Le directeur général du Domaine, Mohamed Himour, Le cadastre, les étrangers et la mafia du foncier

Le directeur général du Domaine, Mohamed Himour, Le cadastre, les étrangers et la mafia du foncier

Le foncier reste en Algérie un sujet très sensible. Et pour cause ! Plus de cinquante ans après le recouvrement de l’Indépendance nationale, cette question suscite encore les pires controverses…

Invité du Forum de Liberté, le directeur général du Domaine national, Mohamed Himour, a précisé, hier, que si son administration est sollicitée par tous les secteurs d’activité, c’est parce qu’elle constitue “le principal pourvoyeur de foncier” dans le pays. “En tant que représentant de l’État, nous sommes, en effet, souvent interpellés pour accompagner différents secteurs surtout lorsqu’il s’agit de réalisation d’infrastructures ou d’une affectation aux services publics”.

Il reconnaît, ainsi, qu’avec l’embellie financière due à la manne énergétique, les actions de son administration se sont amplifiées ces dernières années. Ce surcroît de plans de charges a nécessité, d’après lui, de nombreuses mesures de modernisation et de réorganisation. “Il faut rester vigilant car le foncier est une ressource non renouvelable”, précise-t-il, reconnaissant qu’en matière de foncier industriel les résultats étaient plutôt en deçà des efforts consentis par l’État. En effet, s’agissant du retour sur investissement, il a été donné de constater qu’il est à ce jour insignifiant. Aucune création d’emplois, de valeur ajoutée, alors que le but affiché était, au départ, “une valorisation de la ressource”. La concession aux enchères publiques des terrains disponibles, relevant du domaine privé de l’État et destinés à la réalisation de projets d’investissement est passé, notons-le, des enchères publiques au gré à gré. Les enchères publiques des actifs des entreprises publiques dissoutes jugées, au demeurant “transparentes” auraient été décriées notamment par les opérateurs économiques eux-mêmes car tirant, d’après eux, les prix du foncier vers le haut. “Il s’agit de créer et de promouvoir de nouveaux espaces destinés à l’investissement par la mise en concession des actifs qui relèvent du domaine privé de l’État”. Aussi, le Comité d’assistance à la localisation et à la promotion des investissements et à la régulation du foncier (Calpiref) présidé par le wali territorialement compétent et qui regroupe toutes les administrations concernées doit décider d’une utilisation rationnelle du foncier destiné à l’investissement industriel dont la priorité doit aller vers “des projets structurants”. Ceci, tout le monde le sait… Même les “investisseurs” de mauvaise foi qu’on peut facilement assimiler à “la mafia du foncier”. Mais concrètement, sur le terrain, on voit très mal comment ces projets vont contribuer un jour à la satisfaction de la demande nationale… Nul besoin, en effet, d’être un grand devin pour démasquer les faux porteurs de projets dont certains sont à peine pubères et ne peuvent qu’être, par conséquent, que des prête-noms. Il faut savoir que la procédure des enchères publiques permet à l’État de récupérer à tout moment l’assiette foncière. Ces attributions de gré à gré sont accompagnées, en outre, par des mesures incitatives

notamment par un abattement “consistant” du montant de la redevance. La mise en place dès 2008 du dispositif de “concession non convertible en cession” qui subira, entre-temps, quelques allègements et des simplifications des procédures n’a pas encore produit tous ses “effets”. Pour

M. Himour, il est encore trop tôt pour évaluer les résultats de la procédure selon la voie du gré à gré. Devant ce manque de recul, le directeur du Domaine révélera, toutefois, que l’administration locale a été instruite afin de procéder aux vérifications nécessaires quant au lancement et la réalisation desdits projets. “Il s’agit, dans le cas d’espèce, de faire respecter les dispositions des cahiers de charges fixées en 2010 par des textes règlementaires et le nouveau code de l’investissement”.

Des dossiers sont au niveau de la justice

M. Himour révélera que plusieurs actions en justice sont déjà entamées pour la résiliation de ces concessions. Enfin, du côté des pseudos investisseurs, les subterfuges ne manqueront pas de se présenter comme, par exemple, le retard dans la délivrance d’un permis de construire ou encore l’octroi d’un crédit bancaire qui se fait attendre. À la remarque que le bradage du foncier n’en est rendu que plus facile par la formule du gré à gré qui sied à merveille aux injonctions de toutes sortes, M. Himour s’en tient au fait que le wali doit défendre “en toutes circonstances” la règlementation. Et puis, pour lui, dans chaque

Calpiref siège un directeur de l’industrie. “Que chacun assume ses responsabilités !”, a-t-il préconisé à la fin. Autre sujet à controverses, les “biens vacants” qui appartenaient aux pieds-noirs qui ont quitté l’Algérie après l’Indépendance. Pour le directeur général du Domaine, ces biens “spoliés” appartiennent, bel et bien, à l’État algérien. Il expliquera qu’à l’Indépendance du pays, le foncier était constitué de nombreux territoires non titrés. Ce qui a nécessité de multiples enquêtes juridiques pour régulariser la situation patrimoniale. Pour lui, la situation des biens étrangers est apurée au niveau de la conservation foncière. Il est à rappeler que dans les années 1990, certains supposés propriétaires pieds-noirs ont procédé à des régularisations par des attestations notariales et des opérations de succession pour venir inquiéter des années après des citoyens algériens. De nombreuses plaintes ont été déposées pour récupérer ces biens ou pour d’éventuelles indemnisations. D’après l’invité de Liberté, ce problème n’aurait jamais du surgir “si à chaque départ d’un pied-noir, sa propriété était déclarée bien vacant”. Et quand bien même ces biens sont restés au nom des anciens propriétaires, nombre de ces derniers ont été déboutés tant au niveau de la justice que de l’administration. “Si la question avait été traitée au moment opportun le problème ne se serait pas posé”. Parmi ces propriétés, il y a des terres agricoles, des habitations, des infrastructures industrielles. Au-delà de la question de la souveraineté nationale, M. Himour semble avoir par ailleurs une conscience très aiguë de son devoir à défendre les intérêts de l’État algérien. “Dans 99% des cas, on a obtenu gain de cause devant la justice”, a-t-il précisé. Parmi les chantiers qui lui tiennent à cœur, le DG du Domaine cite le cadastre général qui devrait être achevé fin 2014. “La production cadastrale est estimée à quelque 225 millions d’hectares. Il s’agit à travers ce travail gigantesque de conforter et d’apurer la propriété foncière”.

400 00 hectares cadastrés

Et pour bien montrer les efforts “considérables” de l’administration domaniale, M. Himour révèle que jusqu’à 2005, seuls 400 000 hectares étaient cadastrés par an. “On est vite passé à un million d’hectares par an”. D’après lui, le taux d’avancement actuel du cadastre général a dépassé les 50%. À l’épreuve du terrain, ses services ont surtout rencontré des difficultés dans les agglomérations. “Le cadastre rural estimé à 15 millions d’hectares ne pose pas autant de problèmes que le cadastre urbain estimé à peine entre 350 à 400 000 hectares. Il reste 177 000 hectares en périmètre urbain soit 50% de territoire à cadastrer”. Il expliquera que cette “tâche ardue” nécessite non seulement la présence des propriétaires et la disponibilité des documents de propriété, mais aussi la définition des droits de tous les copropriétaires lorsqu’il s’agit d’un immeuble individuel avec plusieurs occupants et donc tous détenteurs de droits. Une autre spécificité algérienne. Outre le phénomène d’absentéisme qui vient contrarier quelque peu l’opération du cadastre général, “la nature des espaces urbains et la configuration même de nos constructions impliquent une superposition de droits qu’il va falloir définir dans le détail”. Autre contrainte et non des moindres, la production cadastrale doit être déposée dans les délais impartis alors que la mention “inconnu” est encore très courante dans de nombreux plans. Il s’agit de vite dépasser cette situation…

M-C .L

Bio-express

Né le 28 avril 1956 à Alger, Mohamed Himour est titulaire d’une licence en droit obtenue à la Faculté de Ben Aknoun en 1980. Il rejoint l’administration du Domaine en mai 1981 où il gravira tous les échelons jusqu’au poste de directeur général qu’il occupe depuis janvier 2011.