Le marché de l’immobilier en folie

Le marché de l’immobilier en folie

Spéculations, escroqueries et mauvaise gestion

La crise du logement disparaîtra en 2009. » Ces propos, tenus le 10 avril 2007 par l’ancien ministre de l’Habitat, Nadir Hamimid, le feraient presque passer pour un mauvais plaisantin. Si le premier enseignement – déjà connu par le commun des Algériens – est qu’il ne faut pas croire nos politiques sur parole, il apparaît que nos gouvernants ont sans doute sous-estimé les dégâts causés dans ce secteur. Le marché de l’immobilier est aujourd’hui dévasté. Ce n’est plus qu’une vaste jungle dans laquelle sévissent les spéculateurs, les smasria, les mafieux à la recherche d’un refuge pour un blanchiment d’argent et les escrocs de tout acabit.

Le béton absorbe tout ce que la brutale ouverture du marché a produit de plus vil dans la société algérienne. Tout a commencé au début des années 2000, à l’heure de l’ouverture du marché de l’immobilier. « Les Algériens ne connaissent pas l’économie de marché. Nous n’avons pas cette culture. Faute de préparation, le marché n’a pas pu être structuré. Tout le monde peut y faire n’importe quoi », explique M. Aouidat, vice-président de la Fédération nationale des agents immobiliers (Fnai). Le fossé s’est creusé entre les prix de l’immobilier et les salaires à mesure que les liquidités de l’informel étaient injectées dans le secteur. Mais c’est en 2003 que le marché a véritablement basculé dans la folie. A l’origine de cette incroyable valse des prix, l’instruction Ouyahia exigeant des payements par chèque pour toute transaction dont le montant dépasse les 50 000 DA. Les Algériens ayant pris l’habitude de thésauriser leur argent sous leur oreiller, certains craignaient qu’on vienne leur demander des justifications sur l’origine de leurs fonds. Beaucoup ont ainsi placé leur épargne dans ce qu’il y avait de plus sûr : l’immobilier. « En plus du blanchiment d’argent et de l’argent du terrorisme, il y avait des gens honnêtes qui plaçaient leur épargne dans l’immobilier.

La mesure du chèque obligatoire a ainsi fait quadrupler les prix. Aujourd’hui, même si la mesure a été annulée, le mal est fait, les prix ne retourneront pas en arrière », explique M. Aouidat. Les prix de l’immobilier ont atteint un point de non-retour. N’importe quel motif suffit à les titiller. Les prix de la location se sont encore emportés à cause de la longue attente des bénéficiaires des programmes de l’Aadl. Les attributaires qui ont ainsi cherché à louer en attendant la fin de construction de leurs appartements ont « bloqué » le marché de la location. Plus les retards des chantiers s’accumulaient et plus la tension sur le marché locatif devenait intenable. « L’Aadl avait fait naître un brin d’espoir auprès des jeunes couples. Ils se sont mis à louer. Mais les retards occasionnés par l’AADL ont fait que la location des appartements a duré plus longtemps que prévu. Ça a créé un manque », dit encore M. Aouidat. En l’absence de règles, l’arrivée des investisseurs étrangers en Algérie a fini par désarçonner le marché. « L’Algérien voit en l’étranger des billets d’euros », nous dit un expert du secteur. Et l’arrivée massive des euros sur le marché de l’immobilier donnait lieu à toutes les formes de ruse visant à gagner de l’argent sans effort. « Beaucoup de gens achètent une villa pour la louer aux étrangers. En l’espace de trois ans de location, ils auront amorti leur investissement », explique M. Aouidat. Le fait est que les prix appliqués par les privés ne répondent à aucune logique. Les responsables du cabinet Lefèvre-Pelletier, chargés d’établir une étude sur le marché par la Société de garantie du crédit immobilier (Sgci) n’ont pas caché leur effarement : « L’absence de réelle transparence du marché de la location, rend difficile l’évaluation des biens par l’application d’une méthode d’expertise par le revenu », écrivent-ils.

Dans ce rapport, dont El Watan a une copie, le cabinet français relève l’absence de repères dans le calcul des prix des biens immobiliers. « De sérieuses incertitudes demeurent quant à l’identification des propriétés, rendant parfois impossible toutes prises d’hypothèques par les banques et établissements financiers », peut-on lire sur le document en question. Les experts du cabinet Lefèvre Pelletier ajoutent : « On a passé, en peu de temps, d’un ’marché administré’ à un ’marché libre’ sans que la fiabilité des données immobilières ait été préalablement assurée, et sachant que subsistent encore des pratiques dirigistes, pour des considérations souvent sociales. La valeur vénale, si elle doit aujourd’hui correspondre à la valeur réelle de marché, relève d’un concept qui demeure encore difficile à appréhender. » Les experts du cabinet français s’étonnent du fait que chaque segment (banques, impôts, experts géomètres…) ait son propre barème de prix. « En ce moment, ceux qui fixent les prix sont khalti Taous, Lala Zoubida et mon voisin El Bachir. Il n’y a pas de base sur laquelle il est possible de travailler », affirme, sans ambages, M. Aouidat. Il n’existe pas de paramètres de prix selon les zones. « Si c’est un appart à Hydra, goul bark, à toi de donner ton prix. C’est ainsi que des villas se vendent à 100 milliards de centimes », nous dit un agent immobilier, près d’Alger. Même si l’immobilier a toujours été un domaine privilégié des spéculateurs, des règles de calcul existent dans le monde. Mais en Algérie, les prix sont basés sur des « ouï-dire ». Ainsi, un terrain dans la région de Cherarba, où personne ne voulait habiter il y a quelques années, se négocie autour de 35 000 DA/m2. Il faut dire que le gouvernement algérien a raté plusieurs occasions de structurer le marché.

Le cabinet Lefèvre Pelletier a recommandé notamment la création d’un « observatoire des prix » pour suivre le marché de près. La flambée des prix dans la capitale a entraîné un effet domino sur toutes les autres villes algériennes. Quelques professionnels veulent néanmoins croire qu’une stabilisation du marché est encore possible. « Depuis la crise financière internationale, les compagnies étrangères se font plus rares en Algérie. Comme les étrangers ne viennent plus et que les prix sont trop élevés pour les bourses moyennes, le marché est bloqué. » « Au début, les gens se disaient que ce n’est là qu’une crise passagère, mais ils commencent à prendre conscience. Des biens importants sans locataires engendrent beaucoup de frais. Certaines personnes ont baissé les prix de la location à hauteur de 50%. » « Il n’y a plus de marché pour le citoyen moyen. L’immobilier est désormais destiné à une certaine catégorie. » Cette baisse touche uniquement les villas et les appartements de luxe. Le commun des Algériens ne peut en ressentir les effets. Pendant ce temps-là, un modeste F3 à Garidi a été cédé la semaine dernière à 1,6 milliard de centimes. Un cadre qui peut se targuer d’avoir un bon salaire de 45 000 DA devrait attendre trente ans, sans dépenser le moindre sou, pour espérer caresser son rêve de plus près. Un smicard devrait patienter 75 ans.

Cnep Banque : plus de 82 milliards de dinars injectés depuis 2004

Les montants alloués par la banque de l’immobilier, la Cnep, entre 2004 et le 30 juin 2009 s’élèvent à 82,84 milliards de dinars, selon le service de communication de la Cnep. « Près de 460 projets ont bénéficié de ces engagements. Ils ont connu une importante augmentation en 2008 avec 26 milliards de dinars contre 12,2 milliards de dinars en 2007 », nous explique-t-on à la Cnep.

Fausses déclarations et vrais contrats

L’un des éléments qui perturbe le marché de l’immobilier est celui des fausses déclarations sur les contrats de transactions immobilières. « Les déclarations sous-évaluées et, semble-t-il, rarement redressées, traduisent surtout la peur de l’impôt qui nous a été décrite par la plupart des interlocuteurs rencontrés comme largement partagée et de nature à alimenter les comportements déviants ci-dessus relevés », souligne le rapport du cabinet Lefèvre-Pelletier sur l’évaluation de l’immobilier en Algérie. Les estimations des prix du logement sont bien souvent faussées par la crainte de l’impôt, ce qui n’est pas sans conséquence sur la juste appréciation des marchés et ceci demeure très dommageable à la mise en place d’un véritable cadre référentiel. Pour le vice-président de la Fnai, « les gens agissent par ignorance ». « Il y a une méconnaissance totale des lois et des droits. Quand on déclare, on se met en sécurité », explique-t-il. Pour l’heure, les Algériens déclarent généralement près de 40% de la valeur du bien immobilier. « Auparavant, les impôts prenaient 50% de la valeur du bien. Aujourd’hui, les impôts ont baissé mais la phobie est restée », diagnostique M. Aouidat.

Par Amel Blidi