Malade et âgé, Bouteflika ne s’est toujours pas prononcé sur sa candidature à la présidentielle d’avril.
Ira? N’ira pas? À quinze jours de la date limite du dépôt des dossiers de candidature, Abdelaziz Bouteflika, 76 ans, n’a pas encore fait savoir s’il était partant pour un quatrième mandat présidentiel. Depuis avril 2013 et son accident vasculaire cérébral soigné au Val-de-Grâce à Paris, il entretient le suspense. Ombre de lui-même dans un régime dirigé par des ombres, le chef de l’État algérien distille des messages ambivalents à ses hôtes. Alger bruisse de rumeurs. Ceux qui pourraient savoir sont taiseux. Ceux qui croient savoir sont convaincus qu’il ne s’effacera pas. «Il est trop attaché au pouvoir pour envisager de disparaître sans funérailles nationales de chef de l’État mort en exercice», dit l’un. «Il va se maintenir pour préserver les intérêts de son entourage le plus longtemps possible. Son frère cadet Saïd tire les ficelles», dit l’autre. «Bouteflika a préparé un dispositif pour dépasser le cap de l’élection d’avril. Le problème, c’est après», avance un troisième.
L’Algérie peut-elle élire le 17 avril un chef de l’État handicapé? Tout un symbole pour un système finissant qui ne parvient pas à se régénérer, mais survit. Incapable de marcher, Bouteflika est paralysé d’un bras. Le tribun au verbe haut, à l’arabe académique et au français châtié aimait plus que tout se lancer dans des logorrhées devant ses visiteurs: il en est réduit à d’interminables silences, pour tenter de reprendre les forces qui le lâchent. «Le cerveau marche, les idées sont claires mais le physique ne suit pas. Il n’est pas en état de se représenter, cela tombe sous le sens commun», commente un diplomate.
Tractations souterraines
En attendant que le doute soit levé, l’attention des décrypteurs d’un pouvoir toujours aussi opaque se concentre sur le conflit qui touche la chaîne de commandement du régime et pourrait masquer des tractations souterraines. La bataille oppose l’état-major de l’armée sous les ordres du vice-ministre de la défense, Ahmed Gaïd Salah, 74 ans, un général formé à l’école soviétique et placé à la tête de l’armée par le président Bouteflika, au général Mohamed Lamine Mediène, alias «Toufik», 75 ans, le patron du puissant Département du renseignement et de la sécurité (DRS), qui tire les ficelles de la vie publique depuis un quart de siècle.
Amar Saâdani, le secrétaire général du Front national de libération, le FLN, a déclenché les hostilités, le 3 février, en réclamant la tête de Toufik. Il lui a reproché de diriger une police politique dont l’existence ne l’avait jusqu’alors guère troublé. À la stupeur générale, un serviteur du régime mettait en cause, en le nommant, l’homme le plus redouté du sérail. Un tabou venait de sauter. Le contre-feu ne tarda pas: une escouade de militaires à la retraite et de journalistes en activité lançait dare-dare un concours de «boules puantes» contre l’état-major et la présidence. Un ex des «services», reconverti dans l’écriture, accusait Saïd Bouteflika d’être le chef d’orchestre de la corruption à grande échelle qui touche le pays, se livrant au passage à des attaques sous la ceinture contre le frère du président.
Un communiqué venu de la présidence a eu beau appeler au cessez-le-feu en rendant hommage à l’armée, «une institution forte et indivisible», la fébrilité reste palpable. «Ce qui se joue, c’est l’héritage», commente un ancien haut responsable du DRS, d’ordinaire peu loquace. Ce qui se joue aussi, c’est peut-être la quête d’un accord pour un remplacement d’Abdelaziz Bouteflika. Pour l’instant, peu de personnalités connues des Algériens sont entrées dans la course présidentielle, à l’exception d’Ali Benflis, un ancien premier ministre de Bouteflika, qui fut ensuite son ennemi. L’intrusion, lundi dans le débat, de Mouloud Hamrouche pourrait modifier sensiblement la donne. Ancien chef du gouvernement à la fin des années 1980, il fut surnommé le «Gorbatchev algérien». Dans un communiqué, il a appelé «à la cohésion nationale» et au «consensus».
Toufik, lui, observe et agit. Ses enquêtes sur la corruption lui ont permis de monter des dossiers gênants sur les proches de Bouteflika. Sa capacité de nuisance est extrême. L’enracinement de ses services dans une société civile qu’il surveille et quadrille est comparable à celui des années de guerre civile. Quant au rapport de forces entre militaires, ses contours restent flous.
«Le cerveau marche, les idées sont claires mais le physique ne suit pas. Bouteflika n’est pas en état de se représenter.» Un diplomate
Faiseur de roi depuis son arrivée à la tête des «services» au début des années 1990, le général Mediène a, avec un cercle de généraux, aidé à mettre à la porte le président Chadli en 1992, appelé Mohamed Boudiaf qui fut rapidement assassiné, fait élire le général Liamine Zéroual en 1995, et ramené d’exil Abdelaziz Bouteflika en 1999, qu’il accompagne depuis, à défaut de pouvoir s’en débarrasser. La plupart de ces compagnons de route ont disparu, usés par l’âge et la maladie, ou éliminés des coulisses politiques comme les «janvieristes», ces généraux partisans de l’éradication des islamistes. Ses alter ego, le général Larbi Belgheit et le général Mohamed Lamari, sont morts. Toufik est le dernier survivant en activité de ce groupe des «décideurs». A-t-il toujours la main? C’est probable.
Toufik, dont le visage est inconnu des Algériens, cultive la discrétion au point de refuser d’être photographié. Cette volonté d’anonymat, doublée d’un caractère réservé, renforce un mythe entretenu aussi bien par ses zélateurs que par ses détracteurs. Il est dépeint en animal à sang froid, en paranoïaque obsédé par les complots et prêt au pire quand il est menacé, mais aussi en fabricant de consensus, fruits de savantes négociations.