Il devait être aux alentours de 10h du matin dans notre hôtel de Marrakech où une grande partie des supporters algériens a pris ses quartiers, lorsque les premiers supporters courageux arrivaient au réfectoire où était servi le petit-déjeuner. Même s’ils étaient en position verticale, leur façon de marcher peu alerte indiquait au premier regard, qu’ils étaient encore dans les bras de Morphée.
Je décide, pour mettre un peu d’huile sur le feu, le supporter algérien étant très susceptible, de dire à l’un d’eux, qui avait l’air le plus mal en point : «Vous êtes déjà fatigués alors que le match ne commence que dans dix heures ?»
Immédiatement, Abderrahmane, un supporter venu de Tlemcen, nous fait remarquer que si les supporters algériens sont fatigués, ce n’est pas parce qu’ils manquent de «peps», c’est juste parce qu’ils sont rentrés à l’aube, après avoir honoré une invitation à dîner du gouverneur de Marrakech, qu’ils n’avaient quasiment pas dormi, et qu’ils allaient enchaîner comme cela jusqu’au match. Abderrahmane ajoutera : «Supporter l’Algérie durant 24h non stop, plus qu’une passion, c’est devenu un travail !» N’oublions pas qu’immédiatement après le match, le marathon ne prendra pas fin pour autant, car, les Algériens, qui reprendront immédiatement le chemin du retour, devront attendre de retourner à la maison pour goûter à un repos bien mérité. Cette journée du 4 juin 2011, qui avait en fait commencé la veille à 18h avec la réception donnée par le gouverneur de Marrakech, restera vraiment pour les supporters algériens comme le jour le plus long.
Le gouverneur de Marrakech honore l’Algérie
A une époque, nous nous étions habitués à relater, avec un certain fatalisme, des incivilités, des coups de Jarnac et même d’embuscades visant nos joueurs, les avant-matches de cette double confrontation Maroc-Algérie resteront dans l’histoire comme l’exemple à suivre par tous les pays africains et tous les pays frontaliers, ou a forte rivalité sportive à caractère derby, dans toutes les contrées de notre belle planète. Comme nous vous le relations pour la ville et les autorités d’Annaba en mars dernier, tout a été fait, ici, à Marrakech, pour que tout se passe de la meilleure des façons, et cela depuis l’arrivée des Algériens au Maroc. La dernière initiative qui était à signaler étant l’invitation à dîner, hier soir, du gouverneur de Marrakech, le wali comme on l’appelle ici, à un grand dîner où le seul carton d’invitation à présenter pour entrer était le passeport vert frappé en doré des armoiries de l’Algérie.
Plus qu’une réception, une garden-party.
L’hospitalité légendaire et séculaire du Maroc n’est pas un mythe, et le gouverneur de Marrakech l’a prouvé hier en mettant vraiment les petits plats dans les grands et rien n’a été laissé au hasard. Dès 15h, les réceptions des hôtels ont commencé à prévenir leurs pensionnaires algériens qu’à 18h, un autobus affrété par le wali viendrait récupérer les Algériens qui le désirent à une invitation à une réception dîner spectacle pour que règne le fair-play et pour sceller définitivement l’amitié des peuples marocain et algérien. Nos compatriotes ont été surpris lorsqu’ils sont arrivés sur les lieux de la réception, puisqu’il s’agissait du restaurant «Chez Ali », l’un des restaurant les plus célèbres et les plus select de Marrakech. A leur descente du car, c’est Son Excellence Mohamed Mhidiya, le wali lui-même, qui les a accueillis personnellement sur le perron du restaurant et s’est prêté au jeu des photos souvenirs sans problème.
A l’intérieur, les Algériens ont eu droit à la totale, un repas à en faire saliver les plus grands gastronomes, buffet d’hors-d’œuvre en tout genre, chorba frik, tajines en tout genre, couscous et, bien sûr, le traditionnel agneau méchoui entier. Côté animation, les groupes musicaux folkloriques ont mis le paquet et cette nuit magique s’est terminée en apothéose par une fantasia digne des Ouled Naïl de chez nous et un feu d’artifice avec des effets pyrotechniques d’avant-garde. De retour à l’hôtel, les Algériens avaient des étoiles dans les yeux. Gageons qu’une victoire des Verts ce soir sera l’apothéose.
13h30, direction Djemaâ El-Fna pour les supporters
C’est après un petit-déjeuner pris à la dernière seconde, une petite sieste réparatrice et une bonne douche revigorante, que nos supporters, vêtus de leurs tenues d’apparat, celles des grand matchs et des grands jours, sont allés défier les supporters des Lions de l’Atlas, sur la célèbre place Djemaâ El- Fna, devenue «la ligne de front» bon enfant de la chambrette entre supporters des deux équipes, pour tuer le temps qui les sépare du match et s’échauffer la voix. Pour utiliser un langage de théâtre, le stade étant aussi une arène, l’après-midi à Djemaâ El-Fna sera une sorte de répétition générale avant la grande première.
Le chauffeur de taxi qui rebaptisa le 5-Juillet
Alors que nous rejoignions la place Djemaâ El-Fna, pour aller essayer de vous faire partager des moments sympathiques et capter, grâce à nos objectifs d’appareils photos, des petits moments forts, le chauffeur de taxi, qui nous emmenait le long de la longue avenue Mohammed VI, nous a donné sa propre version de l’origine du nom du stade du 5-Juillet d’Alger. Il était persuadé que le chiffre 5 du nom du stade avait été choisi pour honorer la victoire des Verts en 1979, face au Lions de l’Atlas, au stade de Casablanca (5 buts à 1), un match, qui, selon lui, était une sorte de victoire de l’Algérie et d’une «nagba» marocaine. Il était tellement sûr de son fait que nous avons eu tout le mal du monde à le convaincre que le stade portait le nom de la date de l’indépendance de notre éternelle Algérie, le 5 juillet 1962.
16h, direction le Grand Stade de Marrakech
C’est aux alentours de 16h que nos supporters ont, enfin, pris la direction du Grand Stade de Marrakech, les mieux encadrés et organisés par bus, et les autres par leurs propres moyens.
Même si l’ambiance bon enfant qui régnait ces derniers temps a laissé place à une tension plus forte, qui se rapproche plus du chauvinisme et du mouvement ultra, que l’on a l’habitude de voir dans les stades de football d’Europe, d’Amérique du Sud et bien sûr d’Afrique du Nord. Il n’y a qu’à voir le regard des gens pour se rendre compte que c’est désormais du sérieux, on ne joue plus, l’enjeu capital du match vient de refaire apparition chez des supporters qui étaient jusque- là dans une insouciance «Club-Med» dans cette ville touristique qu’est Marrakech. Le stade de Marrakech, qui a été ouvert à 13h, au mépris du règlement de la FIFA qui exige une ouverture 3h avant le match. Tout le monde est en place, hymnes nationaux, poignées de mains aux autorités et place au show.
Un dispositif sécuritaire renforcé
Ces dernières heures, avec l’arrivée en masse de supporters marocains des quatre coins du royaume et principalement, pour les plus chauvins d’entre eux, de la ville de Casablanca, qui devait recevoir la rencontre, la tension est montée d’un cran. Immédiatement, les autorités marocaines ont rectifié le coche et se sont adaptées en renforçant le dispositif sécuritaire. Bien que rien n’ait été confirmé par les autorités de la ville détachées à la sécurité, il n’y avait qu’à voir devant tous les espaces stratégiques de Marrakech et les grands axes, ce matin, le doublement de la présence policière et les inscriptions en arabe «renfort» sur des voitures banalisées.
500 places supplémentaires en vente
La presse marocaine de ce matin annonce que 500 places supplémentaires ont été mises en vente pour essayer de satisfaire une partie des supporters des deux camps qui avaient convergé vers Marrakech, sans billet dans l’espoir d’en trouver un. Alors que ces derniers jours, les places se vendaient jusqu’à 1 000 dirhams au marché noir, il semble que l’heure du match approchant, les prix soient revus à la baisse puisqu’on les trouvait ce matin à 300 dirhams chez les vendeurs à la sauvette.
Cheb Hamza, l’escaladeur de pylône, est aussi présent
Nous avons eu l’agréable surprise de voir le «supporter des Verts-chanteur», cheb Hamza, dans les gradins du stade de Marrakech. Cheb Hamza, qui ne rate jamais un déplacement de l’équipe nationale, est devenu mondialement célèbre lorsqu’il a escaladé le pylône supportant les projecteurs du stade de Polokwane, lors du match Algérie – Slovénie (Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud). La dernière fois que nous avons vu cheb Hamza, il était entouré de deux policiers sud-africains qui l’expulsaient manu militari du stade. Beaucoup de versions ont, à l’époque, circulé sur le destin de cheb Hamza, certains disaient qu’il avait été expulsé sur le champ, d’autres qu’il avait été emprisonné, et les derniers qu’il avait été relâché. Renseignement pris auprès de l’intéressé, après sa descente du pylône, il a été emprisonné 8 jours, puis libéré. Il n’aura pu voir en live que quelques minutes du match Algérie – Slovénie qui l’ont immortalisé pour la postérité dans le Hall Of Fame du supporter Fennec.
Equipe du Maroc : petites tensions au sein du groupe
Selon certaines indiscrétions de journalistes marocains présents à nos côtés et qui sont informés minute par minute de ce qui se passe au sein des Lions de l’Atlas, il semble que le groupe marocain est en train de se fissurer à la suite du départ d’Adil Taraâbt, victime de l’efficacité à l’entraînement de Benattia. Ce matin, les Lions de l’Atlas se sont réveillés, en plus de la tension et la pression normale que ce genre de rencontre produit, avec en plus un schisme entre anti et pro-Adil Taârabt. De petits problèmes pareils n’étant pas le meilleur moyen d’aborder un match dans la sérénité.
Kouider Frenda est bel et bien présent
Le monde des supporters algériens est un monde multicouche. Il y a les supporters occasionnels, qui viennent que lorsque les résultats sont là ou lorsqu’il y a une CAN ou un grand match prestigieux, puis il y a le noyau dur, «la secte» des supporters des Verts inconditionnels, qui, eux, se comptent sur les doigts d’une seule main et qui, quels que soient les résultats, le danger et le prix du déplacement, sont et seront toujours là quel qu’en soit le sacrifice.
Kouider Frenda, un militaire à la retraite, originaire de Tiaret, est de ceux-là. Cela fait 30 ans qu’il suit l’équipe nationale de football, avec ses petits moyens en dormant dehors comme en Angola, en frôlant la mort comme en Egypte, ou en se nourrissant de gaufrettes comme en Afrique du Sud, il ne ratera le spectacle d’un match des Fennecs pour rien au monde. Kouider Frenda était bien là, avec son drapeau algérien qui a fait toutes les guerres, son traditionnel message de paix sur le t-shirt, pour supporter l’Algérie, le dernier combat de ce militaire à la retraite.
B. M.