Le gouvernement algérien démine le terrain en vue de l’exploitation du gaz de schiste

Le gouvernement algérien démine le terrain en vue de l’exploitation du gaz de schiste
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Le gouvernement algérien tente discrètement de désamorcer la contestation qui s’organise contre l’exploitation du gaz de schiste. A l’approche d’une rencontre prévue samedi prochain pour dénoncer le « manque total de transparence » sur ce dossier et les menaces que ferait planer sur l’environnement l’exploitation de gaz non conventionnels, le gouvernement multiplie les assurances et promet plus de transparence, tout en affirmant la nécessité de « garantir la sécurité énergétique du pays ».

Une première rencontre sera organisée samedi prochain à Alger, pour tenter de structurer la protestation contre l’exploitation de gaz de schiste en Algérie. L’initiative, lancée par des militants politiques, associatifs et des écologistes, veut agir dans deux grandes directions, animées par deux courants bien distincts.

Pour les écologistes, l’action doit être centrée sur l’environnement, menacé, selon eux, par une exploitation éventuelle des gaz de schiste. « La démarche du gouvernement fait peser un réel danger sur les ressources hydriques non renouvelables des aquifères albiens du Sahara », affirme ainsi une pétition lancée sur Internet et relayée par des militants associatifs. Ce courant reprend les critiques traditionnelles contre l’exploitation de gaz de schiste, comme le caractère dangereux des techniques utilisées, en y ajoutant le fait que l’Algérie, pays de pénurie d’eau, risque de dilapider des ressources hydrauliques de grande valeur. La nappe albienne, qui constitue une réserve essentielle pour le Sahara, risque d’être contaminée et perdue, selon les animateurs de ce courant.

Un second mouvement, plus politique, pointe du doigt « le manque de transparence » et « la légèreté » avec laquelle la décision d’exploiter le gaz de schiste a été prise. « C’est une question démocratique. Une décision d’une telle importance ne peut pas être prise en catimini, dans un cercle restreint, non légitime », a déclaré à Maghreb Emergent Kader Farès, un des animateurs de l’initiative.

Le Premier ministre Abdelmalek Sellal, relayé par le ministre de l’Energie Youcef Yousfi, a annoncé que la nouvelle loi sur les hydrocarbures, en cours de préparation, ouvrira la voie à l’exploitation des gaz de schiste. M. Yousfi a même annoncé qu’un premier forage a été lancé.

M. Ahmed Mechraoui, conseiller du ministre de l’Energie, a assuré mardi que « rien ne se fera sans la prise en compte de l’environnement ». Il a tenté de dédramatiser en affirmant que le lancement d’un forage expérimental représente peu de choses, l’Algérie réalisant 150 à 200 forages par an en moyenne à la recherche d’hydrocarbures. Il a aussi affirmé que les contrats doivent, à l’avenir, prévoir des « garde-fous » ainsi que des contrôles menés par des organes indépendants pour vérifier que l’exploitant respecte les normes légales en matière de protection de l’environnement.

L’estimation des réserves manque de précision

M. Yousfi a, de son côté, insisté sur le volet stratégique du dossier. « Nous devons assurer la sécurité énergétique du pays sur le long terme », a-t-il répété à plusieurs reprises, rappelant que la consommation de l’Algérie augmente de 14% par an et celle des carburants de 15 à 20%. L’Algérie subit, d’ailleurs, des pénuries de carburant, qui est rationné dans les régions frontalières, et des coupures récurrentes d’électricité durant les périodes de grande consommation.

Les propos de M. Yousfi ont de nouveau alimenté une polémique sur les réserves de gaz de l’Algérie, qui seraient surestimées selon certains spécialistes. Les estimations vont du simple au double, et l’insistance de M. Yousfi a été relevée par les experts. Pour le gaz de schiste, les chiffres sur les réserves sont tout aussi fantaisistes, allant de 2,5 milliards de mètres cubes à 10 milliards de mètres cubes. M. Abdelmadjid Attar, ancien PDG de Sonatrach, une des rares voix autorisées à s’exprimer sur le dossier, estime raisonnable de les évaluer à 2,5 milliards de mètres cubes.

M. Attar s’est aussi exprimé en faveur de l’exploitation des gaz de schiste, une initiative « intéressante et même nécessaire, parce qu’il s’agit aujourd’hui de préparer l’indépendance énergétique du pays dans quelques décennies ». Il a toutefois tempéré les ardeurs de ceux qui pensent que l’Algérie va devenir un nouvel eldorado gazier. « Rien ne dit que c’est exploitable. En tout cas pas de suite. Dans cinq ans, on pourra décider s’il faut exploiter, si c’est possible », a-t-il dit.

A l’opposé, M. Hocine Malti, ancien vice-président de Sonatrach, auteur d’un livre, Histoire secrète du pétrole algérien, connu pour son indépendance, exprime de sérieuses réserves sur ce choix. « Je suis contre un développement des gaz de schiste, en tout cas dans l’immédiat. Nous n’en avons pas besoin, Je ne vois pas pourquoi nous nous engagerions sur une telle voie. Je pense que l’incitation vient de l’étranger », a-t-il dit. Du reste, a-t-il ajouté, ce potentiel en gaz de schiste « reste à confirmer ».

« Rien ne presse »

Comme Hocine Malti, Moussa Kacem, géologue, professeur à l’Université d’Oran, affirme que, « pour le moment », l’exploitation du gaz de schiste devrait être évitée. Il a toutefois déploré, dans une déclaration à Maghreb Emergent, le « manque de concertation » et la « précipitation » qui marquent la rencontre de samedi prochain. Lui-même déclare ne pas être définitivement hostile à cette option, mais il estime que les conditions en Algérie ne sont pas réunies en matière de maîtrise technologique et de garanties de protection de l’environnement.

Rejoignant les écologistes, Moussa Kacem prône le développement des énergies renouvelables et la poursuite de l’exploration traditionnelle, estimant que le sous-sol algérien demeure largement méconnu. Pour lui, « rien ne presse », d’autant plus que l’Algérie possède des réserves de gaz conventionnels au moins pour une décennie.

Par ailleurs, l’opposition à l’exploitation du gaz de schiste reste marginale. Elle est concentrée dans les réseaux sociaux et au sein de quelques groupes spécialisés. Au Parlement et au sein des partis les plus représentés dans les instituons, l’opinion dominante appuie les choix du gouvernement. Aucun parti représenté au Parlement n’a publiquement exprimé son hostilité à ce choix.