Le nombre d’Algériens nés entre 1991 et 1994 dépasse seulement, en 2012, les 2 millions à raison d’une moyenne de 700 000 naissances au cours de ces années.
D’où vient le chiffre de 4 millions avancé par le ministère de l’Intérieur ? Les différentes commissions de contrôle des élections n’ont jamais eu droit de regard sur la confection du fichier électoral.
Azzedine est originaire d’un quartier populaire situé sur les hauteurs d’Alger. Lors de la présidentielle de 2009, il avait opté pour l’abstention. Ce geste est pour lui un acte politique exprimant sa désapprobation. Son père a, en revanche, voté. Inscrit sur la liste électorale de la commune d’El Biar, le patriarche de la famille était le seul à avoir donné une voix à un candidat en lice. Sauf que le père de Azzedine est décédé bien avant le jour du scrutin. « Un voisin, agent dans un bureau de vote, m’a appelé pour me dire que mon père a déposé un bulletin dans l’urne », témoigne-t-il. C’est un cas parmi tant d’autres, qui illustre que le fichier électoral n’est pas fiable, comme le prétendent les responsables du ministère de l’Intérieur.
« L’Administration aux ordres »
Le fichier électoral, qui comporte les noms des Algériens âgés de plus de 18 ans et aptes à voter, nécessite, de l’avis de nombreux observateurs, une épuration. Cette banque de données est, pour des partis de l’opposition, un moyen de manipuler les chiffres. Ils estiment que l’administration a tendance à gonfler le taux de participation et des suffrages exprimés à partir des listes. L’opposition n’hésite pas à qualifier le fichier électoral de véritable enjeu pour tracer le déroulement d’une élection, afin d’accorder la victoire au candidat désigné par le conglomérat militaire ou à des députés proches du sérail. D’après le politologue Rachid Grim, « l’administration n’est pas neutre et elle est aux ordres du régime en place ». Il n’écarte par l’idée selon laquelle « c’est le pouvoir qui, grâce aux élections, fait siéger l’opposition choisie par le pouvoir ».
Qu’est-ce qu’une révision du fichier électoral ?
La révision ordinaire du fichier électoral « est réalisée du 1er au 30 octobre de chaque année », explique le président de l’APC de Dar El Beïda, Lyes Gamgani. Entretemps, une commission, qui se consacre à l’examen des listes électorales, est mise en place ; elle est présidée par un magistrat, accompagné de représentants de la wilaya et de l’APC. Par la suite, et cela depuis 2009, « les recours sont étudiés et les procès-verbaux envoyés à la tutelle, qui sont à leur tour renvoyés aux wilayas chapeautant les communes respectives ». En ce qui concerne la révision exceptionnelle, « elle est effectuée avant chaque scrutin, généralement pour une période d’un mois, et ce, après convocation du corps électoral par le président de la République », ajoute notre interlocuteur. Mais ce laps de temps n’est jamais suffisant, regrettent des « élus ». De manière générale, l’assainissement du fichier électoral a pour objectif de radier les noms des personnes décédées et l’inscription de nouveaux citoyens, notamment ceux qui atteignent leur majorité.
Toutefois, « les nouvelles inscriptions sont volontaires », indique le président de l’APC de Rouiba, Marzouk Lakrouz. Présentement, en prévision des élections législatives programmées pour le printemps 2012, le chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika, n’a pas encore convoqué le corps électoral. « Aucune note n’a été envoyée par le ministère de l’Intérieur pour commencer la révision exceptionnelle », affirment des présidents d’APC. Autre point, qui n’est pas de moindre importance : la plupart des 1541 APC d’Algérie ne sont pas dotées d’un fichier électoral informatisé. Des maires s’en plaignent car « lorsque l’opération d’assainissement est lancée, les vieilles habitudes manuelles retardent non seulement la tâche, mais des erreurs peuvent se glisser », avoue un élu de Bab El Oued. Ces manœuvres archaïques répondent-elles à une volonté de laisser les noms des citoyens dans de vieux registres poussiéreux, afin de mieux jouer avec les chiffres ? Pour l’instant, que ce soit le changement de résidence, la radiation ou l’inscription, seul le citoyen est en mesure de modifier sa situation dans le fichier électoral.
« Tout se fait à la déclaration », précise le président de l’APC de Sidi M’hamed, Mokhtar Bourouina. Et de constater : « Il est très rare que les familles demandent la radiation d’un proche décédé ». Avec les dernières opérations de relogement, des Algériens résidant actuellement en dehors de leur communes d’origine « ne se sont pas approchés de leur nouvelle APC pour s’inscrire », souligne, à titre d’exemple, le porte- parole du FLN, Aïssi Kassa. A l’approche des élections, révèle un élu, « les partis politiques incitent leur public à s’inscrire sur le fichier électoral ». « Les inscrits sont généralement les militants d’une formation. Mais pour les élections locales, il s’agit principalement des sympathisants de tel ou tel candidat ». « Les législatives sont plus à connotation tribales que partisan », ironise-t-il.
Mehdi Bsikri