Des historiens prennent la défense de «Hors-la-loi»
A Paris, c’est la grande polémique sur le passé colonial et raciste de la France qui ressurgit à petits pas, avec la levée de boucliers des nostalgiques de l’Algérie de papa contre le film «Hors-la-loi» de Rachid Bouchareb.
C e film, une coproduction financée par des chaînes TV françaises publiques et privées, a fait bondir les partisans de l’infâme loi du 23 février 2005 glorifiant le passé colonial de la France.
Des députés qui se sont opposés à ce que ce film soit mis en compétition au prochain Festival de Cannes, veulent monter au créneau pour l’interdire à travers la réactivation d’une fantomatique «Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie», prévue par l’article 3 de la loi du 23 février 2005.
En fait, le film de Bouchareb dérange. Le film raconte les parcours de trois frères, témoins des massacres de Sétif en mai 1945 et qui vivent ensuite en France, où ils seront plongés dans les excroissances en métropole de la guerre d’indépendance algérienne.
La montée au créneau contre l’œuvre de Bouchareb viendra du député. Le début de la polémique commence à l’automne 2009, lorsque, fâché de la manière dont le scénario évoquait les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, et l’aide apportée par des militants français au FLN, dont le réseau Jeanson, le député UMP des Alpes-Maritimes, Lionnel Luca, également vice-président du conseil général de ce département, a discrètement saisi le secrétaire d’Etat à la Défense et aux Anciens Combattants, Hubert Falco, et maire de Toulon.
Dans une lettre à ce dernier du 7 décembre 2009, il dénonçait le concours financier apporté par le Centre national du cinéma (CNC) à ce film qu’il n’avait toujours pas vu: «On peut s’interroger sur cette volonté d’encourager une repentance permanente que le président de la République a plusieurs fois condamnée.
A défaut de pouvoir intervenir sur le CNC, je vous saurais gré de bien vouloir veiller à ce que la sortie du film ne puisse être cautionnée par les officiels français.» C’est le début de pressions venant de toutes parts, notamment d’élus UMP, pour que le financement du film par les chaînes TV françaises soit interrompu.
Plus concrètement, des pressions ont été exercées sur les chaînes de France Télévisions pour ne pas coproduire le film et sur les responsables de la sélection officielle du Festival de Cannes pour qu’il ne soit pas sélectionné.
Tandis que le producteur a été l’objet de demandes inhabituelles venant de la présidence de la République et du secrétariat d’Etat à la Défense et aux Anciens Combattants pour visionner le film avant la date de sa présentation officielle aux jurés et au public du Festival de Cannes.
«Horsla-loi» dérangerait-il la bonne conscience coloniale ? Celle qui maintient la loi de l’omerta sur ce qui s’est vraiment passé ce 8 mai 1945 dans les trois villes algériennes ? C’est en tout cas ce que pensent et affirment des historiens et chercheurs algériens et français dans un communiqué remis à la presse, en France.
Ils estiment que la campagne menée actuellement par des «milieux nostalgiques» de la colonisation contre le film de Rachid Bouchareb vise à «faire obstacle à la liberté de la création et à la nécessaire reconnaissance du passé colonial de la France».
Leur texte, intitulé «Le film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb : les guerres de mémoires sont de retour», ces historiens, dont Pascal Blanchard, Gilles Manceron, Jean-Pierre Peyroulou, Benjamin Stora, Mohamed Harbi, la réalisatrice Yasmina Adi, relèvent que «ces réactions sont un symptôme du retour en force de la bonne conscience coloniale dans certains secteurs de la société française».
Cette campagne est menée «avec la complicité des gouvernants, un député a lancé une campagne contre ce film avant même son achèvement, campagne relayée (ce qui est plus grave) par un secrétaire d’Etat», soulignent-ils, ajoutant que «les vérités officielles et les dénonciations de l’anti-France qui ont sévi à l’époque des guerres coloniales sont-elles de retour».
Ils ont également rappelé que ce film, «fruit d’une coproduction franco-algéro-tuniso-italo-belge, est d’abord une œuvre libre qui ne saurait se réduire à une nationalité, ni à un message politique et encore moins à une vision officielle de l’histoire».
Pour eux, «le travail d’un réalisateur n’est pas celui d’un historien et n’a pas à être jugé par l’Etat» français.
Mieux, ils rappellent ainsi que «personne n’a demandé à Francis Ford Coppola de raconter dans Apocalypse Now la guerre du Vietnam avec une précision historique», mais affirment cependant que «l’évocation d’une page d’histoire tragique peut aussi bien passer par la fiction, avec ses inévitables raccourcis, que par les indispensables travaux des historiens».
Pour Mohamed Harbi, Stora ou Peyroulou, «des milieux nostalgiques de la colonisation continuent de chercher à faire obstacle à la liberté de la création et à la nécessaire reconnaissance du passé colonial de la France», ont-ils affirmé.
«Le pire est à craindre quand le pouvoir politique veut écrire l’histoire que nos concitoyens iront voir demain sur nos écrans», déplorent ces historiens. «Hors-la-loi» de Bouchareb est cofinancé par France 2 et France 3, Canal+, Studio Canal, Kiss Films – la société de Jamel Debbouze -, la région PACA, l’ACSE, Ciné-cinéma et le CNC).
L’apport venant d’Algérie ne représente qu’environ 20% du budget, dont une bonne part en prestations valorisées. Un apport qui, en l’occurrence, n’a été assorti d’aucune pression ni demande particulière, écrit le quotidien Le Monde dans sa livraison de mercredi.
Yazid Alilat