Le fabuleux destin de Mesbah

Le fabuleux destin de Mesbah
le-fabuleux-destin-de-mesbah.jpg

Seul le football, ce sport inventé en Angleterre à la fin du XIXe siècle, peut nous offrir des histoires dignes d’un roman sorti de l’imagination de son auteur. L’histoire du football est jonchée de footballeurs, qui ont, grâce à leur talent, réussi à inverser la spirale négative et une certaine fatalité qui les frappaient à cause de leurs origines ou de leur rang social, prenant, une revanche sur la vie. Le gamin pauvre des bidonvilles de la banlieue de Buenos Aires, Diego Armando Maradona, devint, à 26 ans, l’icône de tout un peuple en gagnant une Coupe du monde à lui tout seul.

Le minot de la Castellane, quartier défavorisé de Marseille, Zinédine Zidane, grâce à une technique hors du commun, échappa à un destin de travailleur précaire, de chômeur ou pire de délinquant, celui des jeunes des quartiers défavorisés et devint, grâce à sa technique phénoménale et à son jeu, le meilleur footballeur du monde et les exemples sont nombreux, de Pelé à Platini et de Steven Gerrard à Wayne Rooney. Djamel Mesbah est de ceux-là. Ceux à qui certains, se basant sur l’origine ethnique ou le statut social, avaient tracé à l’avance un parcours peu reluisant et peu gratifiant et qui ont décidé, plutôt qu’abdiquer, de se battre jusqu’au bout, et avec une seule arme, le talent.

Mesbah possède la même hargne que les joueurs cités ci-dessus, la hargne qui pousse à se sublimer, à se battre, à croire en soi quoi qu’il arrive, sans tenir compte des nombreux détracteurs qui essayent de vous briser, jusqu’à s’imposer un jour, après de nombreuses luttes et savourer enfin la sensation de vivre la vie à laquelle on aspirait plutôt que la vie que certains avaient tracée pour vous. La signature de Djamel Mesbah au Milan AC n’est qu’un début, car le gros de sa carrière est encore devant lui. Mais elle marque le début d’un nouveau chapitre de la vie et la carrière de ce jeune footballeur algérien dont la vie est déjà, alors qu’il n’est âgé que de 27 ans, une véritable saga. Compétition vous propose de revenir sur le fabuleux destin de Djamel Mesbah.

Le club d’Annecy-Le-Vieux lui rend hommage sur son site officiel

Lorsque vous vous connectez sur le site, très bien fait d’ailleurs, du modeste club du district de Savoie (Alpes françaises) de l’US Annecy-Le- Vieux, c’est la photo de Djamel Mesbah, une brève sur sa signature au Milan AC et la mention «Bonne chance à toi Djamel». Pourquoi cet hommage ? Et bien parce que c’est là que tout a commencé pour l’enfant né à Zighoud Youcef, wilaya de Constantine, de nationalité algérienne donc, difficulté supplémentaire pour un apprenti joueur, extra-communautaire, dont la famille s’était installée du côté d’Annecy. Djamel Mesbah a intégré les «Marcassins», c’est comme ça qu’on appelle les joueurs de l’US Annecy, à l’âge de 10 ans, où il a appris ce qui allait être son futur métier jusqu’à l’âge de 17 ans, où il franchit la frontière suisse toute proche, pour intégrer le centre de formation du prestigieux Servette de Genève, qui, en 2001, était un club très en vue, au plan européen, pour y finir sa formation

17 ans, un exil suisse de toutes les galères

Une formation que le jeune Djamel Mesbah achève avec succès, début 2004, date à laquelle il signe son premier contrat professionnel avec le grand Servette à seulement 19 ans. La joie sera hélas de courte durée, car le Servette de Genève, très mal géré, dépose le bilan pour cause de banqueroute, et est rétrogradé à la division la plus basse et perd donc le statut de club professionnel. Un coup dur pour le jeune Mesbah, à l’aube de sa jeune carrière, et qui n’avait même pas eu le temps de savourer pleinement son premier contrat professionnel. Ce premier coup dur n’est que le premier d’une longue série d’évènements malchanceux qui a frappé le début de sa carrière.

Un temps dans le viseur du Barça,ss puis finalement le FC Bâle

Contraint forcé de quitter le Servette de Genève, son premier club en tant que professionnel, avec qui il n’avait eu le temps de ne disputer que neuf matchs, pour trois buts inscrits, Mesbah, un temps convoité par le FC Barcelone, pour étoffer son équipe réserve, des contacts qu’il avait lui-même confirmés au micro de notre confrère Redouane Bendali à la télévision, qui seront sans lendemain et c’est dans un autre club suisse, le FC Bâle, qu’il se retrouve fin 2004, début 2005. Mesbah ne disputera que deux matchs de championnat avec le FC Bâle, et franchit une nouvelle fois la frontière suisse pour retourner en France cette fois, sous la forme d’un prêt de six mois, au FC Lorient (Ligue 1), en 2006, avec option d’achat.

2006, le FC Lorient aurait pu le mettre K.-O.

Djamel Mesbah pensait en arrivant au stade du Moustoir de Lorient, au moment d’être présenté à la presse, qu’il en avait enfin fini avec la galère et que ses problèmes étaient restés en Suisse, un pays qui sur le plan footballistique ne lui avait vraiment pas réussi. Ce que le jeune homme de 21 ans ne savait pas, c’est que les problèmes qu’il allait trouver en Bretagne, à Lorient, allaient être cent fois pires que tout ce qu’il avait connu jusqu’à lors. Le jeune Mesbah, arrivé en France avec la rage et la volonté de tout casser et de s’imposer enfin, n’a même pas le temps de livrer bataille pour obtenir une place de titulaire, puisqu’une vilaine et longue blessure l’éloigne des terrains et pousse Lorient, qui ne veut pas s’encombrer à ne pas lever l’option d’achat. A ce moment-là, la carrière de Mesbah est au point mort, il est littéralement «dans les cordes» et s’il avait jeté l’éponge comme d’autres l’ont fait avant lui, personne ne lui en aurait voulu vu le nombre de galères qui lui sont tombées dessus.

2006-2008, un retour en «Suisse algérienne»

Si beaucoup d’autres ont abandonné, Djamel Mesbah, armé de sa seule foi en lui-même, de sa rage et de sa volonté de fer, n’abandonne pas lui. A l’issue de son prêt, il retourne en Suisse, là où il a encore des contacts et un nom et il signe au FC Aarau, un promu de la première division suisse où il retrouve deux autres Algériens qui viennent d’y signer aussi, la légende de l’USM Alger, le fameux El-Harami, Hocine Achiou, et Yacine Hima, tout juste invité à quitter l’Olympique Lyonnais son club formateur. Les deux années à Aarau, aux côtés de ses deux compatriotes, dans une ambiance «suisse algérienne», seront malgré tout des années heureuses pour Djamel Mesbah, il y jouera en deux saisons soixante-deux fois pour quatre buts inscrits. Djamel Mesbah qui, comme il l’a toujours fait, ne se contente pas de cela et caresse toujours le rêve de signer dans un grand club, ne serait-ce que pour vaincre cette spirale négative et cette malchance perpétuelle qui semble s’acharner sur lui. Il caresse aussi un autre rêve, qu’il exprime à chaque fois qu’on lui tend un dictaphone ou un micro, celui de porter le maillot de son pays, l’Algérie. Mais l’équipe nationale drivée par Rabah Saadane est encore loin et Djamel Mesbah connaît une nouvelle croisée des chemins, et franchit encore la frontière suisse, mais cette fois-ci pour l’Italie. Après un petit transit, pour ajouter au mélodrame, par le FC Lucerne, il signe au club d’Avellino, en Serie B, pour essayer de booster sa carrière et se faire remarquer, en espérant mieux.

2008, l’Italie ou la roue qui commence à tourner

On dit souvent chez nous que tout est écrit. Le parcours de Djamel Mesbah le prouve bien puisque ses pas qui auraient pu l’amener n’importe où dans le monde l’amènent à Avellino, club de Serie B, la seconde division italienne, où, à l’image de son club, il effectue une saison de toute beauté, avec vingt-sept matchs pour deux buts inscrits. Son entraîneur, Serse Cosmi, qui a fait un travail formidable à Avellino, obtient une promotion puisqu’il est recruté par le club de Lecce, qui végète en Serie B, avec la mission de remonter en Serie A. Serse Cosmi a la lumineuse idée d’emmener Mesbah dans ses valises et c’est chez les Sang et Or, ses nouvelles couleurs, que Djamel Mesbah va manger enfin son pain blanc après cinq ans de pain noir.

2009, le mektoub l’amène à Lecce

Il n’a pas abdiqué, malgré les embûches, les faillites, les blessures et les erreurs d’aiguillage, il a enfin commencé à caresser son rêve. Lorsqu’il arrive à Lecce, il n’a que 24 ans, mais il a pris tellement de coups, depuis ses dix-neuf ans, qu’il a la maturité d’un joueur de trente ans. Alors que les autres footballeurs de son club rechignent à s’entraîner et préfèrent les sorties en boîte de nuit, lui travaille d’arrache-pied et a une hygiène de vie irréprochable pour atteindre enfin son but, celui de réussir dans le football, pour que tous les sacrifices que lui et sa familles ont consentis durant toutes ces années n’aient pas été vains. Il réussit le pari de l’accession en Série A avec Lecce, et à l’aube de ses 25 ans, il croit partir enfin en vacances, pour une fois, l’esprit tranquille en se disant qu’à son retour il foulera les pelouses du grand Calcio, et qu’il affrontera enfin des grands clubs du football mondial comme l’Inter, l’AS Roma, la Juventus et un certain Milan AC dont il ignorait qu’il l’ingérerait un jour.

2010, la Coupe du monde avec l’Algérie et la Serie A, à 25 ans

Mais Mesbah ne savait pas que plutôt que de partir en vacances dans une île des Caraïbes, le destin allait lui permettre de vivre son deuxième rêve, celui d’être appelé en équipe nationale, qui lui tenait à cœur, et pied de nez au mauvais sort, c’est en Suisse, à Crans Montana, le pays de tous ses malheurs, que Rabah Saâdane le convoque pour son premier stage. Il connaîtra quelques jours plus tard sa première sélection avec les Fennecs, à Dublin, face à l’Irlande, où sa prestation plus que satisfaisante lui permettra de figurer dans la liste des 23 pour la Coupe du monde 2010, qu’il aura l’honneur de disputer. L’équipe nationale et son niveau international l’ont aidé à franchir un nouveau cap, qui lui permet d’arriver en Série A italienne, pour sa première saison, en 2010-2011, dans l’élite du football italien, le Calcio.

2012, Milan AC, son talent lui fait franchir un cap

Après deux saisons de toute beauté avec son club de Lecce, qui réussit son maintien, où il disputa quarante-sept matchs de Serie A et trois buts inscrits, il est remarqué par un certain Massimiliano Allegri, l’entraîneur de Cagliari, qui couche son nom sur son calepin au cas où il aurait besoin d’un bon latéral gauche de talent. Le destin, si dur avec Mesbah au début de sa carrière, semble lui sourire car monsieur Allegri est devenu entraîneur du grand AC Milan, et un AC Milan dont le côté gauche coince. Après une demi-saison poussive sur le côté gauche avec une erreur de casting, Taiwo et un vieux Zambrotta qui donne ce qu’il peut. Massimiliano Allegri consulte son calepin et se souvient du latéral gauche algérien de Lecce. La suite nous la connaissons tous, puisque Mesbah est aujourd’hui Rossoneri et s’apprête à changer de dimension.

Demain, la Ligue des champions ?

Notre saga s’arrête aujourd’hui avec l’instant présent, l’arrivée de Mesbah à Milan. Il appartient maintenant à Djamel Mesbah de l’écrire lui-même grâce à son talent et son ambition.

M. B.

Compétition a été le premier à le découvrir en 2002

Mesbah était pisté à ce moment-là par le Barça

Le transfert de Djamel Mesbah au grand Milan AC, c’est aussi une fierté particulière pour le journal Compétition qui l’avait découvert et fait connaître à ses lecteurs en 2002, alors qu’il n’avait pas encore bouclé ses 18 ans. A travers une interview réalisée il y a dix ans par notre collaborateur Redouane Bendali, ce jeune milieu offensif, complètement inconnu par le public algérien et même par les responsables du football national de l’époque, avait déjà exprimé son désir ardent de porter le maillot de l’équipe d’Algérie, même si ce n’est que sept ans plus tard que ce rêve s’est réalisé. Mesbah était en 2002 la coqueluche du club suisse du Servette de Genève où il avait été formé. Il était même pisté par les recruteurs du FC Barcelone pour rejoindre les Blaugrana. Cette information avait été à ce moment-là révélée par toute la presse suisse et même espagnole, car il était présenté comme un véritable stratège hyperdoué. Ce projet n’a malheureusement pas abouti pour des raisons obscures et Djamel Mesbah a ensuite bourlingué à travers plusieurs clubs suisses et français qui ne correspondaient pas vraiment à sa véritable valeur, avant d’atterrir en Italie où il vient d’être justement récompensé par son contrat avec le Milan AC.