Yahia H. Zoubir est professeur à l’International Studies & International Management et directeur au Research in Geopolitics Kedge Business School de Marseille.
Le spécialiste des relations internationales nous livre son analyse sur les derniers développements au Mali.
Liberté : Depuis le 16 juillet, les autorités maliennes et les groupes rebelles du Nord ont entamé un dialogue qui se poursuit encore. Que vous inspire cette initiative historique qui se tient à Alger ?
Le Dr Yahia Zoubir : Cette initiative est historique, seulement dans le sens où elle a réussi à inclure toutes les parties prenantes dans le conflit, tout en excluant les groupes terroristes, notamment Ansar Eddine, le Mujao et Aqmi. Avoir réussi à réunir six groupes armés de persuasions contradictoires avec les représentants du gouvernement et avec des organisations internationales, pourrait être perçu comme un succès de la diplomatie algérienne, ce qui n’était pas le cas pendant plus d’une décennie, surtout concernant le continent africain.
Les conditions sont-elles réunies pour aller vers un accord de paix entre les différentes parties maliennes ?
Il existe un consensus parmi tous les groupes armés ainsi que le gouvernement : il n’y a pas d’alternative à la paix. La position du MNLA est suspecte, car ce mouvement a non seulement des visées séparatistes, mais il a aussi des liens particuliers avec la France. En 2012, le MNLA avait cru compter sur le soutien de la France pour obtenir l’autonomie de l’Azawad. La France y était très probablement favorable, car une entité autonome pro-française aux frontières du sud de l’Algérie n’était pas vue d’un mauvais œil.
Mais, les divisions parmi les Touareg et l’alliance Aqmi – Ansar Eddine avaient changé la donne, surtout avec l’avancée de ces groupes vers Bamako. Le MNLA, je pense, continuera à chercher une large autonomie si ce n’est, éventuellement, l’indépendance. Mais, le problème du MNLA, c’est qu’il pense être le véritable représentant du peuple targui alors qu’il ne l’est pas. Donc, les autres groupes ne lui accorderont pas une légitimité hégémonique.
Qui a vraiment intérêt à ce que le dialogue intermalien aboutisse et que la crise s’estompe au Nord-Mali ?
Il est clair que les puissances occidentales et les États maghrébins ne souhaitent pas voir le nord du Mali traversé par une instabilité continue. Cela représente une menace à leurs intérêts (terrorisme, trafic de drogue, immigration clandestine…). Donc, un Nord plus stable est souhaité par tout le monde. Cela dit, les calculs des États externes à la région ne sont pas tous les mêmes.
Pour les États-Unis, les priorités sont : la lutte antiterroriste, le contrôle des ressources énergétiques et l’affaiblissement de l’influence toujours croissante de la Chine. Pour la France, ce sont les ressources minières au Mali, mais aussi au Niger. La France cherche évidemment à retrouver sa place prépondérante dans ses ex-colonies africaines. Cela dit, le succès de toute évolution positive au nord du Mali doit impérativement s’articuler autour de programmes de développement socioéconomique pour les populations du Nord, mais aussi du Sud.
Y a-t-il des raisons particulières qui poussent l’Algérie à “aider” le Mali ? Est-il juste de dire que l’Algérie a repris la main dans la région du Sahel ?
La sécurisation des frontières est cruciale ; les frontières avec les pays du Sahel sont le ventre mou de la sécurité nationale de l’Algérie. Notre pays partage près de 1 400 km avec le Mali, alors quand on dit sécurité des frontières, il s’agit non seulement des trafics de tous genres, mais aussi de l’implantation de groupes terroristes dans le nord du Mali.
Ces groupes ont, depuis la chute du régime de Kadhafi, réussi à acquérir un armement sophistiqué et pourraient nuire à la sécurité du territoire algérien. L’Algérie a raté le coche en 2012-2013. Elle aurait pu intervenir militairement au Nord-Mali, en conjonction avec les troupes maliennes, et liquider les groupes d’Aqmi et du Mujao — ce qui aurait pu éviter une intervention étrangère.
De plus, elle avait cru à tort en Lyad Ghaly, chef d’Ansar Eddine, pour résoudre la crise au nord du Mali. Ceci est le passé. Depuis septembre 2013, l’Algérie a un professionnel de la diplomatie à sa tête, qui a repris les choses en main. Avant cela, les relations avec l’Afrique n’étaient plus ce qu’elles étaient jusque dans les années 1990. Ce n’est que depuis une année qu’il y a eu une reprise en main pour éviter l’implication d’autres pays, comme le Maroc, dans le Sahel.
Le MNLA n’avait-il pas eu des discussions avec Rabat concernant le Nord-Mali ? En ce moment, l’Algérie a, autour d’elle, des pays instables dont les répercussions peuvent faire voler en éclats sa stabilité. Une résolution de la question des Touareg est vitale pour l’Algérie, qui a une forte population targuie. Tout comme il est crucial de résoudre les problèmes dans le M’zab. Une revitalisation des relations bilatérales, régionales et continentales avec l’Afrique sont d’une nécessité vitale pour l’Algérie.
H. A.