Au lendemain de la trente-troisième semaine de manifestations populaires, le duel à distance que se livrent la société et le pouvoir se poursuit. Chacun campe sur ses positions et l’horizon semble être plus que jamais bouché.
Pour répondre aux centaines de milliers d’Algériens qui ont manifesté leur opposition à l’élection présidentielle de décembre, le pouvoir a trouvé la parade : les services de sécurité ont arrêté, hier samedi, plusieurs dizaines de citoyens venus commémorer les événements du 5 Octobre 1988. Cela ressemble à des représailles pour un pouvoir qui, malgré un déni médiatique, n’arrive plus à étouffer les voix discordantes. La répression paraît ainsi sa seule option privilégiée.
Depuis que le pouvoir a décidé de foncer vers l’élection présidentielle, qu’il sait pourtant difficile sinon impossible à organiser dans les conditions actuelles, il a pris le risque de se mettre à dos le peuple. Preuve est que face aux revendications des Algériens qui appellent à de vrais changements et à de vraies élections, le pouvoir répond par le déni. Dans les discours publics et dans les médias gouvernementaux, le ton est donné : le pouvoir fait comme si les manifestations des vendredis et mardis avaient cessé. Les Algériens, qui manifestent toujours par dizaines de milliers, ne veulent pas entendre parler d’élection dans les conditions actuelles. Ils revendiquent d’abord le départ des figures du système, l’entame d’une véritable période de transition et, bien entendu, l’organisation d’une véritable élection.
Pendant ce temps, les corps intermédiaires semblent avoir déserté l’arène, laissant le pouvoir — notamment l’armée — seul face à la rue. “(…) La volonté manifeste de maintenir le système déplace le conflit vers un affrontement entre armée et population. À l’intransigeance des décideurs répond la défiance de la société”, résume ainsi le militant politique Djamel Zenati lors d’une contribution publiée en mai dernier dans El Watan. Cette situation a produit le recours à la répression. Ce face-à-face entre la rue et le pouvoir “est porteur de tous les risques. Les indices sont déjà là. Une répression féroce s’organise contre les manifestants”, précise l’ancien détenu d’Avril 1980.
Pour l’instant, face aux actions de répression, à l’utilisation de la justice et des appareils sécuritaires, les Algériens ont choisi de camper sur une position qui a fait leur force jusque-là : le caractère pacifique qui a donné “la révolution du sourire”. Mais cela n’est guère garanti, prévient Jametown Foundation. “Malgré l’objectif pacifique du mouvement de protestation, des erreurs stratégiques (…) ainsi que des tentatives par des groupes hostiles de détourner le mouvement pourraient mener l’Algérie vers une situation combustible et précaire”, note le groupe de réflexion.

Pour l’ancien chef de gouvernement, Mouloud Hamrouche, l’issue à la situation actuelle est que les deux parties se parlent. “Le peuple, par son hirak pacifique, national et unitaire, a déjà gagné en créant une situation algérienne nouvelle forte. Il faut établir des passerelles et des confiances entre ces deux corps vitaux de l’Algérie, le peuple et son Armée nationale populaire. Qu’émergent des médiations porteuses de capacités, de vertus et d’honnêteté pour contribuer et aider à libérer le pays et l’armée des pièges de ce système mortel”, a-t-il préconisé lors d’une récente contribution médiatique. Mais à l’approche de la date fixée par le pouvoir pour l’élection présidentielle, le statu quo demeure en l’état.
Plus que cela, la crise risque de perdurer selon le think tank américain Jametown Foundation. “La crise perdurera en Algérie dans le court et moyen terme, et va probablement empirer avant la prochaine élection présidentielle, le hirak et les autorités ne semblant pas disposés à faire de compromis”, note le groupe de réflexion américain.
A. B.