« Le haut débit et le contenu doivent aller de pair»

« Le haut débit et le contenu doivent aller de pair»

merouane-debbah-2_857826_679x417.JPGSollicité sur la question du déploiement de la 4G en Algérie, Mérouane Debbah, professeur à CentraleSupélec et directeur du Laboratoire Mathématique de Huawei à Paris, plaide pour la généralisation du haut et du très haut débit à un prix abordable. Pour se faire, dit-t-il, il faut sortir des schémas classiques mettant le problème du décollage soit sur le contenu ou sur le déploiement du haut débit. Les deux doivent aller de pair avec une forte politique publique dans ce sens.

L’Econews : La révolution des technologies de l’information et de la communication se poursuit en Algérie. Après la 3G, la téléphonie mobile de 4e génération arrive. Qu’apporte la 4G par rapport à la 3G ? Quel est le marché cible pour la 4G ?

Mérouane Debbah : Tout d’abord, il faut savoir que les premiers déploiements de la 4G datent de 6 ans. La technologie phare de la 4G est le LTE (Long Term Evolution) avec la volonté  claire de fournir du Haut Débit  Internet Mobile pour tous. A titre de comparaison, la 2G et la 3G avaient respectivement comme prérequis de départ de fournir de la voix en mobilité et de la visiophonie. Il y a actuellement 148 pays qui déploient la 4G et 442 réseaux commerciaux dans le monde.  C’est sans aucun doute un succès technologique avec des débits moyens de l’ordre de 40 Mb/s mesurés. Les premiers succès commerciaux (aux USA en particulier en 2010) ont été dans la possibilité de fournir du haut débit sans fil avec des clés USB branchés dans des PC dans les zones reculées (un équivalent de l’ADSL sans fil). Depuis, l’utilisation généralisée des tablettes et smartphones permet d’avoir une « expérience » 4G en mobilité. Il est à noter qu’un support mobile 4G n’est pas plus cher qu’un support mobile 3G. En effet, la cherté par exemple d’un smartphone 4G ne vient pas de la puce mais de la nouveauté du smartphone avec l’ensemble des technologies sophistiquées qui se greffent autour (caméra, image, mémoire, etc).  Il faut savoir que la 4G évolue dès cette année, via un upgrade du réseau 4G,  vers la 4.5G avec  60 réseaux commerciaux dans le monde.  Des débits de 1Gbps ont été démontrés par les opérateurs dans des pays tels que le Canada, la Norvège, l’Allemagne, la Turquie, les Emirats Arabes Unis, la Chine, Hong-Kong et Singapour. Cette évolution de la 4G permet le stockage dans le cloud qui est gourmand en bande passante, de la vidéo avec une qualité 2K à 4K et la réalité virtuelle sachant que les premiers smartphones 4K seront lancés dès cette année.  Des constructeurs offrent dès cette année des casques de réalité virtuelle pour tout achat de  smartphone.  Une expérience 4.0 est aussi possible sur ce type de réseaux avec de la voix HD (Haute Définition) et de la video HD. On peut ainsi déployer à grande échelle de la vidéo-surveillance (sur des lampadaires), de la reconnaissance de plaque d’immatriculation sur des sites très éparpillés à un coût abordable. Connaissant le nombre d’accidents en Algérie, les problèmes de congestion de trafic routier et de pollution, il y a un réel besoin pour les autorités.  Le télé-travail et la visio-conférence seront également possible avec toutes les fonctionnalités nécessaires. Enfin, dans la 4.5G, il est prévu de pouvoir connecter l’ensemble des objets (la technologie s’appelle le NB-LTE pour narrowband LTE) avec plus de 100 000 connections par cellule. Les applications phares sont le smart home, les smart buildings, la santé, le smart metering et les « wearables ». On voit bien qu’il y a un marché énorme en termes d’applications.

Quels sont, selon vous, les plus importants défis au niveau des TIC auxquels fait face actuellement l’Algérie ?

Il est clair que les défis les plus importants pour l’Algérie sont de fournir du haut et du très haut débit pour tous (que cela soit avec la 4G, la fibre ou une autre technologie) à un prix abordable. Ce sont deux axes très importants pour faire décoller les TIC en Algérie à travers des applications et des contenus adéquats. La 3G a trop souffert d’un prix élevé pour le consommateur. Il n’est pas admissible que le coût de la 3G en Algérie soit quatre fois plus cher qu’en Tunisie par exemple. Il faut que tout le monde s’y retrouve entre les opérateurs et les consommateurs à travers des directives contraignantes des instances de régulation. Il existe différents schémas et nous devons regarder avec attention ce que font les pays voisins et africains (Maroc, Kenya, etc.) dans ce domaine pour profiter de leur expérience en termes de paiement mobile, subventionnement de l’achat du mobile par l’opérateur, etc.  Enfin, l’eco-système de développeurs de contenus et d’applications ne pourra se développer qu’avec un système de monétisation adéquat. Ici, encore, nous devons regarder de très près les pays qui ont eu des expériences similaires aux nôtres en termes de paiement pour bénéficier de leur expérience. Nous regardons toujours du côté européen et américain mais rarement les autres pays. A titre d’exemple, la Chine a pu développer des champions nationaux tels que Baidu, Tencent, Alibaba (équivalent de Google, Amazon, facebook) qui valent des milliards de dollars  avec des techniques de paiement rudimentaires au départ. Ces géants ont été créés en 1999 alors qu’il n’y avait à l’époque que 9 millions de personnes connectés sur une population de 1,2 milliard, soit un peu moins de 1% ! Le dynamisme et l’inventivité asiatique de l’écosystème pour monétiser par différentes formes les applications est de ce point de vue impressionnant.  Il faut donc sortir des schémas classiques mettant le problème du décollage soit sur le contenu ou sur le déploiement du haut débit. Les deux doivent aller de pair avec une forte politique publique dans ce sens.

Entre l’e-commerce et le paiement mobile, il existe une différence de génération de moyens de paiement.  Peut-on  s’offrir des m-paiements à moindre coût ?

Certainement ! Il existe actuellement 3 types de paiement par mobile : les paiements à distance sur les sites de commerce électronique avec la possibilité d’être débité de son forfait mobile ou par carte bancaire, les paiements devant une borne à courte distance avec des technologies telles que le NFC (Near Field Communications) qui vont équiper une grande partie  des smartphones dès cette année et enfin, le transfert d’argent de mobile à mobile et l’achat de crédit téléphonique. De nombreux opérateurs téléphoniques proposent des comptes de monnaie électronique associés au numéro de mobile.  Ce dernier moyen a connu un succès fulgurant en Afrique (M-Pesa au Kenya par exemple). Il faudra dans tous les cas rapidement converger vers une de ces solutions pour bénéficier au maximum de l’impact économique du développement du haut débit pour tous.

Quels seraient, selon vous, les aspects stratégiques à ne pas négliger concernant le développement des TIC en Algérie ?

Il est clair que l’apport de la mise en place du haut débit et du très haut débit pour tous doit participer au développement du pays (entreprises, croissance du PIB, e-education, réduction du chômage, etc) et non juste pour une consommation accrue de contenus importés. Avoir des capacités de stockage de nos données, des capacités d’hébergements de site et de centre de calculs avec une très grande fiabilité font partie de ces aspects stratégiques. Cela doit augmenter l’attractivité de notre territoire à travers une hausse de la productivité du travail, la délocalisation des entreprises sur notre territoire, la baisse des coûts d’approvisionnement et l’efficacité des entreprises à travers une meilleure gestion des ressources. Un exemple parmi tant d’autres et je pourrai en donner des milliers : le marché de l’impression 3D n’est pas de la science-fiction et devrait permettre rapidement de produire des prothèses dentaires à la demande sur notre territoire à une rapidité et un coût abordable. Les coûts et les délais d’approvisionnements dans cet exemple très simple sont directement impactés.