Le film n’a pas trouvé de distributeur en dépit de la levée de la censure en 1973 : Octobre à Paris, cinquante ans après

Le film n’a pas trouvé de distributeur en dépit de la levée de la censure en 1973 : Octobre à Paris, cinquante ans après
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Le film Octobre à Paris, de Jacques Panijel, censuré l’année même de sa sortie en 1962, est désormais dans les salles de cinéma françaises cinquante ans après les tragiques évènements qui ont fait des centaines de morts algériens, victimes autant de la violence policière que de ce qui est qualifié par les historiens d’«occultation d’Etat».

Intervenant lors d’un débat ayant suivi la projection du film mercredi soir, le président de l’association Au nom de la Mémoire, Mehdi Lallaloui, a affirmé qu’une chape de plomb a entouré ces événements tragiques, notamment sur le nombre des victimes qu’ils ont occasionnées. «Il y a eu l’organisation d’une occultation d’Etat, dont le général De Gaule est complice.

La mécanique d’occultation n’est pas l’apanage du préfet de police Maurice Papon qui arriverait la nuit, avec ses petits ciseaux, pour faire disparaître les archives médico-légales, les archives fluviales, les photos de l’AFP, etc.», a-t-il indiqué, estimant que le général, par son autorité, aurait pu arrêter la persécution et l’assassinat d’Algériens le 17 octobre 1961 à Paris. L’historien et journaliste Dominique Vidal a, pour sa part, relevé que la censure est vite organisée suite aux massacres du 17 octobre 1961. «Les journaux qui paraissent le lendemain, en plus d’être caviardés de blanc (censurés), annoncent le bilan de deux morts parmi les Algériens et des manifestants qui agressent la police !» Un silence «assourdissant» a accompagné ces tragiques évènements, l’ORTF et Radio Paris de l’époque ayant observé un «motus et bouche cousue», signale Dominique Vidal. Pour lui, l’occultation de ces faits historiques est «très collective», «On ne peut pas dire que les grands partis politiques de gauche et les grands syndicats ont fait beaucoup (à) pour faire connaître ce qu’a été le 17 octobre 1961. Il ne faut pas simplement contrer De Gaule. Il y a même d’autres qui étaient présidents de la République et qui avaient un passé dans la guerre d’Algérie tel qu’ils n’avaient pas très envie qu’on soulève tout ça». Il faisait allusion au premier président socialiste de la République, François Mitterrand, qui a signé, alors qu’il était garde des sceaux pendant la guerre de Libération nationale, pas moins de 175 peines de mort à l’encontre d’Algériens, selon l’historien Benjamin Stora, cité par Vidal. Interrogé sur la non-diffusion du film de Panijel durant toutes ces années, il a regretté qu’en dépit de la levée de sa censure en 1973 suite au combat du comité Maurice Audin et de la grève de la faim du réalisateur René Vautier, il n’a pas trouvé de distributeur en France.

«Pire, la télévision française s’est engagée à le faire en 1991, avant de se rétracter. C’est un paradoxe que, pour cette date majeure de l’histoire de la France, il eût fallu un auteur de romans policiers, Didier Daeninckx, pour le faire ressortir de l’oubli grâce à son ouvrage « Meurtres pour mémoire »», s’est indigné l’historien.

Pour Lallaloui, la censure coloniale en France ne date pas d’octobre 1961, mais a déjà «sévi» lors de la parution de l’Appel à l’insoumission et au soutien de l’indépendance de l’Algérie, en septembre 1960 dans le Manifeste des 121 intellectuels français. «Outre les peines lourdes d’emprisonnement prononcées à l’encontre de certains membres du collectif, des interdictions professionnelles ont été signifiées à d’autres travaillant au CNRS, à l’Assemblée ou exerçant comme simples artistes», a-t-il rappelé, citant à ce propos le décret du premier ministre d’alors, Michel Debré. D’autres intervenants ont évoqué la manifestation de Charonne en février 1962, organisée quelque mois après les massacres des Algériens au cœur de la capitale française, et l’écho qu’elle a suscité auprès de l’opinion française, contrairement au peu de cas fait aux tragiques événements de l’automne d’avant. La manifestation de Charonne, à l’appel de syndicats de gauche et du Parti communiste français, a été, elle aussi, réprimée dans le sang. Neuf morts, tous communistes français, y ont été déplorés. Le lendemain de ce massacre, plus de 500.000 personnes accompagnent les victimes à leur dernière demeure. L’historien Vidal s’est dit «choqué» par cette «disproportion» entre le silence de l’opinion française et des grands partis politique de l’époque lors des massacres du 17 octobre 1961, qui ont fait des centaines de morts, et leur réaction à la manifestation de Charonne. Le président d’Au nom de la Mémoire a rappelé que mis à part La CFTC, aucun des discours prononcés lors de la manifestation de Charonne —qui réclamait pourtant la fin de la guerre en Algérie et dénonçait les crimes de l’OAS — n’a évoqué les morts d’octobre 1961 à Paris.

Selon le président de l’association des moudjahidine de la Fédération du FLN en France 1954-1962, Akli Benyounes, la chasse à l’homme sanglante déclenchée contre les Algériens le 17 octobre 1961 à Paris a été accompagnée de 12.000 à 15.000 interpellations. 300 à 400 morts par balle, coup de crosse ou noyade dans la Seine, 2.400 blessés et 400 disparus ont été dénombrés suite à la répression policière, a-t-il encore rappelé.