Le gouvernement est en campagne contre les revendications salariales. Objectif : expliquer aux Algériens que le budget de l’Etat, de plus en plus déficitaire, ne le permet pas, sauf à sacrifier les plans de développement destinés aux générations futures.
C’est ce qu’il convient de déduire des récentes interventions des hauts responsables, qui ne cessent de faire le lien entre les déficits budgétaires et les hausses des salaires. Cette fois, c’est le ministre des Finances, qui en a rajouté une couche en faisant le lien entre la situation financière du pays et les incertitudes du marché pétrolier. M. Karim Djoudi, lors des travaux de l’APN ce jeudi, a, en effet, déclaré que la tendance à la baisse que connaissent actuellement les prix mondiaux du pétrole, conduit l’Algérie à adopter « plus de prudence » en matière de politique budgétaire, avant d’avertir contre l’effet d’une augmentation démesurée des salaires dans les prochaines années.
On relève, d’après ce qu’il a dit ce jeudi, une précaution de langage envers les syndicats. Le ministre des Finances n’a pas voulu qualifier les dernières hausses des salaires de concessions faites par les autorités, et encore moins d’action sociale de l’Etat, mais a déclaré que « les augmentations de salaires, décidées en 2009, ont été faites soit pour un besoin de rattrapage soit pour un besoin de restructuration ». Mais il ajoutera juste après que « pour ce qui est du rattrapage, il faut être très prudent, car si on va au-delà, on mettra en difficultés l’avenir de nos équilibres budgétaires ».
Avant de lâcher tout de go : « la prudence nous oblige aujourd’hui à être beaucoup plus nuancés sur les augmentations de salaires ». Aux arguments macroéconomiques, le ministre des Finances a ajouté un autre, d’ordre micro-économique. « Si les salaires augmentent trop, il est évident que les entreprises ne pourront plus recruter, car c’est un élément de déstructuration de la situation financière de ces entreprises », selon lui. Un argument fort discutable, il faut le dire, car les hausses de salaires ont généralement lieu dans la Fonction publique et certainement pas chez les entreprises privées, bien que certaines entreprises publiques aient pu augmenter leurs salariés.
La fin d’une époque
Le plus important est que le ministre des Finances nous offre l’argumentaire des difficultés budgétaires de l’Etat. Il ne va certainement pas dire qu’officiellement, c’est la fin d’une période, celle où le gouvernement pouvait encore décréter des hausses de salaires. Quel ministre prendrait la responsabilité et le risque d’une annonce aussi impopulaire ? Tout ce que M. Djoudi nous dit, en tout cas, c’est qu’en cas d’une baisse importante et confirmée des prix du pétrole, les recettes algériennes vont baisser à coup sûr, et ce sont alors les dépenses de fonctionnement qui vont creuser le déficit public.
Se voulant rassurant, le ministre explique, que s’il n’est plus possible d’aller vers de nouvelles augmentations, cela n’induira pas pour autant un recul sur les acquis des salariés. « Le niveau actuel des salaires et des transferts sociaux, qui constituent ensemble l’essentiel des dépenses de fonctionnement, ne sera pas touché dans tous les cas ». En revanche, il existe des inquiétudes sur les capacités d’investissement public. On nous annonce que les dépenses d’équipement connaîtront une réduction en cas de recul des prix du brut, forçant alors le gouvernement à arbitrer sur les projets prioritaires à maintenir. Ce qui, en communication politique, équivaut à mettre les Algériens devant leurs responsabilités : soit vous continuez à exiger et à obtenir des hausses des salaires, mais alors il ne faut plus se plaindre que le développement soit ralenti, soit vous acceptez un gel de ces revendications, disons jusqu’à ce que les choses aillent mieux, et alors les projets destinés aux générations futures, dont une partie est nécessaire à la relance économique, seront menés à terme.
Cela étant, il convient de s’interroger sur la nature et les raisons du déficit budgétaire, alors que l’idée prédominante, notamment avec un pétrole historiquement et durablement cher, les Algériens pensaient vivre dans un pays financièrement florissant, avec de fortes réserves de change, tandis que notre ancien créancier, le FMI, cherche à devenir notre débiteur. Selon les derniers chiffres du gouvernement, le Trésor public a enregistré un déficit de plus de 44 milliards de dollars en 2012, soit 21 % du PIB. Un chiffre qui est en hausse par rapport à 2011- mais inférieur au déficit prévisionnel. Selon l’explication livrée sur ce déficit, c’est qu’il résulte de « l’écart entre des recettes budgétaires recouvrées, hors recettes du FRR (Fonds de régulation des recettes) et des dépenses réelles ».
C’est-à-dire qu’il existe une partie due au manque à gagner dans la fiscalité ordinaire, celle qui n’a rien à voir avec la fiscalité pétrolière. C’est à un premier point d’interrogation. Le second a trait, justement, au lien entre ce FFR et le déficit. En février 2011, le ministère des Finances annonçait que « les disponibilités du Fonds de régulation des recet- tes, permettaient de couvrir le déficit budgétaire de trois exercices successifs et d’assurer une exécution sereine du programme quinquennal d’investissements publics ». Avec la sortie médiatique de Karim Djoudi, on est loin de la sérénité d’alors. Ce qui est encore plus inexplicable, quand on sait comment fonctionne le FFR, un réceptacle où atterrit la différence entre les recettes pétrolières planifiées et celles réellement engrangées par l’Algérie.
L’analyse du FMI
Sur la fiscalité de chaque baril de pétrole, celle correspondant au prix référentiel, 37 dollars va dans le budget annuel. Le reste (c’est-à-dire le double puisque le baril est à plus de 100 dollars), est reversé au FFR. Certes, ce dispositif, que l’on doit à l’ancien ministre des Finances, Abdellatif Benachenhou, représente un amortisseur en cas de choc pétrolier. Mais il n’est pas sans revers.
Il est tout à fait logique, par exemple, à l’heure d’une inflation mondiale sur pratiquement tous les produits agricoles et les services, que vendre le pétrole à 100 dollars et établir un budget sur la base de 37 dollars fait qu’on se place forcément dans une position déficitaire. Et si le gouvernement n’a rien révisé sur la question, c’est que le niveau de déficit programmé (entre 10 et 12 % du PIB) est jugé parfaitement soutenable. D’autant que le FFR est sollicité pour prendre en charge une partie de ce déficit.
Si l’on se fie aux derniers rapports du FMI, champion par excellence des politiques de compression de la demande et des théories monétaristes, il n’y a pourtant rien d’alarmant dans la situation de l’Algérie. « Les prévisions indiquent un taux de 3,4 % pour 2013, soutenu par la demande intérieure et la reprise du secteur des hydrocarbures. En 2012 et en 2013, les réserves de change, qui représenteront environ trois ans d’importations, continueront d’être confortables, et l’endettement extérieur restera faible. Le solde du Fonds de Régulation des Recettes (FRR), net de la dette publique, se maintiendra aux alentours de 26 % du PIB.
Les risques auxquels se trouve exposée l’économie sont essentiellement de nature baissière », est-il noté. Les véritables risques pour l’économie algérienne sont plutôt « un repli prolongé des cours du pétrole, une hausse des prix internationaux de produits alimentaires (notamment du blé) et une détérioration de l’économie mondiale, en particulier dans la zone euro ». Le FMI ajoute un dernier risque, intéressant dans ce qui nous occupe : « les pressions grandissantes dans le pays pour que soit utilisée la rente provenant des hydrocarbures ».
Le FMI avertit du même coup contre l’inflation qui, à 8,4 %, pointe à son taux le plus élevé depuis 15 ans, dans un contexte où l’expansion budgétaire, de ces dernières années, a accentué la vulnérabilité des finances publiques. En conséquence, le FMI s’attend à ce que « la richesse réelle par habitant continue de diminuer à long terme ». Le FMI a dit, d’ailleurs, qu’il était important « d’éviter de nouvelles augmentations salariales dans le secteur public et d’émettre des obligations d’État pour couvrir les besoins de trésorerie, au lieu de faire appel au FRR ».
Par Nabil Benali