Oui c’est un faux débat, entaché d’informations et d’analyses erronées livrées en vrac aux citoyens qui ne savent plus qui croire. Il faut d’abord faire l’état des lieux sur le rôle et la place des hydrocarbures en Algérie, et chacun pourra constater que les problèmes et les vrais défis sont ailleurs. Il faut aussi un débat serein autour d’un thème aussi important, parce qu’il concerne toutes les institutions, tous les opérateurs, toute la société civile, afin que chacun puisse prendre ses responsabilités pour avancer et non reculer.
1 – En premier lieu, il faut que chaque citoyen se rende compte définitivement que l’Algérie ne tient debout depuis 1988, et même bien avant, que grâce aux hydrocarbures. Une économie certes rentière, mais dont 98% des recettes d’exportation proviennent de ces ressources naturelles et alimentent 70% du budget de l’Etat, 33% du PIB (plus selon certains analystes), et pis encore, une bonne partie du budget de fonctionnement de l’Etat qui était pourtant couvert il y a un peu plus de 10 ans entièrement par la fiscalité normale et non celle des hydrocarbures.
Ajoutons à tout cela les conséquences des soutiens et subventions incessantes, la prochaine suppression ou modification de l’article 87bis dont beaucoup ne comprennent pas encore la portée, ainsi que l’augmentation frénétique des importations, et le tout dépassera non seulement les recettes des hydrocarbures, mais aussi la fiscalité normale. Ce premier constat n’a pas pour objectif ou ne signifie pas qu’il faut continuer à croire ou pérenniser une “mentalité rentière”, c’est le contraire qui est recherché.
2 – Pour ce qui est des réserves d’hydrocarbures sur lesquelles il y a hélas très peu de communication, et quand elle est faite, elle est très maladroite ou complètement faussée par des pseudo-experts qui ne savent même pas de quoi ils parlent, il faut que chacun de nous sache aussi qu’elles sont déjà consommées à plus de 50%, pour les réserves prouvées, c’est-à-dire celles dont nous avons la certitude d’existence et de récupération (production).
On peut rajouter à ces réserves celles dites probables et possibles, c’est-à-dire nécessitant des travaux de confirmation pour s’assurer de leur récupération. Mais elles ne représentent que 20% environ des réserves prouvées restantes.
La production de ces réserves (exportation et consommation) au rythme actuel sera caractérisée par ce qui suit :
– Une baisse progressive de la rente à compter de 2019, puis nulle en 2030.
– Un approvisionnement normal du marché intérieur en hydrocarbures liquides jusqu’en 2030 et en gaz jusqu’en 2040, puis une baisse progressive au-delà de ces dates. C’est-à-dire une production inférieure à la demande. Une réalité que tout le monde doit voir en face.
On peut aussi croire que grâce aux travaux d’exploration qui doivent se poursuivre, on trouvera encore des hydrocarbures en quantités suffisantes. Tant mieux si c’est le cas, et je serai le premier à être content de me tromper. Mais imaginons un résultat contraire !
3- Qu’en est-il alors du degré d’exploration du domaine minier national et des “formidables” ressources non encore découvertes, que beaucoup «d’experts» essaient de “commercialiser”, vis-à-vis de l’opinion publique ?
On veut nous faire croire que l’Algérie est sous-explorée du fait qu’on n’a pas recherché ces hydrocarbures dans toutes les régions ! Cela est vrai en partie tout simplement parce que les hydrocarbures ne peuvent pas exister partout pour de simples motifs géologiques qu’il est inutile de préciser mais qu’on peut expliquer par ce qui suit :
– Il n’y aura jamais d’hydrocarbures dans le Hoggar dont la surface est pourtant égale à deux bassins géologiques en Algérie même (motif géologique). On peut, pour être plus clair, dire que c’est la «raison géologique» pour laquelle il n’y a pas d’hydrocarbures au Maroc par exemple, ou encore en Espagne, en France, au Japon, au Groenland, ou dans beaucoup d’autres régions du monde, parce que le contexte géologique ne le permet pas même si on fore des milliers de puits. Alors arrêtons de mesurer le potentiel par une densité de forage parce que cela n’est permis que quand les conditions géologiques sont d’abord favorables.
– Il n’y aura jamais d’hydrocarbures liquides dans la moitié Ouest du Sahara, en dehors de quelques petites accumulations exceptionnelles déjà découvertes depuis les années 70 (région d’Adrar), peut être encore quelques indices ici et là, qui viendront tous confirmer cette situation dictée par une histoire géologique que tous les géologues comprennent parfaitement.
– Il n’y a et il n’y aura que du gaz sec dans cette moitié Ouest du Sahara aussi, du fait de cette histoire géologique aussi, et la majeure partie des volumes générés par les roches mères, expulsés, piégés, puis ayant été épargnés par une phase de destruction liée à la même histoire géologique, ont été déjà découverts. Des forages d’exploration ont été réalisés sur tous ces bassins et montrent parfaitement cette situation. Les seules découvertes qui restent encore à faire sont du même type que ce qui a été déjà découvert, et à toutes fins utiles, les réserves prouvées de gaz de la partie Ouest du Sahara ne correspondent qu’à environ 10% des réserves totales de l’Algérie.
Par contre, et cela semble être maintenant prouvé, les roches mères de ces régions contiennent encore une bonne partie des hydrocarbures non expulsés, il s’agit des fameux gaz de schiste et gaz de roches compactes (tight-gas), dont le volume est important mais dont la récupération sur le plan technique et financier reste à prouver par des études et des essais, d’où la nécessité de s’y intéresser.
– La moitié Est du Sahara est celle qui a fait l’objet du maximum de travaux de recherche pour la simple raison (géologique) qu’elle est la plus potentielle. 90% des réserves découvertes s’y trouvent, et il n’y a pas un seul bloc de recherche qui a été épargné par ces travaux. De là à croire qu’on pourrait y découvrir un autre Hassi Messaoud ou Hassi R’mel, serait une pure affabulation. Cela signifie que l’essentiel des hydrocarbures générés, expulsés, et ayant pu être piégés a déjà été découvert.
L’histoire géologique de cette région étant très favorable dans ce domaine par rapport à l’Ouest, le moindre volume généré et expulsé est susceptible d’être piégé. C’est ce qui permet de dire que dans cette région, l’essentiel est de trouver le piège à hydrocarbures, même s’il est de petite taille, et c’est la raison pour laquelle on doit continuer à rechercher des hydrocarbures dans cette partie du Sahara, sauf que ces pièges seront de plus en plus petits avec le temps, et par conséquent des volumes de plus en plus modestes, certes rentables, mais qui ne pourront pas remplacer les taux de soutirage actuels à partir des grands gisements actuels.
Par contre et de manière identique à la partie Ouest du Sahara, il est aussi prouvé que les roches mères de ces régions contiennent encore une bonne partie des hydrocarbures non expulsés, il s’agit des fameux gaz de schiste, gaz de roches compactes (tight-gas) et même pétrole de schiste, dont le volume est important mais dont la récupération sur le plan technique et financier reste à prouver. Un détail important, le potentiel en tight-gas est très important, mais son exploitation nécessite les mêmes efforts, les mêmes techniques (fracturation hydraulique) et les mêmes moyens logistiques que le gaz de schiste.
– Pour ce qui est de la partie Nord de l’Algérie, y compris la zone offshore, son histoire est tellement complexe, qu’aucun géologue au monde n’osera faire de pronostic quant à la probabilité de faire des découvertes importantes identiques à celles du Sahara. Seules de petites découvertes sont possibles pour le moment, et les plus importantes difficultés auxquelles il faudra faire face sont techniques (complexité géologique), financières (investissements importants), et environnementales (problèmes de surface).
Cela les rend dans beaucoup de zones aussi complexes que les hydrocarbures non conventionnels. C’est ce qui explique le retard d’exploration dans toute cette région, bien que la première découverte de pétrole en Algérie ait été faite en 1948, à Sidi Aissa (Oued Gueterini) et produit encore à ce jour quelques camions-citernes par mois. D’autres petites et très complexes découvertes ont aussi été faites dans les massifs du sud-est constantinois et l’Atlas saharien, mais elles demeurent à la limite de la rentabilité.
4 – Pour ce qui est du potentiel lié à l’amélioration des techniques d’exploitation des gisements existants, oui, il y a et il y aura probablement de plus en plus de réserves à récupérer et à ajouter aux réserves prouvées actuelles, parce que le taux de récupération moyen en Algérie demeure assez faible comparé à celui d’autres régions pétrolières dans le monde.
Mais cela est valable surtout pour les hydrocarbures liquides, et non le gaz naturel dont le taux de récupération est déjà élevé et dépasse en général les 70%.
Il y a effectivement un retard énorme à rattraper en matière de management et maintenance des réservoirs actuellement en production, mais aussi une chute de production qui surviendra tôt ou tard, quel que soit l’effort fourni, surtout au niveau des gisements de gaz naturel.
Le gaz naturel à l’échelle mondiale et locale aura tendance à prendre le dessus sur le pétrole liquide à long terme, du fait des réserves (mondiales) et de sa très faible nuisance sur l’environnement. Comme il correspond aujourd’hui à la principale ressource énergétique sur le marché intérieur (production et consommation électrique, usage domestique et industriel), et ses réserves ainsi que sa production étant en baisse en Algérie, tout le problème est à ce niveau : faut-il continuer à le consumer en croyant que l’Algérie en regorge ? Ou sans réfléchir à une ou des solutions de rechange dans un futur proche par d’autres formes de ressources ?
– On peut alors penser au charbon, mais en avons-nous ? Non.
– Au nucléaire ? Avons-nous l’uranium, la technologie, et serons-nous prêts dans moins de 15 ans par exemple ? Non.
– Aux énergies renouvelables ? Oui pour le solaire effectivement dont l’Algérie est plus que gâtée, mais avec toutes les ambitions du secteur concerné qui sont plus que volontaristes et d’énormes investissements programmés, Il n’est prévu en 2030 que 40% de satisfaction de la demande interne par cette divine ressource. Sans compter que cette ressource sera en grande partie subventionnée (comme partout dans le monde, qui ne prévoit que 22% de renouvelable à l’horizon 2030) et financée par la rente pétrolière actuelle.
– Faudra-t-il se focaliser sur tel ou tel type de génération entre le photovoltaïque et le thermique ? Les deux à mon avis, en fonction tout simplement du site à approvisionner, du type d’usage, ou encore du type de consommateur, laissons les spécialistes en décider et d’élargir le recours à toutes les autres formes renouvelables (éolien, géothermie, etc…) même si c’est marginal.
– Aux économies et à l’efficacité énergétique ? Oui mais quel en sera le gain par rapport à la consommation ? Il y aura un prix à payer aussi, parce que seul le prix pourra convaincre à maîtriser la consommation.
– Aux hydrocarbures non conventionnels ? Oui, mais à condition de travailler sur ce sujet dès maintenant comme le font tous les pays, y compris Européens et Asiatiques, pour évaluer la possibilité de leur production sur la base de leur rentabilité et bien sûr le respect des obligations de respect des règles environnementales.
– Aux progrès technologiques ? Oui, il faut y croire, à condition de former et motiver les hommes et les femmes qui seront chargés de les créer, ou au moins les acquérir et les mettre en œuvre en Algérie, parce que c’est ce progrès technologique qui viendra résoudre les problèmes, les risques, les couts, et les nuisances de chacune des ressources. La solution est dans l’initiative, la connaissance, et non l’immobilisme ou la crainte. Elle passe par la mise en œuvre d’une stratégie à deux axes :
– Une sortie urgente de l’économie rentière (pétrolière) dont le débat doit être mené par ses spécialistes.
– Une transition énergétique basée sur un modèle de consommation faisant appel à toutes les formes de ressources parce que aucune de celles citées plus haut n’est en mesure d’assurer à elle seule la sécurité énergétique du pays à l’horizon 2030-2040.
Il faut arrêter de croire au père Noel, et surtout de faire croire que chacun de nous a la bonne solution aux défis que nous affronterons.
A. A.