Le Maghreb réagit à la mort de ben Laden

Le Maghreb réagit à la mort de ben Laden

Alors que la nouvelle de la mort du leader d’al-Qaida Oussama ben Laden se propage dans le monde entier, les habitants du Maghreb font part de leur soulagement, et les gouvernements se préparent à de possibles représailles de la part de l’organisation régionale affiliée au réseau terroriste.

En Algérie, la nouvelle est tombée alors que le Président Abdelaziz Bouteflika présidait un conseil des ministres consacré aux réformes politiques. Aucun commentaire officiel n’a été fait, mais les diplomates et les services de sécurité ont pris des mesures visibles à Alger pour accentuer les efforts antiterroristes.

L’Algérie a été le théâtre de plusieurs attentats terroristes de la part d’al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) durant ces dernières années. Le leader du groupe dans la région, Abdelmalek Droukdel, avait prêté allégeance à ben Laden.

Le ministre des Affaires étrangères Mourad Medelci se trouvait à Washington lorsque la nouvelle de la mort de ben Laden est tombée. Il s’y était rendu pour des entretiens avec plusieurs hauts responsables américains, notamment la secrétaire d’Etat Hillary Clinton et le conseiller du Président Barack Obama pour la lutte antiterroriste, John Brennan.

Le Mouvement pour la société de la paix (MSP), d’obédience islamiste, a qualifié la mort de ben Laden de victoire. « On a été surpris par cette annonce », a déclaré le porte-parole du mouvement, Mohamed Djemaa.

Des questions se posent pour le Sahel

« C’est un aboutissement naturel après plusieurs années d’investigation », a poursuivi Djemaa, ajoutant que les terroristes ont des vies courtes. Il a insisté sur le fait que la guerre contre le terrorisme n’avait pas encore été gagnée.

« Il faut rester vigilant et continuer à lutter contre ce phénomène », a-t-il affirmé.

« Les groupes et réseaux terroristes actifs ou dormants vont certainement réagir et frapper dans les plus brefs délais, pour montrer à l’opinion mondiale qu’al-Qaida est toujours là », a déclaré pour sa part le professeur M’hand Berkouk, directeur du Centre algérien de recherche sécuritaire et stratégique (CRSS).

Berkouk estime que bien que ben Laden ait été une figure emblématique des réseaux terroristes, ces derniers opéraient indépendamment de lui. Il a également mis en garde contre le fait qu’al-Qaida pourrait modifier ses plans et ouvrir de nouveaux centres d’opérations après cette mort.

« Le Sahel serait à l’évidence le nouveau foyer du terrorisme international », a-t-il déclaré, ajoutant que l’Algérie a eu raison d’appeler à une plus grande attention envers le terrorisme au Sahel.

La mort de ben Laden pourrait porter un coup fatal à al-Qaida, selon Slimane Medjahed, ancien conseiller auprès des services de sécurité algériens. Pour lui, cette mort pourrait déclencher un conflit interne au sein de l’organisation, concernant notamment la désignation du successeur de ben Laden.

« AQMI est la seule organisation capable de venger la mort de ben Laden », selon le rédacteur en chef d’Ennahar, Anis Rahmani, ajoutant que ce groupe pourrait abattre certains des otages qu’il détient actuellement.

Un chroniqueur au quotidien Liberté a écrit que « bien que ses disciples aient tué plus de victimes en Algérie que n’importe où dans le monde, la fin de ben Laden passe officiellement comme un non-événement. Ben Laden a fait des petits, et il terrorise donc toujours les dirigeants arabes et musulmans. »

Un nouveau chapitre

La Tunisie n’a adopté aucune position officielle à l’annonce de la mort de ben Laden, mais parmi les citoyens, les réactions vont du soulagement à l’inquiétude.

Le leader du mouvement Ennahda, Rachid Ghannouchi a déclaré que l’approche d’al-Qaida n’avait « aucune réelle référence au djihad islamique. Elle n’est pas fondée, si l’on considère le concept islamique correct du djihad. Al-Qaida a proposé la mauvaise solution au vrai problème. »

« La réponse apportée par ben Laden et al-Qaida est la violence aveugle. Mais le résultat en a été désastreux », a déclaré Ghannouchi. « Or, les révolutions arabes avaient mis un terme à cette approche d’al-Qaida, avant même la mort de ben Laden. »

Radia, professeur à l’université, s’est dite soulagée. « Jadis, le régime prenait le prétexte de la lutte contre le terrorisme pour museler toutes les voix libres et supprimer tous les opposants. Aujourd’hui, le monde assiste à un changement majeur. L’un après l’autre, les pays arabes se révoltent contre le despotisme. Là-dessus, le leader d’al-Qaida est abattu. C’est une étape positive. »

« C’est une victoire politique pour Obama. C’est un acte qui va affaiblir le mouvement djihadiste dans son ensemble, ce qui constitue avant tout une victoire pour l’Amérique », a expliqué le politologue Noureddine Ben Ticha.

Quant au discours d’Obama dans lequel il souligne qu’il lutte contre le terrorisme, non contre l’Islam, Ben Ticha ajoute : « C’est une position parfaite, qui évite toute confusion. » Et d’ajouter : « C’est une étape positive qui intervient en parallèle avec les révolutions arabes, et permettra de construire une relation d’amitié et de pardon entre l’Amérique et les nations arabes. »

Le Maroc reste vigilant

Le ministre marocain de la Communication Khalid Naciri a déclaré le mardi 3 mai que bien que la mort de ben Laden ne concerne pas directement le Maroc, le pays n’avait pas été épargné par le terrorisme.

« Aussi doit-on rester vigilants et prendre les dispositions sécuritaires nécessaires pour protéger le Royaume. » Le ministre a déclaré lundi aux journalistes que le Maroc venait d’être « ravagé » par les terroristes, en référence au récent attentat survenu à Marrakech.

« Ce n’est pas parce que la tête de la nébuleuse a été coupée qu’on en a fini avec le terrorisme », a ajouté Naciri, qui estime que la lutte contre le fléau doit se poursuivre. Il a dit espérer que la mort de ben Laden apporte une certaine stabilité dans le monde.

La mort de ben Laden n’aura pas d’incidence sur les affiliés régionaux d’al-Qaida, selon Taj Eddine El Houceini, professeur de relations internationales. Ces organisations régionales, a-t-il expliqué, décident, planifient et exécutent leurs missions de leur propre chef. Il a mis en garde contre les représailles et déclaré que la mort de ben Laden représente la fin du principal symbole de l’existence d’al-Qaida.

Renforcement de la sécurité à Nouakchott

En Mauritanie, la nouvelle a été accueillie par un renforcement de la sécurité autour des ambassades étrangères. Les forces de sécurité ont également été postées devant les résidences des diplomates étrangers en poste à Nouakchott. Des dizaines de soldats mauritaniens ont été déployés avec des véhicules 4×4, portant des armes et des mitrailleuses.

Commentant l’avenir du terrorisme dans la région après la mort de ben Laden, Ould Islem a déclaré : « Je pense que les révolutions lancées par la jeunesse arabe ont retiré tout soutien à al-Qaida, qui avait pour habitude de reprendre les arguments du peuple dans le rejet de la politique de leurs dirigeants. Les nations arabes commencent aujourd’hui à renverser leurs régimes despotiques et à prendre elles-mêmes l’initiative, loin de la ligne idéologique d’al-Qaida.

La mort de ben Laden constitue une étape positive, dans la mesure où il déformait l’image des Musulmans dans le monde par ses actes terroristes, a expliqué à Magharebia Houssein Mohamed Oumar, l’un des membres du mouvement du 25 février. Il s’attend à ce que l’activité du terrorisme diminue après cette mort, ce qui permettra d’améliorer l’image des Musulmans dans le monde.

Pour Sid Ahmed Ould Tfeil, spécialiste de l’idéologie salafiste, « la plupart de ceux qui sympathisaient avec l’homme ne comprenaient pas véritablement sa pensée ni son idéologie. Ils le considéraient seulement comme un audacieux rebelle. »

Iselmou Ould Moustafa, leader de Tahalil et expert en affaires salafistes, prévoit une réaction d’AQMI, probablement sous la forme d’attaques contre des intérêts occidentaux.

« Al-Qaida commence véritablement à disparaître par suite des révolutions nationales arabes qui ont montré que la violence à elle seule n’engendre aucun changement pacifique, mais que des slogans pacifiques, eux, le peuvent », a-t-il conclu.