Le grand Antar tire sa révérence «Il faut savoir partir et laisser la place aux jeunes»

Le grand Antar tire sa révérence «Il faut savoir partir et laisser la place aux jeunes»

Lorsque la nouvelle est tombée hier matin, toute l’Algérie s’est arrêtée médusée, sous le choc. Le capitaine de l’équipe nationale et héros d’Oumdourman, Antar Yahia, venait d’annoncer officiellement sa retraite internationale laissant ses admirateurs et les supporters de l’équipe nationale, avec qui il avait tissé des liens si forts, orphelins, et les mots sont pesés

En apprenant cette nouvelle, qui s’était propagée rapidement comme une traînée de poudre, la rue algérienne était partagée. Certains n’y croyaient pas en criant à la rumeur et d’autres, qui avaient eu la confirmation à la radio, étaient effondrés. Le capitaine des Verts, symbole de cette génération mondialiste en Afrique du Sud, une génération dont il était la figure de proue, née dans la douleur à la CAN 2004, souvent décriée, et qui a prouvé en 2009 ce dont elle était capable et la rage de vaincre qui l’animait.

Il a voulu partir par la grande porte

Antar Yahia n’a que 30 ans, puisqu’il est né en 1982, une année historique pour le football algérien, certains diront encore un symbole. Il aurait pu encore jouer une ou deux CAN et disputer la prochaine Coupe du monde en cas de qualification, mais cet homme d’honneur, fier de son pays, de ses origines chaouies et fier de sa région de Sedrata, a préféré tirer sa révérence pour s’offrir le luxe suprême, celui de partir en étant au top, de partir sous les crépitements des flashes et les lumières des projecteurs et ne pas faire le «combat de trop», comme disent les boxeurs et partir par la petite porte. Même si cette décision, pour lui qui avait l’équipe nationale dans ses gènes, a été un véritable crève-cœur, choisir soi-même le moment de son départ, comme Zinedine Zidane ou encore le basketteur Michael Jordan, est la marque des grands.

Gambie-Algérie a été un signe pour lui

Les footballeurs sont souvent sensibles aux signes du destin, et pour Antar Yahia, le scénario du dernier match Gambie-Algérie de Banjul en a été un. L’équipe nationale a encaissé un but par sa faute, il a réagi et a égalisé avec rage pour rattraper son erreur, Feghouli se chargeant du but de la victoire. Il a dû ressasser ce match des centaines de fois dans sa tête. Et si le score en était resté là, 1 à 0 pour la Gambie, sa réputation et l’image qu’il renvoie auraient été ternies et il serait partie par la petite porte. Heureusement, il a pris ses responsabilités, a marqué un but et est revenu au pays avec une réputation intacte et une première victoire historique à Banjul. Etant passé près de la correctionnelle, c’est à ce moment-là qu’il a dû se dire : «J’arrète et je m’en vais par la grande porte !»

En équipe nationale, il devenait «Antar»

Même si son nom de famille Yahia était floqué sur son maillot, sa combativité et son «fighting spirit», c’est son prénom «Antar» que les supporters de l’équipe nationale ont choisi pour scander des chants à sa gloire. Antar Yahia, c’est 53 sélections chargées d’émotion avec les Verts. Ce joueur, qui avait évolué dans toutes les sélections de jeunes du football français, dont il était un grand espoir, qui avait quitté son club formateur le FC Sochaux, pour l’Inter de Milan du grand Ronaldo à seulement 17 ans, a décidé, en ce qui concerne les seniors, jouer pour la sélection de son cœur et de ses racines, la sélection du drapeau dont il fut le premier à arborer en serre-poignet dans la très conservatrice Bastia, celle de l’Algérie. Il a longtemps bataillé pour obtenir le droit de porter le maillot national, et son obstination l’a conduit à être le premier joueur à recevoir le feu vert de la FIFA pour changer de sélection. Le premier «cas FIFA», comme on les appelle, qui a ouvert la porte à tant d’autres. Il nous confia, un après-midi ensoleillé, alors qu’il n’arrivait pas à faire la sieste, à l’hôtel de Lisses, lors du stage précédent Algérie-Sénégal, qui allait être le début de cette formidable aventure Coupe du monde, qu’il n’avait absolument rien ressenti lorsque retentissait l’hymne français, La Marseillaise, lors de toutes ses sélections de jeunes, mais que des frissons et un énorme trac l’ont envahi dès les premières mesures de l’hymne national Qassaman. Pour lui, l’EN ce n’était pas un choix, mais une évidence.

Antar, le guerrier !

A son arrivée en 2004, Antar Yahia était le jeune expatrié talentueux, venu avec quelques-uns de ses compatriotes de l’autre côté de la Méditerranée, faire son devoir pour la nation. Pour les supporters, Antar Yahia, c’était le petit jeune de 21 ans qui savait bien défendre, beau gosse et très «fashion» avec des coupes de cheveux originales pour l’époque qui changeaient chaque semaine. Au fur et à mesure des matchs, celui que le public a baptisé «Antar» est devenu un véritable guerrier, il est devenu l’hymne et le symbole de cette génération, celle des Ziani, Bougherra, Belhadj, ect. On appelle souvent la génération des années 1980, la «génération Madjer», aujourd’hui, on nomme celle de South Africa 2010, la «génération Antar», car lors des éliminatoires de la Coupe du monde 2010, qui ont commencé en 2008, il a toujours porté l’équipe nationale et était décisif jusqu’au bout. De ses buts face à la Gambie et au Sénégal à Blida sur des balles arrêtées, à l’apothéose du but venu d’une autre galaxie, dans le Merreikh Stadium d’Oumdourman (encore un signe) de Khartoum, un but de plus de 100 km/h qui a envoyé tous les Algériens dans la stratosphère. Ce but rageur qui le résume bien est devenu son symbole comme la talonnade est devenue celle de Rabah Madjer.

Antar, l’homme de la trilogie égyptienne

Les grands joueurs sont connus pour donner leur plénitude physique et mentale dans les moments difficiles. Nous pouvons dire sans faire offense au reste de l’équipe, que l’homme qui a porté à la fois, psychologiquement et physiquement l’équipe lors de ce déplacement de la honte au Caire qui les a menés ensuite jusqu’au Soudan, c’était bien Antar. Après le caillassage, c’était le plus virulent en interview et on sentait une rage énorme en lui face aux médias du monde entier, lorsqu’il parlait de l’agression de ces hooligans égyptiens. Une rage qu’il a su transmettre à tout le reste du groupe, surtout les joueurs les plus jeunes et les plus calmes à qui il a demandé de faire face sur le terrain comme avaient fait face les moudjahidine lors de la Guerre de Libération nationale. Alors qu’il était blessé gravement à la cuisse et que son club le menaçait de sanctions graves pouvant aller jusqu’au licenciement s’il jouait blessé, Antar a joué au Caire blessé, a joué au Soudan blessé et s’est même payé le luxe d’entrer dans la légende et l’histoire algériennes, pas seulement celle du sport, mais l’histoire, la vraie, avec un grand H.

Un futur grand entraîneur national

Sans toi Antar, l’équipe nationale n’aura plus tout à fait la même saveur. Ton élégance sur le terrain et tes buts décisifs nous manqueront. Ton charmant accent de l’est algérien fera aussi cruellement défaut dans le paysage audiovisuel national, mais ce qui nous manquera le plus, c’est ton tempérament de leader naturel du groupe. Nous te souhaitons encore une longue carrière en club et nous espérons que comme tu nous l’avais indiqué en marge du match Algérie-Centrafrique à Blida, te voir intégrer le staff de l’équipe nationale dans un futur proche ou lointain. Salut, merci pour tout et encore bravo l’artiste.

Mohamed Bouguerra

«Je suis fier d’avoir joué et servi l’Algérie»

Cela fait près d’un mois que l’idée de raccrocher avec l’équipe nationale a cogité dans la tête d’Antar Yahia. C’est le concerné lui-même qui nous l’a confirmé hier dans un entretien amical. En effet, il y a 20 jours, le capitaine des Verts a décidé de prendre attache avec Vahid Halilhodzic afin de lui faire part de sa décision. Mais le Bosniaque a essayé durant cette période de le dissuader et espérait qu’Antar change d’avis. Mais le défenseur algérien a campé sur sa position et a donc annoncé à son coach ainsi qu’au président de la Fédération sa décision de prendre sa retraite internationale. Ce fut après le dîner et la cérémonie où Yahia a été honoré en compagnie de son ancien coéquipier Yazid Mansouri, puisqu’une médaille de l’Ordre du mérite national leur a été remise.

A à peine 30 ans, le joueur du FC Kaiserslautern a donc jugé utile que c’était le bon moment de partir. Il choisit de sortir par la grande porte sur un but marqué à Banjul et une victoire de deux buts à un contre la Gambie. Antar Yahia a porté le maillot national à 53 reprises et en a inscrit six buts.

«Je remercie le coach d’avoir respecté ma décision»

S’exprimant sur cette décision sur le site officiel de la FAF (www.faf.dz), Antar Yahia dira à ce sujet : «C’était pour moi une décision très difficile qui m’a demandé à réfléchir pendant longtemps, mais à un moment donné, il faut savoir partir et laisser la place à une nouvelle génération qui arrive pour construire quelque chose de beau en équipe nationale. C’est une décision qui me fait mal au cœur, car une grande histoire d’amour me lie à l’équipe nationale et au public algérien avec qui j’ai partagé des moments d’émotion tout au long de ma carrière internationale. Je souhaite de tout cœur bonne chance à l’équipe nationale et surtout pour ses prochaines échéances et je resterai le supporter numéro un de l’équipe nationale durant ces prochains matches», dira Antar Yahia, avant d’ajouter : «Je tiens à souligner que durant toute ma carrière internationale, je n’ai jamais eu de problèmes ni avec mes coéquipiers ni avec mes entraîneurs ni avec les responsables du football, car l’éducation, le fair-play et la sagesse sont mes devises dans le football et dans ma vie en général. Je remercie le président de la FAF et l’entraîneur national qui ont respecté ma décision. C’est une page qui se tourne pour moi, mais j’espère que d’autres joueurs amoureux du pays et des couleurs nationales pourront également graver leurs noms en écrivant d’aussi belles pages pour le football national, car jouer pour le maillot national est une lourde responsabilité. Je suis fier d’avoir joué pour mon pays et d’avoir servi l’Algérie avec tous les souvenirs que je garde, et en particulier la qualification historique de l’équipe nationale pour la Coupe du monde en Afrique du Sud-2010, car ce sont des moments qui restent gravés dans la mémoire.»

A. H. A.

Lemouchia : «Il a estimé que c’est le bon moment, respectons sa décision»

«Je pense que si Antar a pris cette décision, c’est que cela a été mûrement réfléchi. Antar est quelqu’un d’intelligent et ne fait pas les choses sur un coup de tête. Il a estimé que c’était le bon moment de partir et il faut lui rendre hommage. C’est aussi un joueur qui a tout le temps montré son amour pour le pays à plusieurs reprises. Antar s’est toujours battu et a toujours répondu présent, notamment à l’époque où l’équipe nationale n’était pas sous les projecteurs, comme c’est le cas actuellement. Personnellement, je tiens à le féliciter pour son magnifique parcours avec les Verts. Je ne vous cache pas aussi que ça me fera très bizarre de ne pas le trouver en sélection, car il a toujours fait partie de cette équipe, mais connaissant la personnalité d’Antar, je suis certain qu’il restera un fervent supporter des Verts et qu’il n’hésitera pas à nous soutenir lorsque ça sera utile. Je lui souhaite bonne chance pour la suite de sa carrière, car elle n’est pas encore finie et aussi dans sa vie.»

Djebbour : «Un monument qui s’en va»

«Antar Yahia est un joueur qui s’est engagé à fond avec l’équipe nationale et qui s’est toujours battu sur le terrain pour les couleurs nationales. Cela fait cinq ans que je suis en sélection avec l’équipe A et Antar a toujours fait partie de cette équipe. C’est un joueur qu’il faudra impérativement honorer pour tout son parcours durant sa carrière internationale, car c’est un vrai patriote. Il a beaucoup donné et fait pour cette équipe nationale. En fait, c’est tout simplement un monument de cette équipe nationale qui s’en va, comme il y en a eu dans le passé et comme il y en aura certainement à l’avenir. Il faut donc lui rendre hommage.»

A. H. A.

Halilhodzic : «Sa décision, il l’a prise il y a 20 jours…»

L’entraîneur national, Vahid Halilhodzic, que nous avons réussi à joindre hier en fin de matinée et qui a bien voulu répondre à nos questions, malgré ses engagements avec la FAF, regrette beaucoup le départ de son capitaine. Il avoue avoir essayé de le dissuader, mais rien n’y fait. Le coach des Verts estime que Antar Yahia a choisi de partir sur un but et une victoire à l’extérieur, en clair sortir par la grande porte, et qu’il ne pouvait que respecter son choix.

– Antar Yahia a décidé de prendre sa retraite internationale, un commentaire…

– J’ai longuement discuté avec lui hier (ndlr, entretien réalisé hier en fin de matinée) et c’est là qu’il m’a fait part du fait qu’il ne reviendrait pas sur sa décision prise il y a quelques jours, à savoir prendre sa retraite internationale…

– Vous dites une décision qu’il a prise il y a quelques jours…

– Tout à fait. On s’est parlé il y a une vingtaine de jours et il m’a informé de son souhait et de la décision qu’il comptait prendre. Franchement, je pensais qu’il allait changer d’avis, d’autant plus que j’ai essayé de le dissuader, mais, hier, j’ai bien compris qu’il était ferme dans sa prise de décision…

– Hier, encore, vous aviez essayé de le dissuader…

– Oui, mais j’ai tout de suite vu que sa décision était ferme et irrévocable. En fait, la décision qu’il a prise est mûrement réfléchie et je ne pouvais donc que la respecter. Mais je tiens quand même à rendre hommage à ce joueur qui a tant donné à l’équipe nationale. Je suis vraiment triste et je le regrette beaucoup, et c’est vraiment dommage, mais c’est comme ça…

– C’est votre capitaine qui s’en va à quelques semaines d’un stage important…

– Tout à fait, en plus d’être un cadre et l’un des piliers du groupe, c’est le capitaine de l’équipe nationale d’Algérie. Il a choisi de partir sur une victoire à l’extérieur et un but qu’il a inscrit en Gambie. Je pense aussi qu’il n’a pas beaucoup apprécié les nombreuses critiques dont il a été victime au cours de ces dernières semaines, des critiques sur l’axe central injustifiées pour la plupart, et c’est pour cette raison qu’il a jugé utile de s’arrêter maintenant. Mais il est resté digne et il part la tête haute.

– Ça va certainement chambouler vos plans pour les trois matchs à venir…

– Bien évidemment. Comme je viens de vous le dire, c’est le capitaine de mon équipe qui part et qui, de surcroît, est un joueur titulaire. C’est clair que ça me posera des problèmes, mais je me dois à présent de trouver des solutions…

– Cette décision influera certainement aussi sur le groupe…

– Oui, mais Antar a prévu de nous rendre visite durant notre stage pour, justement, expliquer son choix et la décision qu’il vient de prendre. Une fois de plus, je regrette beaucoup son départ, mais en même temps, je me dois de respecter sa décision.

A. H. A.

Vahid avait les larmes aux yeux

Connu pour ne pas montrer ses émotions, cette fois-ci, dans la soirée de lundi, Vahid Halilhodzic n’a pas pu rester indifférent à l’annonce par son capitaine de sa décision de prendre sa retraite internationale. En effet, certaines personnes présentes et proches du Bosniaque nous ont affirmé qu’il était tellement triste qu’il avait les larmes aux yeux. Hier encore, lors de notre entretien téléphonique, nous avons bien ressenti à quel point Halilhodzic regrettait son capitaine. C’est dire qu’en plus d’avoir perdu un des piliers des Verts sur le terrain, l’équipe nationale perd aussi un grand homme en la personne d’Antar Yahia.

Saâdane : «Merci Antar le patriote»

«Antar Yahia et Karim Ziani sont deux joueurs qui m’ont marqué en tant qu’entraîneur. J’ai fait intégrer ces deux éléments en 2003 avec l’équipe nationale espoirs et ils ont prouvé et montré durant toutes ces années qu’ils méritaient de porter les couleurs nationales en défendant corps et âme le drapeau de l’Algérie. Ce sont de vrais patriotes dont les noms resteront gravés à jamais dans la mémoire des Algériens. Enfin, j’ai tellement de souvenirs avec ces deux joueurs que je ne peux que leur rendre hommage et souhaiter à Antar une bonne continuation dans sa vie de joueur et dans sa vie d’homme. Et incha Allah, beaucoup de belles choses. Personnellement, je le remercie pour tout ce qu’il a donné tout au long de sa carrière en équipe nationale.»

A. H. A.

Merzekane : «Il a pris une sage décision»

«Je pense qu’il est tout à fait normal qu’il prenne une telle décision. En tous les cas, c’est sage de sa part de songer à sa retraite internationale, car, à mon avis, il a beaucoup fait pour cette EN. D’ailleurs, il a disputé une phase finale de la Coupe du monde, en plus d’une demi-finale de la CAN et ce n’est pas donné à tout joueur de réaliser un parcours pareil», avant de poursuivre : «Aucun joueur ne peut tenir convenablement son rôle dans une équipe nationale et un club en même temps. Les longs voyages et la fatigue vont avoir raison de lui. En plus, à 30 ans, il aura plus de chances de gagner des titres dans son club qu’en EN. C’est pour cela que j’ai dit qu’il a pris une bonne décision.»

«Je salue son courage»

«Je pense que dans le poste où il joue, on a beaucoup de joueurs qui sont susceptibles de le remplacer. Au niveau de l’axe de la défense, l’Algérie regorge d’éléments qui peuvent lui succéder. C’est vrai qu’il y a des postes sensibles, difficiles à remplacer, mais celui de la défense, on ne se fait pas de souci. Je salue son courage, car il a bien médité avant de réagir. Il a réalisé qu’il est nécessaire de laisser la place aux jeunes générations. Ce n’est pas tous les joueurs de la planète qui ont tendance à prendre des décisions pareilles.»

S. A.