Le Conseil d’Etat critiqué par Bouteflika

Le Conseil d’Etat critiqué par Bouteflika

Le procès inédit, intenté par le magistrat Abdallah Haboul au ministre de la Justice et à la présidente du Conseil d’Etat (CE), est un scandale de plus qui ajoute de la noirceur à l’image de marque de l’appareil judiciaire algérien.

Mais il agit surtout comme du carbone 14, révélant l’assujettissement du pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif et l’inutilité d’institutions vouées à n’être que des appendices. C’est le cas pour le Conseil d’Etat, placé au sommet de l’ordre juridictionnel administratif, à côté de la Cour suprême qui, elle, est au sommet de l’ordre juridictionnel ordinaire. « La Cour suprême et le Conseil d’Etat assurent l’unification de la jurisprudence à travers le pays et veillent au respect de la loi », stipule l’article 152 de la Constitution.Pourtant, le Conseil d’Etat devait rêver à un destin beaucoup plus imprégné de liberté et de souveraineté. C’était aux premiers jours de sa naissance survenue le 28 novembre 1996. C’était au temps du président Liamine Zeroual et aux chantiers dits du parachèvement des institutions de l’Etat dans le cadre de la nouvelle Constitution. Le Conseil d’Etat devait remplacer la chambre administrative près la Cour suprême. Sa vocation est énoncée toujours dans l’article 152 de la Constitution qui stipule : « Il est institué un Conseil d’Etat, organe régulateur de l’activité des juridictions administratives. » C’est cette même Constitution qui consacre l’indépendance du pouvoir judiciaire, dans son article 138. Le Conseil d’Etat, étant partie de ce pouvoir, est par conséquent une institution indépendante qui exerce dans le cadre de la loi, tel que souligné dans la loi organique. Alléluia ! La démocratie est en marche.

De la vocation du Conseil

Le nouveau-né souffre cependant d’un défaut de naissance qui va marquer son devenir. En effet, la nouvelle institution a vu le jour dans un contexte flou sur une décision presque personnelle, venue d’en haut en l’absence de débat préalable, y compris dans les milieux de la justice. Son existence sera réduite à celle d’un meuble de salon durant ses dix ans d’existence qui correspondent aux deux premiers mandats de Bouteflika. Ce dernier, dès son intronisation au sommet de l’Etat, affiche son dédain envers l’institution. Dans son premier discours prononcé devant le CSM en août 1999, il met le Conseil et la Cour suprême dans le même sac en les critiquant avec ces mots : « Ils sont loin de ce qu’attendent d’eux la justice elle-même, les pouvoirs publics et la société en générale. » La messe était dite, cette position envers l’institution déterminera son rapport avec l’Exécutif. Ce n’est qu’une année et demie après sa création, que le concept devient réalité avec la publication de la loi organique n°98/1 du 30 mai 98 relative aux compétences, à l’organisation et au fonctionnement du Conseil d’Etat. A la même date, Zeroual signe un décret -n°187 du 30 mai 1998-, désignant les 44 membres de l’institution avec Ahmed Bellil comme président. Le mois suivant, le Conseil d’Etat est installé lors d’une cérémonie organisée au siège de la présidence. Les attributions juridictionnelles du Conseil d’Etat se résument dans le domaine de compétence où il connaît en premier et dernier ressort : des recours en annulation formulés contre les décisions réglementaires ou individuelles émanant des autorités administratives centrales, des institutions publiques nationales et des organisations professionnelles nationales, ainsi que des recours en interprétation et des recours en appréciation de la légalité des actes dont le contentieux relève du Conseil d’Etat. Le CE connaît aussi sur appel des jugements rendus en premier ressort par les juridictions administratives dans tous les cas où la loi n’en dispose pas autrement. Il connaît enfin des recours en cassation contre les décisions des juridictions administratives rendues en dernier ressort, ainsi que des recours en cassation des arrêts de la Cour des comptes. S’agissant des attributions consultatives, le Conseil d’Etat donne son avis sur les projets de loi qui lui sont soumis et propose toute modification qu’il juge nécessaire. Ainsi, sont définies les compétences du CE dans les articles 9, 10, 11, et 12 de la loi organique. Plus haut, l’article 4 de cette même loi stipule : « Le conseil d’Etat donne son avis sur les projets de lois dans les conditions fixées par la présente loi et selon les modalités fixées par son règlement intérieur. » Cette disposition confirme d’ailleurs le contenu de l’article 119 de la Constitution. En outre, « le Conseil d’Etat établit un rapport général annuel qu’il transmet au président de la République. Il porte sur l’appréciation de la qualité de jugement des juridictions administratives dont il a été saisi ainsi que sur le bilan de ses propres activités. Une copie dudit rapport est transmise au ministre de la Justice », lit-on encore dans l’article 6.

Qu’a fait le Conseil depuis 1998 ?

Il est loisible de constater que sur l’aspect politique de ses attributions, celui relatif à ses rapports avec le gouvernement et la promulgation des lois, le Conseil d’Etat est mis sur la marge. En trois législatures (la troisième étant en cours), 120 textes de lois ont été adoptés, promulgués par le président de la République et publiés dans le Journal officiel. En étudiant quelques visas de textes de lois, tels que publiés dans le JO, on ne trouve curieusement aucune trace de ces consultations du Conseil rendues pourtant obligatoires par le décret exécutif n°261 du 29 août 1998 fixant les formes et modalités de procédures en matière consultative auprès du Conseil d’Etat, qui stipule dans son article 2 : « Le Conseil d’Etat est obligatoirement saisi des projets de lois par le secrétaire général du gouvernement après leur adoption par le conseil du gouvernement. » La revue de ces lois révèle, en effet, qu’environ la moitié n’a même pas été soumise au Conseil. Les plus importantes, seulement à titre d’exemple, sont la loi sur la concorde civile, la loi relative au financement du terrorisme, la loi sur les hydrocarbures et la première réforme de la Constitution concernant tamazight en 2002. Le summum de ces « omissions » systématisées est sans aucun doute celui lié à la révision de la constitution passée en novembre 2008, où l’étape du Conseil d’Etat a été tout simplement « zappée ». Les textes doivent pourtant passer par le Conseil d’Etat avant l’APN, on l’avait signalé dans ces mêmes colonnes. Que s’est-il passé pour que le rôle constitutionnel d’une haute institution de l’Etat soit ainsi ignoré ? Est-ce un manque de confiance envers les compétences du Conseil ? Pour quelle raison le pouvoir politique se permet-il le luxe de créer un conseiller et finir par en faire dédaigneusement une sinécure, quitte à violer les lois suprêmes de la république ? Le respect de la constitution et des lois est-il devenu à ce point un détail pour l’Exécutif ? Et pourquoi le Conseil accepte-il de jouer le rôle d’une sinécure ?

Des scandales et autres inconséquences

Pendant plus de dix ans d’existence, on n’a jamais entendu parler d’un quelconque rapport du Conseil, pourtant durant cette décade, c’est au moins dix rapports qui auraient dû être présentés conformément aux dispositions de la loi organique. Ni le Conseil ni les services de la présidence n’ont communiqué une seule fois l’information selon laquelle le président du Conseil d’Etat avait été reçu par le président de la république pour lui remettre le rapport annuel, sachant qu’il s’agit d’un acte solennel. Ce rapport est-il classé secret défense ? Ou simplement, il n’existe pas ?Depuis sa création à ce jour, le Conseil et en dépit de sa stature, demeure un SDF, hébergé charitablement par la Cour Suprême. Contrairement aux dispositions pourtant claires contenues dans l’article 3 de la loi organique relatif à sa domiciliation et sa dotation d’un siège propre à lui, le Conseil tient ses audiences au bâtiment d’El Biar. L’Etat jaloux d’habitude de son prestige ne semble pas s’encombrer de la question. Quand une situation illégale dure aussi longtemps au sommet des institutions de l’Etat, c’est qu’il n’existe pas de volonté politique pour consacrer le principe de séparation des pouvoirs. Dans son discours à l’ouverture de l’année judiciaire 1999-2000, Bouteflika a abordé le sujet et minimisé le problème, considérant que l’absence de siège ne doit pas être une excuse pour ne pas être performant. En un peu plus de dix ans d’existence, que retient-on du bilan d’activité du Conseil d’Etat (CE), si ce n’est les procès de partis politiques, à l’image du FLN et d’El Islah, tranchés en faveur des redresseurs, donc du pouvoir. Idem pour les contentieux entre syndicats et pouvoirs publics. Le CE n’a jamais tranché en faveur de la consécration du droit d’exercice des libertés syndicales et s’est contenté de formuler des lectures techniques, donnant prétexte aux décisions liberticides. Plus grave encore, les postes de responsabilité magistrale au sein du Conseil se révéleront des sièges éjectables aux mains de l’Exécutif qui choisira et se débarrassera de ses hommes à l’aune de ses besoins et des critères clientélistes. En effet, dès sa venue, Bouteflika a limogé Bellil et le commissaire d’Etat Guettouche Mohamed, les remplaçant par Farida Aberkane et Mohamed Bennacer. Le destin fera que le dossier de l’affaire d’interdiction du congrès extraordinaire du FLN, tenu en octobre 2003, échoue sur le bureau de Bellil, rétrogradé en président de chambre. Auparavant, Anya Benyoucef, magistrate à la cour d’Alger, avait ordonné, le 1er octobre 2003, l’interdiction du congrès qui devait proclamer Benflis, candidat du parti, à la magistrature suprême. Après appel au Conseil d’Etat, le juge Bellil annule la décision d’interdiction. Un jugement considéré politiquement comme favorable à l’adversaire de Bouteflika, qui va attirer au premier les foudres. Quelques jours après, Bellil est suspendu de ses fonctions par le ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, avant d’être mis à la retraite peu de temps après. Pour le sortir par la petite porte et trouver prétexte à sa mise à l’écart, on lui sort une plainte déposée contre lui par un citoyen.

En septembre 2004, c’est au tour de Farida Aberkane d’être limogée et remplacée par Fella Henni. Une éjection que beaucoup d’observateurs lient au fait qu’elle était l’épouse du ministre Abdelhamid Aberkane, compté parmi les partisans de Benflis et qui subiront systématiquement le balai du clan victorieux de l’élection présidentielle de 2004. La série des scandales ne s’arrête pas en si bon chemin. Le 26 décembre 2006, cinq magistrats conseillers d’Etat seront limogés par décret présidentiel, sans passer par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ! Last but not least, Slaïm Abdallah, président d’une chambre, qui s’était distingué pourtant dans l’affaire d’invalidation du 8e congrès (décision du 3 mars 2004), est révoqué durant l’été 2008. Sa suspension, qui a fait les unes de la presse à l’époque, est intervenue à la faveur d’une plainte déposée contre lui par son chauffeur. Il passera devant le CSM, dans sa formation disciplinaire, et sera radié. C’est ainsi que le pouvoir remercie ses plus humbles serviteurs. Faut-il s’en émouvoir ? Actuellement, le procès intenté par le magistrat Haboul contre la présidente du Conseil en son sein continue de faire des gorges chaudes et entame ce qui reste de sa crédibilité. Il faudra énormément d’efforts de la part de cette institution pour gagner de nouveau la confiance des justiciables, à moins que l’Exécutif ne préfère la rayer de la carte judiciaire de l’Algérie.