Dans un entretien publié dans l’édition d’hier du Figaro, le dernier moine de Tibhirine, Jean-Pierre, témoigne de la violence du Groupe islamique armé (GIA) et des menaces que lui et les religieux qui étaient avec lui au monastère ont reçues de la part de l’organisation.
«Noël 1993, le soir, ils (des éléments du GIA) ont fait le mur. On était dans la sacristie avec Célestin, qui préparait les fiches de chants pour la messe de Noël.
Des hommes armés jusqu’aux dents nous ont encerclés. Les Croates venaient d’être tués, on pensait y passer aussi. Ils nous ont rassurés. Parce que nous étions des religieux, ils ne nous feraient rien. Mais ils ont alors commencé à taper sur le gouvernement. Puis le chef a dit : «Je veux voir le pape du coin.» On est allés chercher Christian, qui a tout de suite dit : «Non, on n’entre pas ici avec des armes.
Si vous voulez venir ici, laissez vos armes à l’extérieur. Personne n’est jamais entré ici avec des armes. Ici, c’est une maison de paix !» Ils ont finalement discuté et ont demandé trois choses : que le docteur puisse venir soigner les blessés dans la montagne, des médicaments, de l’argent. Avec tact, Christian a répondu non aux trois demandes. Sauf pour les blessés qui pouvaient venir, comme tout le monde, au dispensaire. Puis il a dit en arabe que nous préparions «la fête de la naissance du prince de la paix».
Ils ne le savaient pas et se sont excusés, mais ils ont dit : «On reviendra.» En donnant un mot de passe : ils demanderaient «monsieur Christian». Ce soir-là, la messe de minuit a eu un goût particulier. Le lendemain, au chapitre, nous avons commencé les discussions sur l’avenir», témoigne-t-il.
Les religieux ont décidé, ajoute le témoin, «que s’ils demandaient de l’argent, on leur en donnerait un peu pour éviter la violence, mais nous pensions toutefois partir, car nous ne voulions pas collaborer avec eux. Puis l’évêque d’Alger est venu nous dire que si l’on décidait de quitter, il ne fallait pas quitter tous ensemble, pour ne pas affoler l’Église d’Algérie. On a décidé que deux d’entre nous partiraient.
Célestin, qui avait été traumatisé par ce Noël et qui devait subir six pontages cardiaques, et frère Paul, qui avait besoin de repos».
«Le père Armand Veilleux, venu prêcher une des dernières retraites, nous avait dit que nous étions arrivés «au sommet» de notre vie commune. Nous étions en effet parvenus à l’unanimité à la décision de rester. Les relations fraternelles s’étaient encore soudées.
En chapitre, nous ne pouvions prendre à la légère des décisions aussi graves. Par rapport au GIA, par rapport à un départ, sur notre conduite si nous étions enlevés ou dispersés… Nous étions alors tous décidés à rester, mais la peur de ce qui allait arriver était présente, plus ou moins, chez les uns et les autres. Mais il fallait continuer à vivre. Il y avait des attentats à droite et à gauche. Des proches du monastère avaient été arrêtés ou menacés. Voilà le climat dans lequel on vivait», dit Jean-Pierre.
Pour «ce qui est du GIA, le gardien m’a raconté que quand ils sont redescendus, l’un de ceux qui l’accompagnaient a dit à l’un de ses collègues :
«Va chercher une ficelle, il va voir ce que c’est que le GIA», car ils voulaient l’égorger, mais il a réussi à s’éclipser», ajoute Jean-Pierre. La menace exprimée par les terroristes du GIA était claire. Les religieux furent assassinés et leurs corps jamais retrouvés. Les têtes séparées des restes des corps des victimes, ont seules été retrouvées. Les terroristes du GIA étaient connus pour la décapitation de leurs victimes.
M. A.