– Le livre pour enfant et de jeunesse en Algérie tente de s’émanciper pour occuper une place à part entière dans le monde de la littérature, au moment où la lecture dans les milieux scolaires et l’édition de ce genre littéraire nécessitent à la fois un développement et une meilleure gestion.
Auteurs, éditeurs et parents semblent conscients de l’importance de promouvoir la lecture chez les jeunes personnes dès l’enfance, mais estiment que la littérature destinée à cette catégorie peine à mûrir pour moult raisons, notamment le manque d’auteurs, d’illustrateurs et d’éditeurs spécialisés.
Pour promouvoir le livre de jeunesse et de l’enfant, des rencontres nationales sont organisées tout au long de l’année par des associations locales sur la question de la lecture chez les jeunes personnes.
Trois évènements d’envergure destinés à cette littérature sont institués. Il s’agit du Festival culturel local « Lire en fête » qui se tient depuis 2010 durant le mois de juillet à Alger, Blida, Bouira, Boumerdès, Tipasa et Tizi-Ouzou, le Festival international de la littérature et du livre de jeunesse (Feliv) et le Festival international de la bande dessinée (FIBDA).
Les avis des observateurs sur la problématique du livre de jeunesse, rencontrés par l’APS lors du 4ème Feliv qui prendra fin mercredi soir, convergent, même s’ils voient dans ce genre de rencontres, un moyen « efficace » pour mettre en contact direct l’enfant et le livre
Quand le CD interactif détrône le livre Certains imputent la responsabilité du recul de la lecture chez l’enfant et les jeunes à la famille pour avoir abandonné cette habitude noble et instructive au profit des CD interactifs. D’autres jugent les prix de ce genre de livres inadaptés au pouvoir d’achat réel des familles.
Les éditeurs estiment que le livre de jeunesse nécessite une meilleure organisation voire une politique de gestion et devrait former une véritable industrie, tout en mettant l’accent sur le rôle majeur que doit jouer l’école dans la promotion de la lecture chez l’enfant.
De leur côté, certains auteurs spécialisés dans ce genre littéraire, se plaignent de contraintes de publication et considèrent que la priorité est donnée aux livres pour adultes car ces derniers ne nécessitent pas forcément une esthétique attrayante et des illustrations, et reviennent donc moins cher… Un constat confirmé par des éditeurs.
La lecture s’apprend à 6 ans, pas à 20
L’auteur et éditeur Lazhari Labter, spécialisé depuis une année dans le livre pour enfant, de jeunesse et la bande dessinée, reconnaît l’existence en Algérie d’une « véritable volonté politique » pour relancer le livre d’une manière générale, mais déplore l’environnement dans lequel évoluent les éditeurs, marqué par des contraintes d’ordre administratif.
Pour lui, le nombre d’auteurs et d’éditeurs spécialisés dans le livre pour enfants et de jeunesse « se compte sur les doigts d’une main », tandis que le reste sont généralistes, raison pour laquelle des efforts doivent être fournis pour pouvoir « donner de bons livres aux enfants et leur inculquer ainsi le goût à la lecture ».
Rappelant que le livre pour enfants n’est pas traité de la même manière qu’un livre pour adultes et qu’il demande un certain savoir faire sur le plan esthétique, afin d’attirer les jeunes lecteurs, Lazhari Labter a mis l’accent sur l’importance d’investir dans la formation d’illustrateurs. A propos de la promotion de la lecture dans le monde des enfants,
il plaide pour la réhabilitation des bibliothèques scolaires et celles des classes, l’introduction de textes littéraires d’auteurs algériens et étrangers ainsi que des extraits de poésie et de nouvelles dans les manuels scolaires afin de donner aux écoliers l’envie de lire.
Il a mis en avant, dans le même contexte, la mission qui revient aux bibliothèques communales et itinérantes ainsi qu’aux librairies. Des visites aux manifestations culturelles consacrées au livre représentent également un moyen pour inciter l’enfant à la lecture, ajoute Lazhari Labter pour qui, la lecture, qu’il qualifie de « vice impuni », s’apprend à 6 ans et pas à 20 ans.
Livres de jeunesse: très chère édition
Pour la directrice des éditions Barzakh, Selma Hellal, la collaboration qui devrait exister entre auteurs et illustrateurs représente un véritable souci en Algérie dans le domaine du livre de jeunesse, un domaine, selon elle, pauvre en auteurs et en éditeurs spécialisés.
« Il y a un vrai souci. Ce souci provient du fait qu’on a très peu d’auteurs et d’illustrateurs qui arrivent à se rencontrer et donc à proposer des ouvrages. La littérature jeunesse est un créneau très particulier qui est le résultat d’une spécialisation d’édition. Hélas, la tradition éditoriale en Algérie n’a pas encore permis cette spécialisation », relève-t-elle.
Précisant que cette littérature demande un sens pédagogique, didactique et de transmission, Mme Hellal a constaté, sur la base de sa propre expérience, que les illustrateurs n’ont pas encore formalisé leur imaginaire.
Elle a ajouté que le nombre d’éditeurs spécialisés dans le livre de jeunesse est très réduit parce qu’il s’agit d’une édition qui « coûte très cher ». L’éditeur doit payer l’auteur, l’illustrateur et faire un livre en impression quadrichromie, donc « il doit réfléchir à deux fois avant de s’engager dans cette aventure », a-t-elle fait savoir.
A propos de la relation enfant-livre, Mme Hellal est catégorique: « c’est une relation qui doit démarrer à l’école. C’est à l’école que l’enfant doit se familiariser avec le livre dès son très jeune âge, acquérir les bons réflexes, apprendre à aimer le livre et pénétrer dans l’univers de la littérature ».
Sur ce point, l’enseignante en bibliothéconomie à l’Université d’Alger, Mounia Chekouche, s’est interrogée sur le vrai rôle que joue actuellement la documentation dans les établissements scolaires en Algérie, tout en relevant un besoin de clarification des notions de « lecture » et de « bibliothèque scolaire ».
Estimant que les écoles algériennes sont « pauvres », tant par leurs espaces de lecture (bibliothèques scolaires) que leurs équipements et la variété des fonds existants, Mme Chekouche a plaidé pour l’élaboration de textes de cadrage nationaux en faveur d’une politique documentaire en milieu scolaire.
« Les bibliothécaires et professeurs-documentalistes doivent désormais être formés à la littérature d’enfance et de jeunesse, pour mieux guider leurs élèves dans leurs choix de lecture. Les oeuvres de littérature d’enfance et de jeunesse, doivent naturellement circuler dans les écoles et collèges », a-t-elle relevé.
D’après ces professionnels, organiser chaque année des rencontres autour du livre de jeunesse, inviter des écrivains et éditeurs à débattre de la question de la lecture chez l’enfant et donner l’opportunité aux jeunes personnes de « feuilleter » un livre, est un acte louable mais insuffisant pour inculquer l’amour de la lecture chez les plus jeunes.