Le droit algérien de la famille ne donne aucun qualificatif pour désigner l’enfant né hors mariage, appelé en droit “enfant naturel”. Il n’en parle même pas car, l’enfance illégitime est un sujet tabou au sein de la société algérienne pour des raisons d’ordre religieux, politique, mais surtout par “hypocrisie et animosité”.
Après l’accouchement, la mère, ne laisse aucune trace de son passé à l’enfant qui se voit attribuer un numéro par les services sociaux mais privé d’identité. Le premier besoin est d’ordre psychologique : lorsqu’on se sent “enfant de personne”, à un moment de la vie, la nécessité de savoir qui on est et pourquoi on a été abandonné, s’impose. Pour se construire, on a besoin de connaître ses racines.
Par ailleurs, on n’existe administrativement et socialement qu’à travers un nom créé de toute pièce : socialement, c’est difficile. En Algérie, le nombre de ces enfants nés sous X est de 3 000 par an, selon le chiffre officiel. Les associations annoncent 42 000 par an. “Un chiffre erroné !”, dément Mme Yamina Houhou, enseignante à la faculté de droit d’Alger. “Le chiffre dépasse de loin la réalité. Il est de plus de 42 000 par an par wilaya. En réalité, ils sont 9 000 ou 10 000, chiffre qu’on refuse de déclarer”, insiste-t-elle “Une situation alarmante, tragique, voire dramatique qui nécessite une étude approfondie sur les conditions de ces enfants”, s’accordent à dire les juristes et sociologues. Pour Mme Houhou, “les naissances hors mariage ont toujours existé et existeront toujours”. Il est à rappeler que dans les années 70/80, il était inconcevable que l’enfant illégitime reste avec ses parents, il devait être exclu de la tribu d’origine pour maintenir l’ordre social et préserver ainsi son prétendu honneur. Il est important de signaler que le droit de la famille algérien ne donne aucun qualificatif pour désigner l’enfant né hors mariage, appelé en droit “enfant naturel”.
Il n’en parle même pas car, l’enfance illégitime est un sujet tabou au sein de la société algérienne pour des raisons d’ordre religieux, politique, mais surtout par hypocrisie et animosité. Toujours selon l’enseignante à la faculté d’Alger “le droit algérien ne définit pas l’enfant abandonné.
Le droit de la famille prohibe l’adoption (article 46 du Code de la famille). Pour parer à cette prohibition, le législateur algérien a mis en place la kafala comme moyen de protection de l’enfant abandonné (avec ou sans filiation). Mais il s’est avéré que cet enfant est devenu une proie facile. En réalité, il ne bénéficie d’aucun avantage. Concernant l’héritage par exemple, il est nécessaire de développer une autre filiation sociale affective qui prime sur la filiation biologique”, proposera Mme Houhou. Quant à la filiation, elle demande que le législateur algérien applique la reconnaissance de l’enfant par le test ADN.
“Aujourd’hui, nous sommes devant une situation alarmante et une hypocrisie sociale qui perdure au nom de la morale religieuse”, souligne-t-elle. Elle ajoutera que “l’enfant né hors mariage est désigné par des termes populaires tels que ‘lakit’, ‘enfant trouvé’, ‘madjhoul el-nasab’ qui sont des insultes parce qu’il est né sous X et qu’il n’a pas de filiation, qui est pourtant un droit fondamental de l’enfant”, s’indigne notre interlocutrice. Elle propose que l’état réfléchisse à un concept pour la protection de cet enfant. C’est un droit personnel. Malheureusement, il y a des lacunes juridiques au niveau du Code de la famille qui interdit l’adoption mais autorise la kafala qui s’avère un concept insuffisant sur plusieurs plans. D’abord, sur le plan filiation, la concordance des noms reste un concept non clair. Aussi, il faut que la kafala soit un projet de vie et non un acte de charité. Quelqu’un qui prend un enfant pour la kafala c’est pour la vie. Malheureusement, le droit algérien ne considère pas le lien parental, la kafala est considérée comme un acte de charité et c’est pour cela que je dis que l’un des concepts qui est resté très pauvre c’est bien le concept de l’enfant né sous X. Le Code de la famille en fait un acte unilatéral. Or, il devrait être une mission noble qui consiste à construire un adulte de demain. Il est à souligner que cet enfant n’a aucune protection naturelle après le décès du kafil (parent adoptif). Aussi, la kafala prend fin une fois les parents décédés. L’enfant se retrouve à la rue. Si c’est une fille, elle est exposée au danger de la prostitution, le garçon à la délinquance. également, l’une des grandes insuffisances est qu’en cas de divorce du couple kafil, elle n’implique pas les deux parents. L’un d’eux n’a pas droit de garde ni droit de visite. C’est contraire au droit civique. “Toutes ces lacunes doivent être étudiées, revues ou développer des concepts nouveaux sans qu’ils soient contraires à la moralité religieuse. Des concepts fondés sur le lien socio-affectif”, expliquera t-elle. Afin de protéger l’enfant né sous X, Mme Houhou demande que sa situation reste secrète entre l’administration et l’école pour que cet enfant puisse avoir une vie et surtout une scolarisation normale. Pour rester dans la conformité religieuse et dans le respect de la moralité de l’islam, “nous proposons une loi qui oblige le géniteur à reconnaître son enfant, soit par ADN, soit volontairement (la reconnaissance de paternité).
éventuellement, de renforcer l’article 44 du Code de la famille : devant le tribunal, le juge doit accepter la reconnaissance de paternité sans obliger le demandeur de passer par le contrat de mariage.
Nous ne proposons pas l’adoption lorsque la filiation de l’enfant est connue. Nous sommes pour la filiation d’un enfant né sous X. C’est un droit et nous devons protéger cette catégorie de personnes qui est vulnérable et exposée à tous les dangers. On essaye de régler un phénomène de société qui n’a jamais fait l’objet de réflexion doctrinale, philosophique par rapport au divorce et à la succession ou l’héritage”, a conclu Mme Houhou.