Encore une fois, les chômeurs du Sud font parler d’eux. Si leur revendication principale reste l’emploi, difficile à dénicher dans ces contrées riches et qui sont l’objet de toutes les convoitises, il reste que la manière qu’empruntent ces diplômés ou autres pour faire aboutir leur revendication légitime et exprimer leur désespoir est on ne peut plus «originale».Un groupe de jeunes chômeurs diplômés a en effet tenu un rassemblement devant le siège de l’Agence nationale de l’emploi (Anem) à Laghouat, une des wilayas les plus «revendicatrices», à l’instar de Ouargla. Ces jeunes chômeurs, qui se font «filmer» à l’occasion et dont la vidéo fait le buzz sur Internet, ont tout bonnement «brûlé» symboliquement leurs diplômes pour alerter, disent-ils, les plus hautes autorités de l’Etat sur la situation plus qu’inquiétante dans laquelle se débat la jeunesse du sud du pays. «Je brûle mon diplôme, car il ne me sert à rien. C’est le seul moyen de faire parvenir notre message aux autorités», tranche l’un des chômeurs, alors qu’un autre explique que «même si nous avons des diplômes ou de l’expérience, il n’y a pas de travail». «Nous avons frappé à toutes les portes, rien». Évoquant la situation de son ami, l’un des protestataires s’indigne : «Il a étudié cinq ans pour finalement travailler au foyer de l’université.» «Où est la dignité ?», pestent ces jeunes en direction de quelques policiers qui se sont rapprochés du lieu du rassemblement, étalant toute «la pression psychologique» que subissent les jeunes diplômés qui finiront sans doute, avertissent-ils, «dans le cercle infernal de la violence». Des manifestations pour dénoncer «la mafia locale» Cette énième action des chômeurs du Sud n’est que le prolongement d’une série d’autres actions menées souvent sous l’égide du Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC) soutenu par certaines associations comme la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (Laddh) dont les avocats ont défendu la cause des sans-emploi arrêtés au cours de ces manifestations, avant d’être pour la plupart condamnés à de lourdes peines de prison et à de fortes amendes pour avoir organisé des «attroupements non armés» et «troublé l’ordre public». Cette situation peu reluisante qui touche «le poumon» de l’Algérie dure depuis au moins 3 années sans qu’une solution concrète soit apportée au problème de l’emploi en général, mais aussi «aux passe-droits et à la hogra» qu’imposent certaines multinationales activant dans le secteur des hydrocarbures et d’autres «barons» locaux qui écument les différentes agences locales de l’Anem. Licencié par son employeur (une multinationale) pour ses activités syndicales, Yacine Zaïd, originaire de Laghouat, est l’un des premiers à avoir dénoncé ce «diktat» en portant «le message» des chômeurs du Sud jusque dans la capitale, avant qu’il ne soit relayé par le CNDDC, créé dans le feu de l’action pour s’imposer en interlocuteur. Vaine tentative puisque «toutes les portes sont jusque-là fermées», à commencer par celles de l’Anem dont le directeur s’est déplacé dans la wilaya de Ouargla. Plusieurs responsables locaux de l’Anem ont sauté depuis cette visite où les promesses de prendre à bras-le-corps toutes les revendications des sans-emploi n’ont abouti qu’à des «remaniements», des «replâtrages», accusent les chômeurs que nous avions alors rencontrés sur place (Ouargla) et qui ont dénoncé publiquement ces responsables accusés de «favoritisme», de parti pris et d’être à la solde des multinationales qui ne trouvent pas mieux que de ramener des employés non seulement du nord du pays mais également du Bangladesh ou encore d’Egypte pour occuper des emplois que des diplômés du Sud pouvaient aisément occuper. Pire, pour travailler comme agent d’entretien à Hassi Messaoud, l’on n’hésite pas à réclamer aux demandeurs d’emploi «de fortes connaissances en langue anglaise». Aberrant, estime-t-on. Les mêmes pratiques, assure-t-on également, touchent d’autres wilayas. Depuis donc des années, des manifestations quasi quotidiennes de chômeurs sont enregistrées à Laghouat, Hassi Messaoud, Ouargla ou encore Ghardaïa. Objectif : réclamer un emploi. Des manifestations qui ont parfois failli dégénérer, n’était la forte présence des services de sécurité. Rien que durant les 2 premiers mois de l’année 2013, plusieurs rassemblements et marches de chômeurs ont été enregistrés à Ouargla. Ces manifestations se sont soldées par l’arrestation d’une quarantaine de chômeurs qui ont ensuite été traduits en justice avant d’être condamnés. D’autres actions sont prévues par les sans-emploi, comme cette marche prévue pour le 42e anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures, une marche pour réclamer leur «renationalisation» et «la distribution équitable des richesses du pays». Des membres de l’Exécutif pour apaiser la tension Ceci se passe au moment où les plus hautes autorités de l’Etat, à leur tête le premier ministre, qui multiplient les sorties dans les wilayas du Sud dans le cadre de la mise en application du programme quinquennal du Président. Le chef de l’Exécutif s’est rendu dans la wilaya de Ouargla où il a insisté sur le développement de toute la région et promis des projets conséquents alors que d’autres membres de l’Exécutif (Dahou Ould Kablia, Rachid Benaïssa…) avaient fait pareil à Adrar, Ghardaïa et tout récemment à Illizi. Pourquoi malgré toute cette bonne volonté et l’engagement à résoudre la question du développement dans laquelle on peut inscrire la problématique de l’emploi, la tension demeure-t-elle de mise au Sud, alors que dans d’autres régions, c’est un calme relatif qui règne. Certains observateurs évoquent des personnes malintentionnées qui tireraient les ficelles, car «la situation les arrange, d’autant qu’ils tirent d’importants profits de ce marché de l’emploi». L’on cite à titre d’exemple un cadre de l’Anem qui travaille à Alger. D’autres analyses parlent de la «complexité» de la mentalité des gens du Sud accusés de vouloir travailler uniquement dans le secteur des hydrocarbures, où le faible niveau d’instruction de certains demandeurs nécessite des recyclages et des formations supplémentaires. Mais les gens du Sud continuent à soutenir le contraire. Pour eux, il n’y a aucune volonté de résoudre le problème. Rien que pour les dernières visites ministérielles, l’on affirme du côté des chômeurs que «ces autorités» refusent de les recevoir, alors qu’elles discutent «de l’avenir de ces régions avec des notables qui ne représentent personne», accuse Madani El Madani de Ouargla. Quoi qu’il en soit, la problématique de l’emploi dans le Sud doit être sérieusement prise en charge, car les risques qu’elle est susceptible d’induire et qui pourraient même toucher à la sécurité nationale sont latents. Saïd Mekla |