Le lancement de la 3G est-il encore d’actualité ?

Le lancement de la 3G est-il encore d’actualité ?

Le lancement de la téléphonie mobile de troisième génération 3G est-il encore d’actualité ? La question est opportune.

Un appel à la concurrence avait été lancé il y a quelques années pour l’octroi d’une licence de téléphonie mobile de troisième génération (3G). Ce processus avait été cependant stoppé de manière incompréhensible. Or, en 2011, la relance de ce processus avait été annoncée par l’ex-ministre de la Poste et des Technologies de l’information et de la communication. Selon Moussa Benhamadi, un appel d’offres devait être lancé avant la fin du premier semestre 2012, à charge cependant que les opérateurs de téléphonie mobile soient prêts et puissent y participer. Ce qui n’était pas évident dans la mesure où un opérateur privé (Orascom Telecom Algérie), pourtant leader du marché mobile, risquait cependant d’être exclu, avait averti Benhamadi, pour ne pas avoir réglé sa situation financière et judiciaire. Et cela même si Djezzy, dont la cession à l’Etat algérien est censée être toujours en cours de discussion avec ses propriétaires étrangers, est réputé prêt. Comme le sont officiellement les deux autres opérateurs mobiles Algérie Télécom (Mobilis) et Wataniya Telecom Algérie (Nedjma). Toutefois, ce processus reste encore pendant, et deux mois après l’échéance initiale, aucune date effective n’a été fixée pour lancer cet appel, le ministère tutélaire et l’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications (ARPT) adoptant le silence à ce propos. Ce qui soulève l’incompréhension des différents opérateurs et équipementiers, incertains sur l’existence d’une réelle volonté, politique s’entend, pour lancer ce processus. Et d’autant que d’aucuns estiment que la 3G, qui permet des débits plus rapides et un transfert optimal des données, susciterait des réticences ici et là. Car cette technologie risque de ne pas pouvoir être maîtrisée, contrôlée dans un souci de préservation de la sécurité et des intérêts nationaux, peut-être de certains intérêts. Et ce, au-delà des aspects d’ordre technique liés notamment au système de transmission, choix de la bande, acquisition de terminaux, des problématiques non insurmontables au demeurant. Ainsi, ce processus risque de ne plus être d’actualité, au regard des retards pris pour le lancer, que ce soit pour des raisons objectives ou subjectives. Mais aussi dans la mesure où la mise en place de la 3G en Algérie semble déjà dépassée au niveau international avec la progression de la technologie de 4e génération. En effet la 4G ou Long terme évolution (3.9 G) Advanced permet le très haut débit mobile avec des communications téléphoniques utilisant la voix sur IP. Et une progression remarquée qui avait provoqué, à un moment, le débat sur l’opportunité de passer directement de la 2G (l’actuelle norme GSM) à la 4G, sans passer par la 3G. Opportunité que la tutelle gouvernementale semblait admettre, comme certains propos ministériels tenus en août 2011 l’avaient laissé entendre. Et cela dans le contexte où la commercialisation des smartphones et des tablettes compatibles avec la LTE se développe fortement sur le marché national, mais aussi que le développement du haut débit de l’ADSL sans fil peine à prendre effectivement son essor, tout en sachant que le secteur des technologies de la communication, caractérisé durant la décade écoulée par l’ouverture et la régulation renforcée, est actuellement sinistré. Car le développement des TIC semble pâtir d’un manque de visibilité et de lisibilité en matière de conduite gouvernementale et d’une proactivité insuffisante de la part de l’Autorité de régulation. Et alors que la 3G est déjà effective en Tunisie et au Maroc !!!

C. B.

3G ou 4G : le dilemme algérien

Entretien réalisé par Mokhtar Benzaki

Mérouane Debbah est professeur et dirige la chaire en Radio Flexible à Supelec (grande école d’ingénieurs à Paris spécialisée dans les technologies). Ce normalien est un spécialiste mondial des réseaux de télécommunications et a reçu plusieurs prix et distinctions pour ses travaux de recherche sur la 5G dont le prestigieux IEEE Glavieux Award en 2011. Dans cette rubrique, il répond à nos questions et donne un éclairage sur le débat actuel autour de la 3G et la 4G en Algérie.

Le Soir d’Algérie : On parle souvent du déploiement de la 4G dans le monde mais qu’en est-il vraiment ?

Mérouane Debbah : D’un point de vue strictement technique, il est important d’abord de signaler que la 4G, au sens de l’UIT (Union internationale des télécommunications), n’existe pas et est prévue pour 2014-2015. Les opérateurs dans le monde font malheureusement du marketing 4G sur un standard LTE (Long Term Evolution) qui est de la 3.9 G. Le LTE par contre est une réalité. On comptait début 2012 plus de 9 millions d’abonnés aux services LTE dans le monde avec 30 réseaux commerciaux dont plus de la moitié sont aux Etats-Unis. Il faut savoir qu’en Europe, les opérateurs, qui avaient investi massivement sur la 3G, cherchent à la rentabiliser au maximum et ne sont pas forcément très pressés de passer au LTE. En France, par exemple, les tests n’ont commencé que cette année ! Par contre, les prévisions montrent un décollage très rapide avec plus de 800 millions d’abonnés LTE à la fin 2016.

Comment marche exactement le LTE ?

Les réseaux de télécommunications sont passés par plusieurs générations de standards, typiquement la 2G qui correspond au GSM puis la 3G qui correspond à l’UMTS puis la 4G avec le LTE Advanced. Dans chaque cas, nous sommes passés par des technologies spécifiques d’accès multiples du type TDMA (Time Division Multiple Acces pour le GSM) puis le CDMA (Code Division Multiple Access pour l’UMTS) et enfin l’OFDM (Orthogonal Frequency Division Multiplexing) pour le LTE. Pour illustrer les nuances entre ces différentes techniques d’accès, considérons une grande salle et un nombre important de personnes désireuses de communiquer par paires entre elles, on les appellera des couples. Les couples veulent se parler entre eux et ne sont pas du tout intéressés par ce que disent les autres personnes. Afin que ces conversations puissent avoir lieu, tentons de définir les différentes possibilités pour chaque conversation. Appliquons tout d’abord l’analogie aux systèmes d’accès multiple par accès de fréquence. Ce système peut être représenté par la construction de murs très épais hermétiques au sein de la salle, créant ainsi plusieurs petites salles. Chaque couple entrerait dans une salle et pourrait se parler sans être gêné par les discussions des autres couples. Cela s’appelle le FDMA et est principalement utilisé dans les systèmes analogiques. Dans un système d’accès multiple par répartition de temps (TDMA dans le cas du GSM), chaque couple parlerait dans la grande salle chacun à son tour. Chaque couple aurait le droit de parler un certain temps pendant lequel les autres couples se tairaient. Ils s’échangeraient ainsi le temps de parole à tour de rôle. Dans le contexte d’accès multiple par répartition par code (CDMA dans l’UMTS), chaque couple parlerait une langue différente. Les couples peuvent parler en même temps de n’importe quel endroit de la salle. L’analogie réside dans le fait que les langues sont ici les codes. De plus, on suppose que les couples ne comprennent pas les langues des autres couples. Le langage apparaît ici comme un filtre, si bien que les Français ne peuvent pas comprendre la conversation du couple allemand ou celui de l’espagnol voisin. Cette technique a bien sûr des limites puisque nous ne pouvons plus ajouter de couples dès lors que le bruit ambiant généré par les autres discussions devient trop important (pour s’écouter). L’OFDM, qui est à la base du LTE, est une version numérique du FDMA où l’on a pu construire des murs très hermétiques extrêmement fins sans perdre de place. Ceci augmente l’efficacité des transmissions de manière phénoménale en utilisant tout l’espace disponible !

Quelles sont les différences entre la 3G et le LTE ?

Le LTE peut fournir des débits de l’ordre de 100 Mbps, ce qui est de 5 à 10 fois supérieur à la 3G. C’est donc un gain en débit énorme, et l’évolution du LTE vers la vraie 4G (connue sous le nom de LTE Advanced) permettra des débits de l’ordre de 1 Gbps avec un faible temps de latence. En principe, le déploiement est également plus simple en LTE parce qu’il y a moins d’éléments de réseaux, aussi bien dans l’accès que dans le cœur. Des fonctions de type SON (Self-Organized Networks) sont en principe destinées à simplifier le déploiement en automatisant certaines fonctions qui, autrefois, étaient manuelles et à la charge de l’opérateur, mais on n’a pas encore beaucoup de recul sur leur fonctionnement dans des réseaux réels. Le LTE amorce également la fin de la voix commutée sur les réseaux mobiles avec un passage vers une architecture tout IP, ce qui est une vraie révolution. C’est aussi un vrai challenge car, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le LTE, dans sa version déployée actuellement, ne fournit pas de la voix mais uniquement des données. On surfe principalement sur Internet avec des clés USB sur son ordinateur ou avec un smart-phone. C’est de l’ADSL sans fil et non de la téléphonie mobile ! Pour appeler, il faut passer par la 3G ou la 2G. L’introduction de la VoLTE (Voice over LTE) commence cette année et prendra encore un certain temps pour avoir la qualité requise.

Peut-on passer de la 2G directement au LTE ?

Oui, bien sûr. Le coût n’est pas moindre en passant par la 3G d’abord. Au contraire ! Car la 3G est encore un réseau pleinement différent de la 2G et du LTE. Passer par la 3G d’abord implique donc un coût énorme. Ce qui est certain par contre est qu’il est possible de négocier les prix au rabais de l’infrastructure 3G en raison de la fin de son cycle, c’est ce que voulaient faire les opérateurs en Algérie. En effet, il faut savoir que les cycles de génération mobiles sont de l’ordre de 20 ans. La 2G a évolué de 1990 à 2010, la 3G a commencé dans les années 2000 et finira son cycle vers 2020 et donc par conséquent les équipements commencent à être bradés, le LTE commence maintenant et finira son cycle en 2030 et la 5G est prédite pour 2020 jusqu’à 2040.

Avec des gains de débits aussi énormes et une durée de vie qui se réduit, pourquoi hésiter entre la 3G et la 4G en Algérie?

Très bonne question ! Il existait plusieurs raisons à cette hésitation. La 3G est une technologie dans une bande unique à 2.1 Ghz au niveau mondial, ce qui permet à un terminal d’être utilisé n’importe où dans le monde. La 3G a fait ses preuves en termes de performances, sécurité du réseau avec une pléthore d’experts mondiaux que l’on peut mettre en concurrence. Il n’existait par contre qu’une poignée d’experts LTE (car la technologie en est à ses débuts) et la convergence de l’IP avec les télécoms pouvait entraîner des problèmes de sécurité nationale encore importants. A mes yeux, le problème le plus important était la fragmentation du spectre. Aux Etats-Unis, le LTE a été mis en œuvre dans les bandes de 700 Mhz ; au Japon, NTT Docomo utilise la bande de 2.1 Ghz ; en Europe, les bandes de 2.6 Ghz et 800 Mhz sont utilisées. Pour l’Algérie, cela implique qu’il faut s’aligner avec la technologie d’un pays avec toutes les conséquences que cela peut avoir en termes d’achats de terminaux (car un terminal LTE américain par exemple ne peut pas fonctionner en France) et de souveraineté nationale. Car il faut le rappeler, nous importons toute la technologie, téléphones portables compris. De plus, le choix du spectre est critique et ce n’est pas une mince affaire. Il faut des experts chez nous capables de prendre les bonnes décisions et de comprendre les interférences avec les systèmes existants. Le choix de la bande de 2.6 Ghz et 800 Mhz en France s’est révélé plus mauvais que prévu : les installations TV sont mal protégées contre le LTE à 800 Mhz et le déploiement du LTE à 2.6 Ghz pose des problèmes de brouillage des radars que nous sommes en train de résoudre. Le choix des 700 Mhz aux Etats-Unis ne connaît pas par contre ce problème. Enfin, se pose la question de la disponibilité et du coût des smartphones LTE compatibles avec les bandes de fréquences que nous choisirons en Algérie. Je vous rappelle qu’un réseau de télécommunications sans terminal mobile n’a aucun sens. Il faut savoir que ce n’est que le 15 décembre dernier que le premier smartphone LTE en bande 2.6 GHz a été commercialisé. Il était donc inutile de parler de LTE à 2.6 Ghz avant début 2012 en Algérie ! On compte par contre plus d’une dizaine de smartphones LTE en bande 700 MHz sur les réseaux des opérateurs américains. Les opérateurs algériens voulaient sûrement également s’aligner sur les bandes de fréquences européennes pour profiter des juteux bénéfices obtenues lors des contrats de roaming. Ceci ne pouvait que retarder le déploiement du LTE jusqu’à une disponibilité complète de différents types de terminaux dans les bandes européennes. Sans compter qu’il fallait, jusqu’à la disponibilité complète du VoLTE (donc 2013), faire fabriquer des terminaux LTE incluant la 2G pour pouvoir appeler en Algérie. Les terminaux mis sur le marché cette année incluent le LTE avec un repli uniquement sur la 3G.

Que faut-il faire finalement ?

Le problème algérien est un problème de timing. Avant fin 2009, il est clair qu’il fallait passer à la 3G. De 2010 à fin 2011, les hésitations entre la 3G et la 4G faisaient sens à la lumière de tout ce dont nous avons discuté. A force de traîner, il est clair que nous entrons dans quelques mois en 2013 et la question, par conséquent, ne doit plus se poser. Il faut passer au LTE sans hésitation. Le choix de la bande est discutable mais peut être bouclé rapidement. Il faut également mutualiser l’infrastructure LTE, ce qui permet de réduire les coûts. Enfin, il faut savoir dans tous les cas que beaucoup de grands constructeurs de réseaux sont à l’agonie, voire en faillite en ce moment et donc c’est la période idéale pour que les opérateurs puissent négocier. Dans un cas réaliste, il y aura à mon sens trois périodes : durant l’année 2013-2014, les gens utiliseront le GSM pour leurs appels et feront de l’internet mobile partout en Algérie avec des clés USB LTE peu chères à 100 Mbps. Ceux qui ont des smartphones et tablettes pourront également surfer. Les Algériens en sont très demandeurs. Cet ADSL sans fil haut débit donnera immédiatement le coup de fouet nécessaire afin de créer un écosystème de services pour fournir du contenu propre à l’Algérie. A partir de 2014, l’utilisation croissante des smartphones avec le VoLTE fera oublier progressivement le GSM et permettra aux Algériens de surfer et appeler directement avec leur mobile. A partir de 2015, l’Algérie pourra passer au stade supérieur et migrer de manière transparente vers un réseau véritablement 4G grâce au LTE Advanced.

M. B.