Le décryptage de Benchicou : comment et pourquoi le clan présidentiel repousse l’état d’empêchement

Le décryptage de Benchicou : comment et pourquoi le clan présidentiel repousse l’état d’empêchement

Abderahmane Belayat, qui n’est pas médecin mais seulement chef intérimaire du Front de libération nationale (FLN), est néanmoins formel : Bouteflika est juste en convalescence. D’ailleurs, comme chacun le sait, ou a fini par le savoir, l’homme – roi ne meurt pas puisqu’il est envoyé de Dieu pour le bien de l’État et un peu, n’est-ce-pas, pour les amis du premier cercle.

Les casse-têtes de Belayat en disent long sur les tiraillements en haut lieu

C’est ce que disent, du moins, les légendes jamais démenties. L’homme roi ne meurt pas, il y a toujours un roi qui lui succède immédiatement et pour lequel, soldats et courtisans, apprenent à chanter « Le roi est mort vive le roi ». L’inconvénient, cependant, avec l’ancien roi, c’est qu’il met trop de temps à mourir et l’on finit par ne plus savoir s’il faut continuer à lui prêter allégeance ou se tourner vers le nouveau monarque avant qu’il ne soit trop tard. C’est tout le casse-tête de Belayat, d’Amara Benyounès ou de Bensalah, dont la noble tâche de servir le roi est contrariée par les évènements et qui se trouvent plongés dans une perplexité innommable dans cet « entre-deux rois » qui se prolonge au-delà du tolérable. Le tout magistralement résumé par l’incontournable Belayat : «Bouteflika sera, s’il accepte et si les conditions seront favorables, le candidat du FLN à la présidentielle de 2014», a-t-il déclaré au journal Le Temps, avant d’ajouter, prudent : « Dans le cas contraire, c’est le comité central (CC) du parti qui décidera ». Oui, l’inconvénient avec les rois, c’est qu’ils mettent trop de temps à mourir ou à survivre, compliquant diablement les choses pour les serviteurs.Aujourd’hui, dimanche 2 juin 2013, nous entamons, en effet, la sixième semaine d’absence du président Bouteflika hospitalisé à Paris depuis le samedi 27 avril 2013. À ce jour, le chef de l’État aura battu un triste record, celui d’être resté hors du pays durant 37 jours d’affilée, soit deux jours de plus que l’absence de Val-de-Grâce 1, celui de l’année 2005 (du 26 novembre 2005 au 31 décembre 2005). Mais 37 jours d’absence, est-ce trop ou pas assez pour déclarer l’état d’empêchement et engager les procédures d’intérim ou de remplacement ? Non, d’après Belayat qui s’en prend aux partis politiques qui appellent à l’application de l’article 88 de la Constitution. Réponse d’autant plus opportune que ledit article 88 de la constitution est (volontairement ?) évasif.

Certes, il évoque bien le cas d’empêchement dans le cas où le Président de la République, « pour cause de maladie grave et durable », se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions. Mais à aucun moment il n’est précisé ce qu’est une « maladie grave » ni, surtout, ce qu’on entend par « maladie durable ».

Au bout de combien de jours d’incapacité peut-on dire d’une maladie d’un chef d’État qu’elle est « durable » ? C’est à ce genre de flou si habilement entretenu, que l’on reconnaît une bonne constitution. Elle contente le sujet sans mécontenter le roi. Il suffit à ce dernier, par le biais de ses innombrables courtisans, de laisser épiloguer sur ce qui est durable et ce qui ne l’est pas et de mettre de l’acharnement à démentir la gravité de la maladie et, surtout, l’insistance à annoncer le « retour proche » du président Bouteflika. Le tout est de répéter que la maladie n’est ni «grave» ni « durable » pour qu’elle soit, de facto, exclue du champ d’action de l’article 88 et n’ouvre donc pas matière à déclaration de l’état d’empêchement. Ce que fait admirablement Belayat, en relais à Amara Benyounès et autres Bensalah qui n’ont pas assez d’indignation pour fustiger ceux qui mettent le cercueil avant les boeufs.

«Bouteflika n’est ni mort ni invalide», tonnent-t-il à l’unisson. On l’aura compris : le cercle présidentiel fera tout pour un quatrième mandat qui, seul, perpétuera l’accès à la rente pétrolière et garantira l’impunité. Ceux qui parient sur un après-Bouteflika devraient mieux écouter Belayat qui est un porte-voix garanti haute-fidélité : « Le RND et le FLN forment toujours l’Alliance présidentielle. Le FLN et le RND veulent un 4e mandat pour le président Abdelaziz Bouteflika ». N’accablons cependant pas nos constitutionnalistes. La confusion, à propos de l’empêchement, est tout aussi bien présente dans la constitution française. Les présidents Pompidou et Mitterrand, victimes d’une lourde maladie, ont ainsi réussi à dissimuler la réalité aux Français, jusqu’au bout, mettant ainsi en lumière les difficultés de mise en œuvre de l’empêchement ainsi que le manque de transparence sur l’état de santé des présidents. Le précédent français vient servir providentiellement Bouteflika qui n’a qu’à suivre l’exemple de ces deux illustres chefs d’État d’un pays démocratique de surcroît, pour échapper à la disqualification. Il est aidé, en cela, par une architecture constitutionnelle très propice aux cafouillages.

En effet, si en France, l’empêchement doit être constaté par le Conseil constitutionnel, saisi par le gouvernement, qui doit statuer à la majorité de ses membres sur l’empêchement (avec ceci de notable que rien ne saurait obliger le gouvernement à le faire), chez nous, c’est le conseil constitutionnel qui doit s’auto saisir pour vérifier la réalité de l’handicap présidentiel. Hypothèse très improbable quand on connaît le profil très « Belayatien » des personnes composant cette instance. Et même si, par miracle, le Conseil constitutionnel venait à se prendre par la peau du cou et à constater l’impossiblité pour le chef de l’Etat de poursuivre sa mission, il n’a pas prérogative de le déclarer. Il peut seulement proposer au Parlement de le faire. D’où le tout dernier rappel à l’ordre de l’incontournable Belayat : « Le FLN est majoritaire. Ce n’est pas deux ou trois partis qui pourront déstabiliser le pays. Ils veulent l’application de l’article 88, alors que Bouteflika est juste en convalescence. Il n’est pas mort ou invalide. Ceux qui appellent à son application ne peuvent nous l’imposer » (Journal Le Temps du 2 juin). C’est dire que rien ne presse le régime à annoncer l’état d’empêchement du président Bouteflika. La marge de louvoiement reste encore substantielle : il n’y a qu’à nier la gravité de la maladie pour empêcher l’application de l’article 88. Le seul ennui, dans la besogne est qu’elle ne saurait durer indéfiniment sans risque de bloquer la machine étatique. Car, toute byzantine qu’elle est, la constitution algérienne stipule que certaines prérogatives du président de la république ne peuvent être exécutées que par lui-même, sans aucune autre possibilité de les déléguer. Nul autre que lui ne peut, en effet, exercer, entre autres, la fonction de Chef suprême de toutes les Forces Armées de la République, conduire la politique extérieure de la nation; présider Conseil des Ministres, signer les décrets présidentiels, disposer du droit de grâce, saisir le peuple par voie de référendum, ratifier les traités internationaux, nommer aux emplois et mandats prévus par la Constitution et aux emplois civils et militaires de l’Etat, nommer et rappeller les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires de la République à l’étranger, recevoir les lettres de créance et de rappel des représentants diplomatiques étrangers, décrèter l’état d’urgence, l’état de siège ou l’état d’exception, décréter la mobilisation générale, signer les accords d’armistice et les traités de paix…Le pari du cercle présidentiel reste quand même aléatoire : combien de temps l’Algérie peut se passer de nommer des responsables civils et militaires ou des amabassadeurs, signer les décrets ou prononcer les grâces ? Et je parle pas de l’hypothèse d’une déclaration de guerre, la vraie, pas celle qui oppose les clans au sein du FLN. Qu’en pense Monsieur Belayat ?

M.B.