Ils redoublent d’ingéniosité et même de générosité : les économistes algériens, décidés à nous éviter le cauchemar qui nous attend, inondent les pouvoirs publics de suggestions perspicaces, de géniales propositions et même d’astuces non répertoriées dans le catalogue classique universitaire.
Un État digne de ce nom aurait trouvé là, matière à se tirer d’affaire, amortir le choc de la baisse des cours pétroliers et même, faire redémarrer la « machine économique » au plus vite et éviter que la baisse de croissance conjoncturelle ne se transforme à terme en une baisse de croissance structurelle (ce qui, à notre avis, est déjà le cas).
Mais, aussi méritoires qu’elles puissent être, ces propositions de sauvetage ne s’adressent à personne. Je veux dire à personne parmi ceux qui disposent du pouvoir de décision.
L’explication ne tient pas seulement au fait que nos dirigeants n’écoutent personne, mais à cette vérité beaucoup plus tragique : l’État qui régule, l’État « grand ordonnateur de la croissance » (Pierre Rosanvallon), l’État stratège, l’État « réducteur d’incertitudes », l’État tout court, celui qui aurait pu les écouter, cet État-là, n’existe pas. Même plus sous sa forme mécanique qui est la sienne depuis 1962. En 16 ans, Abdelaziz Bouteflika a tout cassé. En rétablissant les conditions du pouvoir absolu, il a mis fin aux bourgeons d’État moderne qui poussaient laborieusement et fait le lit d’une mafia qui, aujourd’hui, tient lieu d’État.

« Bouteflika ne pouvait pas se contenter du poste de président de la République. Il a voulu s’emparer de tous les postes, celui de ministre comme celui de député ou celui de maire. C’est pour cela qu’il n’y a plus aujourd’hui d’autorité nulle part, celle de l’État, celle du maire ou celle du ministre… », disait Chérif Belkacem.
C’est cette mafia, bien insérée dans les rouages de nos institutions, qui s’oppose à une nouvelle politique d’urgence. N’est-ce-pas le FLN d’Amar Saadani qui s’est élevé publiquement contre le règlement par chèque et le contrôle des importations ?
Ce pouvoir-là va nous conduire jusqu’au naufrage. N’inversons pas l’ordre des choses : il faut un assainissement politique avant de prétendre à un assainissement économique. Il s’agit, dans l’urgence, de mettre fin au régime de Bouteflika et lui substituer, sans délai, un État régulateur et garant des contre-pouvoirs démocratiques, capable de prévenir de nouvelles crises, de limiter l’impact négatif des récessions sur les citoyens et les entreprises, et de combattre la corruption.
L’Algérie a besoin, à son chevet, d’un État rajeuni, redistributeur, investisseur dans l’innovation, la formation et le savoir. Sans quoi, nous allons vers la plus terrible crise que l’on puisse imaginer, celle dont personne ne sait si on s’en relèvera.
M. B.