shanghai d’où s’approvisionnent de nombreux importateurs locaux. Des tonnes d’articles scolaires déversées sur les étals des revendeurs de la place Port Saïd, de la place des Martyrs, de la rue Mohamed Belouizdad.

Les anciens papetiers de la rue de la Lyre, de l’Opéra, des voûtes, de la Pêcherie…de la rampe Salah Gharbi (ex-Chassériau) ne font plus recette. Beaucoup ont déjà baissé rideau, d’autres en instance.

A la rue Bouchenafa (ex-Rigodit), sur les quatre papetiers existant du temps du monopole de la SNED (Société nationale d’édition et de diffusion) et l’ENAL, dissoutes, un seul se maintient grâce aux ressources décidément inépuisables de ses stocks ! Pour s’approvisionner, les revendeurs préfèrent les marchés de gros d’El Harrach (D 15), de Sétif, d’El Eulma, les grossistes d’El Hamiz où il ne fait pas bon parler facture.

La facture, salée, c’est celle- à justement que s’apprête à payer Salaheddine pour équiper ses enfants et dont le dernier, une fille, entre en préparatoire. «3500 DA Monsieur !», lui lance la caissière du magasin Techno, rue Didouche Mourad.

Cadre moyen au sein d’une entreprise privée, Salaheddine ne se laisse pas démonter et fait mine de ne pas trop prêter attention aux prix élevés des fournitures. «Des produits haut de gamme d’accord, mais 3500 DA… quand même… ce n’est qu’une élève en préscolaire.»

Il doit encore acheter deux autres trousseaux pour ses deux autres potaches, les livres scolaires à raison de 220 DA l’un, les tabliers Benbouzid (rose et bleu), de nouveaux sacs à dos, etc.

La liste des fournitures exigées par le ministère de l’Education s’allonge, celle des dépenses des parents aussi. 11 kg : c’est le poids moyen du sac à dos que doivent trimbaler les 8 millions d’élèves de la rentrée 2010-2011.

Lors d’une conférence de presse animée la semaine dernière, Amar Yahia, le président de l’Union des parents d’élèves de la wilaya d’Alger, a dénoncé la surcharge injustifiée des cartables et prévient des risques qu’elle fait peser sur la santé des élèves : scoliose, déformation de la colonne vertébrale, etc.

Chère…trop chère la rentrée !

Mais qu’importe : business is business ! Le marché des fournitures scolaires brasse à la rentrée des sommes vertigineuses. Entre 16 et 25 milliards de dinars, selon le président de l’Association des fabricants algériens des articles scolaires.

Aomar Madani, patron de l’entreprise Stilina, se base sur un «calcul sommaire». Huit millions d’élèves équipés avec autant de trousseaux scolaires de moyenne gamme, à raison de 2000 DA minimum l’unité, fait ressortir une cagnotte de 16 milliards de dinars.

Les ventes réalisées durant l’année peuvent atteindre, d’après lui, les 10 milliards de dinars, sans compter, précise Madani, les fournitures de bureau, non négligeables pour plus de 3 millions de fonctionnaires et auxquels s’ajoutent les fournitures destinées aux groupes et entreprises privées, dont la consommation de ce type d’articles est importante, les établissements scolaires, universitaires, la formation professionnelle etc.

Premiers à se servir, à téter la louve, les importateurs et transformateurs de papier brut (producteurs de cahiers, rames de papier…), ainsi que plusieurs centaines de sociétés d’importation et de distribution d’articles scolaires, fournitures de bureau qui se taillent la part du lion. Ces sociétés réalisent à la rentrée près de 40% de leur chiffre d’affaires annuel.

La course aux gros profits, de mise dans le microcosme des importateurs de l’article scolaire, s’accommode des mêmes pratiques frauduleuses que celles qui rongent le secteur du commerce extérieur. Fausses déclarations douanières, faux certificats d’origine, certificats (douteux) de conformité et de contrôle de la qualité délivrés par des laboratoires étrangers, corruption des agents de l’Etat, contrefaçon.

Les gros bonnets de l’importation ne sont jamais en retard d’une combine. La dernière en date consiste, selon un connaisseur du milieu, à importer dans le cadre de la Zone arabe de libre-échange (ZALE) des produits chinois avec un certificat d’origine égyptien.

Des plateformes commerciales arabes, Dubaï, Amman, le Caire, d’où sont transbordées vers l’Algérie les marchandises importées de Chine, offrent l’avantage de l’exonération des droits des douanes. La liste négative de la ZALE (1644 produits) des produits non concernés par l’exonération des taxes reste étrangement muette sur ce genre de marchandise.

Dans le milieu sulfureux de l’importation, chasse gardée des barons du régime où la pratique mafieuse des prête-noms est devenue la règle et non l’exception, il est difficile de deviner qui se cache derrière les étiquettes collées au produit et qui ne dévoilent ni les noms anodins des sociétés importatrices ni les adresses données, souvent de simples boîtes postales.

La chasse gardée des importateurs

Deux grandes sociétés d’importation et de distribution d’articles scolaires dominent actuellement le marché. Il s’agit de la très discrète Vertex, marque fétiche de la Sarl El Acil, propriété d’un Jordano-Palestinien, et de Techno Stationery et sa chaîne de magasins branchés et aux rayons achalandés de marques européennes.

A la différence de beaucoup d’importateurs, ces deux grosses «boîtes» se singularisent par la création de leurs «propres» marques protégées, d’ailleurs, par les droits de propriété intellectuelle. «Nous n’avons pas que des fournisseurs en Chine, fait observer un des patrons de Vertex, nous avons des partenaires avec qui nous travaillons depuis très longtemps et avec qui nous sous- traitons la production de nos modèles.»

En définitive, seul le design des boîtes d’emballage est fait «maison», les produits, eux, ont été fabriqués exclusivement dans les usines chinoises. Ces sociétés ne développent pas leurs propres modèles, elles jettent leur dévolu sur de vieux concepts produits tombés dans le domaine public.

Des produits «vraiment de qualité», rassure Slimane Aoues, directeur commercial de la Sarl El Acil. Slimane réfute l’idée répandue selon laquelle les produits chinois seraient de «piètre qualité».

«Tout ce qui vient de Chine dit-il, n’est pas mauvais. Pour deux raisons. D’abord, je peux vous affirmer que sur certains produits, la certification Rhos Chine est beaucoup plus rigoureuse que la certification Rhos Union européenne (Rhos : certification volontaire des systèmes de management des entreprises maîtrisant les substances dangereuses).

Ces produits chinois sont d’ailleurs plus chers que les produits européens. Ensuite, nos produits subissent en réalité un contrôle en deux étapes. Celui d’un organisme de contrôle et de certification internationale, c’est le cabinet genévois SGS pour ce qui nous concerne, et celui d’un laboratoire chinois agréé, spécialisé dans le contrôle de la qualité.»

Vertex, c’est une gamme de plus de 1500 articles, fournitures de bureau et consommables informatiques compris. Des produits de «grande qualité» vendus au prix de la moyenne gamme dans plus de 36 wilayas du pays. 50 à 150% plus chers que les produits proposés par les importateurs d’El Eulma ; 150 à 200% moins chers que Techno.

Conquérant, visible, le concept Techno et ses magasins très tendance bénéficient d’une large promotion à travers les chaînes radio et la presse nationale. Fondé en 1997 par un architecte mozabite, ancien grossiste spécialisé dans les produits de papeterie, TMS possède son propre réseau de distribution, une dizaine de surfaces commerciales en libre service installées sur les boulevards commerçants de la capitale et des grandes villes d’Algérie (Constantine, Oran, Ghardaïa). 150 nouveaux magasins franchisés Techno devront voir le jour à partir de janvier prochain.

TMS développe sa propre marque, Techno, label déposé à l’Inapi, et commercialise en exclusivité les produits de grandes marques de renommée internationale comme Maped, la marque française.

Il est également le représentant exclusif en Algérie des marques Fabs, Flamingo, Comix, Exine, Exacompta, Senior, Ark, Bic, Canson, Newboy. Une «succès story» dont est fier Jaber Baâmara, le secrétaire général du groupe. Revers du succès et signe qui ne trompe pas sur la qualité «supérieure» des produits TMS, affirme le manager, certains articles Maped (plus de 50% de la collection de Maped France sont fabriqués en Chine), comme la boîte de crayons de couleur, sont «copiés», «contrefaits».

Plus d’un tiers des produits commercialisés sous cette marque à l’est du pays provient en réalité de la contrefaçon. Si le marché de l’article scolaire et des fournitures de bureau fait incontestablement la fortune des sociétés d’importation, les fabricants et transformateurs locaux voient de plus en plus leur part du marché se rétrécir comme peau de chagrin. Sur les 200 fabricants nationaux recensés avant 2003, l’Association des fabricants algériens n’en comptabilise aujourd’hui qu’une cinquantaine.

Fabricants locaux : Une espèce en voie de disparition.

De nombreuses entreprises publiques ont mis la clé sous le paillasson, à l’exemple de la Société nationale d’édition et de distribution (SNED). D’autres ont été contraintes à changer d’activité : Siscoplast, filiale du groupe ENPC, a cessé la fabrication des articles scolaires et fournitures de bureau, pour se lancer dans l’extrusion de tubes plastiques destinés à l’irrigation.

Les reconversions frôlent parfois les extrêmes comme cet ancien fabricant de protège-cahiers qui s’est fait importateur-commerçant. «Pourquoi se casser la tête à produire un million de stylos quand on peut les ramener dans un container tout en réalisant de gros profits ?», s’interroge Madani.

«En tous cas, c’est toujours comme ça dans un système où les importateurs sont privilégiés, qui ont l’avantage d’accéder à des sources d’approvisionnement d’ordre mondial, la Chine, entre autres, et de financement. La production nationale se doit quant à elle de supporter seule le poids de l’investissement à long terme dans un environnement des plus hostiles.» Hostile comme l’a été pour les fabricants la loi de finances complémentaire d’août 2009.

Une disposition qui, en particulier, – relative à l’interdiction d’importer du matériel rénové – a pesé de tout son poids sur les producteurs algériens. «Or, ce sont des filières entières de la production nationale qui ont été créées grâce à un équipement vieux, mais en état de marche et dont le coût est largement abordable pour nous», fait remarquer le patron de Stilina.

Il est vrai, souligne ce dernier, que des efforts avaient été consentis par le gouvernement pour tenter de sauver le produit local, il n’en demeure pas moins insuffisant. «Les questions de survie économiques ne se posent plus pour nous, nous sommes néanmoins confrontés à de sérieux problèmes de développement.»

Dans les conditions actuelles d’investissement marquées, à ses dires, par une instabilité chronique des cadres juridique et réglementaire, par l’hégémonie des gros importateurs, les pratiques frauduleuses et la concurrence déloyale, les fabricants locaux tentent de résister au rouleau compresseur chinois par un redéploiement de leurs activités.

Pour protéger le produit local, les pouvoirs publics ont pris en 2006 une mesure saluée d’ailleurs par de nombreux fabricants.

L’administration douanière a inclus dans la nomenclature des produits, dont les prix étaient administrés, une liste d’articles scolaires «made in Algeria». La désillusion est toutefois à la hauteur des espoirs suscités «S’il est possible aujourd’hui d’acheter sur le marché des protège-cahiers et des stylos par exemple, produits au prix pourtant administré, à des prix défiant toute concurrence : 3 à 4 DA le stylo, 3 DA un protège-cahier, c’est que ces produits ont été dispensés du contrôle douanier.»

En plus des fausses déclarations sur la valeur de la marchandise, pratique très largement répandue, certains importateurs n’hésitent pas à introduire avec la complicité passive ou active des agents douaniers des articles scolaires qui peuvent se révéler très nuisibles à la santé des élèves.

A la tête des Etablissements Toumi (Batna), Abdelkader, fabricant et exportateur de protège-cahiers, entre autres, a eu déjà à dénoncer publiquement, en mars 2008, l’importation d’un protège-cahier hautement cancérigène.

Deux ans après, constate-t-il, le même produit n’a toujours pas été retiré du marché, alors qu’il défie toutes les normes en vigueur : «Son poids, 9 grammes, deux fois inférieur à la norme européenne qui est de 17 grammes fait de ce protège-cahier le plus léger au monde. Les analyses que nous avons commandées auprès du Centre de recherche scientifique et technique en analyses physico-chimiques (Crapc) de l’université de Bab Ezzouar, puis dans un laboratoire hollandais, ont abouti au même résultat, à savoir que ce protège-cahier renferme 43 particules de plomb par millième (43 ppm au lieu de 01Ppm).»

De nombreux autres articles fabriqués à base de matériaux plastiques, provenant de la récupération, font peser de gros risques sur la santé des écoliers. Pour donner des couleurs vives à leur produit, les fabricants chinois ont recours à des traitements chimiques à forte teneur toxique.

«Pour les produits importés légalement, explique une directrice au CACQE (Centre algérien de contrôle de la qualité et de l’emballage), organisme rattaché au ministère du Commerce, l’importateur est tenu d’accompagner son dossier d’autorisation d’importation d’un certificat de conformité dûment délivré par un laboratoire (national ou étranger) d’analyse et de contrôle de la qualité. «Tous les dossiers sont traités par une commission au niveau du CACQE qui statue et se prononce sur l’octroie ou non de l’autorisation.

Mohand Aziri