Les enjeux au Sahel et la prise d’otages récente en Algérie, surtout dans une zone sensible rentre dans le cadre de la nouvelle stratégie mondiale à laquelle l’Algérie ne saurait échapper et d’une manière générale toute l’Afrique du Nord.
Ces enjeux sont intiment liés à la crise mondiale actuelle devrait qui conduire à de profondes reconfigurations socio-économiques, technologiques mais également sécuritaires, objet de cette présente contribution que j’ai eu à développer longuement dans une contribution largement diffusée au niveau mondial, parue à l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI- Paris France) (1).
Privilégiant en premier lieu ses intérêts stratégiques, partie prenante du dialogue méditerranéen (DM), le Maghreb se doit d’agir en fonction d’un certain nombre de principes et à partir d’une volonté avérée de contribuer à la promotion de la sécurité et de stabilité dans la région que ce soit dans le cadre d’une coopération avec l’Otan, en fait avec les USA, ou avec les structures de défense que l’Union Européenne entend mettre en place, également avec la Russie et la Chine pour ne citer que les principaux acteurs mondiaux. Les derniers évènements au Sahel, faute d’une coordination, montrent son incapacité à agir sur des évènements majeurs.
1.- La fin de la guerre froide marquée par l’effondrement du bloc soviétique et les attentats survenus aux Etats-Unis le 11 septembre 2001 représente un tournant capital dans l’histoire contemporaine. Le premier évènement marque la fin d’un monde né un demi siècle plutôt et la dislocation d’une architecture internationale qui s’est traduite des décennies durant par les divisions, les déchirements et les guerres que nous savons.
Aujourd’hui, les menaces sur la sécurité ont pour nom terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, crises régionales et délitement de certains Etats. Or, les défis collectifs, anciens ou nouveaux, sont une autre source de menace : ils concernent les ressources hydriques, la pauvreté, les épidémies, l’environnement. Ils sont d’ordre local, régional et global.
Entre la lointaine et très présente Amérique et la proche et bien lointaine Europe, entre une stratégie globale et hégémonique, qui possède tous les moyens de sa mise en œuvre et de sa projection, et une stratégie à vocation globale qui se construit laborieusement et qui peine à s’autonomiser et à se projeter dans son environnement géopolitique immédiat, quelle attitude adopter et quels choix faire pour le Maghreb ? Interpellée et sollicitée, le Maghreb s’interroge légitimement sur le rôle, la place ou l’intérêt que telle option ou tel cadre lui réserve ou lui offre, qu’il s’agisse du dialogue méditerranéen de l’Otan ou du partenariat euro-méditerranéen, dans sa dimension tant économique que sécuritaire. L’adaptation étant la clef de la survie et le pragmatisme un outil éminemment moderne de gestion des relations avec autrui, le Maghreb devant faire que celui que commandent la raison et ses intérêts.
2.– C’est dans ce cadre que doit être placée la stratégie du Maghreb dans le dialogue méditerranéen de l’OTAN. Le cadre défini au sommet de l’Otan de promouvoir le dialogue méditerranéen de l’Otan au rang de «véritable partenariat», (le même sommet d’Istanbul faisant une offre de coopération à la région du Moyen-Orient élargi qui est adressée aux pays qui le souhaite, ceux qui sont membres du conseil de coopération du Golfe étant cités explicitement) ambitionne de contribuer à la sécurité et à la stabilité de la région méditerranéenne par le truchement d’un certain nombre d’actions au nombre de cinq qui se veulent complémentaires avec d’autres actions internationales : a.- le renforcement de la dimension politique du dialogue méditerranéen avec l’Otan ; b.- l’appui au processus de réformes de la défense ; c.- la coopération dans le domaine de la sécurité des frontières ;d.- la réalisation de l’interopérabilité ; e- la contribution à la lutte contre le terrorisme. L’objectif poursuivi par l’initiative d’Istanbul est de renforcer la sécurité et la stabilité par le biais d’un nouvel engagement transatlantique en fournissant un avis adapté sur la réforme de la défense, l’établissement des budgets de défense, la planification de la défense, les relations civilo-militaires et l’encouragement de la coopération entre militaires afin de contribuer à l’interopérabilité ; lutter contre le terrorisme par le partage de l’information, la coopération maritime, lutter contre la proliférations des armes de destruction massive et contre les trafics. Face à ces propositions quelle est l’attitude des pays du Maghreb devant consolider l’intégration maghrébine pour devenir une entité économique fiable au moment de la consolidation des grands ensembles ?
3.– Les menaces qui pèsent sur les peuples et leurs Etats et les défis collectifs qui leur sont lancés doivent amener les pays du Maghreb à se doter d’une politique extérieure globale des enjeux, des problèmes et des crises que connaît le monde et à déployer ses capacités, ses moyens et son savoir-faire dans une logique de juste et fécond équilibre. Le dialogue et la concertation entre les peuples et entre les acteurs sont la clef et en même temps la meilleure des garanties pour instaurer la paix et la stabilité de manière juste et durable. C’est sur cette base que me semble t-il que les pays du Maghreb doivent s’engager dans le dialogue méditerranéen de l’Otan et dans d’autres initiatives régionales ou sous régionales notamment européennes. Car face à l’Otan, existe une volonté politique de l’Union Européenne d’avoir une stratégie de défense et de sécurité qui concerne le Maghreb. Sur le plan militaire et géo-stratégique c’est à travers les activités du groupe dit des «5+5» que peut être apprécié aujourd’hui la réalité d’une telle évolution. C’est que la lecture que font les Européens des menaces et défis auxquels le monde et notre région sont confrontés repose essentiellement sur la nécessité de développer ensemble une stratégie de riposte collective et efficace concernant notamment le terrorisme international, le trafic des êtres humains et la criminalité organisée à travers la drogue et le blanchissement d’argent. Par ailleurs, selon la commission de Bruxelles et le parlement européen entre l’Europe et le Maghreb, et plus globalement l’Europe et la zone méditerranée, l’Europe et l’Afrique il s’agit de faire bloc, de rapprocher les Européens et leurs voisins immédiats. Pour le cas du Maroc, de la Tunisie et de l’Algérie qui ont qui a signé l’Accord de libre échange avec l’Europe, en matière de défense et de sécurité, des consultations relatives a la mise en place d’un dialogue entre le Maghreb et l’Union européenne ont lieu sous forme de consultation informelles et de réunions formelles. Mais il serait souhaitable des clarifications portant sur deux questions jugées fondamentales : la valeur ajoutée de cette offre de dialogue par rapport au dialogue méditerranéen de l’OTAN et la coopération de lutte contre le terrorisme avec l’UE dans le cadre de la PESD.
4.- D’une manière générale et au vu de ce qui se passe au Sahel, il y a urgence pour l’Algérie, dont la diplomatie semble déphasée par rapport aux nouvelles réalités mondiales, et le Maghreb une stratégie d’adaptation. Pour ma part lors d’un déplacement aux USA lors d’une rencontre avec un grand responsable au département du trésor US à Washington, j’avais émis cette hypothèse naïvement que l’Algérie et le Maghreb devaient tirer profit des divergences entre la France et les Etats Unis d’Amérique. Il m’avait répondu clairement ; «il n’y a parfois que des divergences tactiques de court terme mais aucune divergence stratégique entre les Etats Unis d’Amérique et la France et plus globalement avec l’Europe». J’en ai tiré la leçon afin de comprendre les enjeux géostratégiques et j’ai été étonné que certains veuillent encore opposer les USA à la France sur le dossier du Sahel et notamment du Mali se croyant encore aux années 1960/1970 de la confrontation des blocs, l’Algérie recelant des compétences ayant de brillants diplomates marginalisés et les transnationales uniformisant progressivement les relations économiques internationales. Il ne fallait pas être un grand diplomate et analyste pour savoir en nous en tenant à nos voisins frontaliers que le Niger, le Mali, allaient s’aligner sur la position de la France. Nous ne parlerons pas de la Libye, de la Tunisie, de la Mauritanie et du Maroc qui ne s’opposeront en aucune manière à la vision US/Europe, surtout pour les deux premiers dont les régimes ont une dette envers l’Occident. Cela aurait été une erreur de croire qu’au conseil de sécurité, il y aurait une opposition de la Russie et de la Chine qui ont avalisé d’ailleurs l’intervention militaire française, n’ayant pas d’intérêts stratégiques dans la région, et également pour des raisons internes ne voulant pas être confrontées à des mouvement extrémistes islamistes en Tchétchénie en Russie et des centaines de milliers de musulmans en Chine. Il est entendu qu’à la fin de toute guerre ce sera la diplomatie qui prendra la relève. Pour nous en tenir à l’Algérie, incontestablement la position diplomatique algérienne a subi un sérieux revers qui risque de se répercuter sur son influence déclinante en Afrique, ayant depuis le début du conflit opté pour le dialogue avec les islamistes dits modérés. Mais les puissances occidentales reconnaissent que rien ne peut se faire durablement sans l’Algérie par sa position géographique, comme en témoigne l’autorisation du survol des avions militaires français au dessus de son territoire, étant par ailleurs une grande puissance militaire régionale. D’autant plus que ce conflit peut avoir des répercussions sur la tant sur toute la région Europe/Afrique via le Maghreb, que sur la sécurité intérieure de l’Algérie notamment toute la zone Sud où sont concentrés les principaux gisements pétroliers et gaziers sans compter que bon nombre de familles notamment Touaregs du Sud ont des liens étroits souvent familiaux avec les familles au niveau du Sahel et notamment au Mali.
5.- En conclusion la situation actuelle au Sahel pose la problématique de la sécurité de l’Algérie et pose fondamentalement l’urgence de l’intégration du Maghreb pont entre l’Europe et l’Afrique afin de faire de cette zone une région tampon de prospérité, le terrorisme se nourrissant comme rappelé précédemment fondamentalement de la misère en se livrant au trafic de tous genres, rançons, drogue, armes etc. Car, le Maghreb, pour peu que les dirigeants dépassent leurs visions étroites d’une autre époque, a toutes les potentialités pour devenir une grande puissance régionale avec une influence tant économique que militaire, dans la mesure où en ce XXIème siècle l’ère des micros Etats étant révolu et que la puissance militaire est déterminé par la puissance économique. Pour cela, des stratégies d’adaptation au nouveau monde pour le Maghreb sont nécessaires, étant multiples, nationales, régionales ou globales mettant en compétition/confrontation des acteurs de dimensions et de puissances différentes et inégales. Face aux menaces communes et aux défis lancés à la société des nations et à celles des hommes, les stratégies de riposte doivent être collectives. Cependant, dès lors qu’elles émanent d’acteurs majeurs et de premier plan, elles s’inscrivent dans une perspective globale et cachent mal des velléités car évoluant dans un environnement géopolitique régional que des acteurs majeurs façonnent aujourd’hui à partir de leurs intérêts et des préoccupations stratégiques qui leurs sont propres. Cette région est l’objet de toutes les convoitises( notamment USA via Europe/Chine) car incluse dans une sous région qui n’en finit pas de vouloir se construire, au sein du continent Afrique qui est un enjeu géostratégique majeur au XXIème siècle avec plus de 25% de la population mondiale avec d’importantes ressources non exploitées, sous réserve d’une meilleure gouvernance et d’intégration sous régionales à l’horizon 2030 l’axe de la dynamisation de la croissance de l’économie mondiale devant se déplacer de l’Asie vers l’Afrique. Le Maghreb sous segment de ce continent est appelée de se déterminer par rapport à des questions cruciales et de relever des défis dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils dépassent en importance et en ampleur les défis qu’il a eu à relever jusqu’à présent.
Abderrahmane Mebtoul, expert international, Professeur des Universités en management stratégique