Le clan présidentiel reconduit une opération semblable à celle du début de règne de Bouteflika lorsque ce dernier s’était joué de la prestigieuse agence Reuters.
Le come-back tonitruant d’un président toujours convalescent n’a pas fini de surprendre, et il est fort probable que les jours à venir apportent d’autres décisions aussi spectaculaires et vindicatives que celles déjà prises. Tel un phœnix renaissant de ses cendres, le président Bouteflika joue son va-tout et donne de lui une image du maître absolu, une ambition qu’il caressait bien avant son accession au pouvoir. Une ambition qui l’avait fait fuir en 1994, lorsqu’il avait donné son accord pour prendre les rênes du pays, avant de prendre le chemin de la Suisse et de laisser le pays se débattre dans sa guerre contre le terrorisme. Rompu à l’art des coups d’État, depuis le putsch de l’armée des frontières en 1962, ensuite le coup d’État de Boumediène en 1965, il avait une revanche à prendre sur ces militaires qui ont osé lui préférer Chadli Bendjedid pour succéder à Houari Boumediène.
Le remaniement ministériel que vient d’effectuer le président Bouteflika n’est qu’une partie visible de l’iceberg. Certes, il apporte un peu plus de clarté quant aux intentions du chef de l’État qui verrouille tout en prévision de l’élection présidentielle, mais constitue l’arbre qui cache la forêt. En effet, les véritables décisions prises par le président Bouteflika concernent le très influent DRS. À six mois de la fin de son mandat, le président Bouteflika réalise ce qu’il n’a pas pu faire depuis 1999 : asseoir son autorité sur ce pouvoir parallèle qui lui faisait de l’ombre et qui risquait de contrarier ses plans. Les informations distillées dans les médias du cercle présidentiel font état du démantèlement du DRS. Une grosse manœuvre médiatique dont le but est de marquer les esprits et faire croire à une victoire du président Bouteflika sur le tout-puissant DRS.
Mais, au-delà de cette opération de marketing visant à remettre en selle le président malade et lui donner une image du maître absolu que personne n’oserait affronter ou contrarier, il serait naïf de croire qu’un pays comme l’Algérie, confronté à multiples défis sécuritaires, internes et externes et qui reste toujours sous la menace d’un soulèvement populaire, puisse se débarrasser de son service de renseignements, ou l’affaiblir en cette période ô combien sensible. Aucun pays au monde, à l’Est ou à l’Ouest, ne s’est permis un tel luxe. C’est donc beaucoup plus pour frapper les esprits et montrer un Bouteflika vainqueur sur ses adversaires supposés et seul maître à bord dans le navire Algérie, sachant que la maladie du Président a laissé l’opinion publique complètement indifférente.

Le nouveau plan de marketing abandonne les vieux sentiers des médias publics lourds, en s’appuyant sur les relais médiatiques privés inféodés au clan présidentiel. Par doses homéopathiques, on distille les informations et on laisse venir les réactions des uns et des autres pour juger de l’allégeance et de la fidélité des uns et des autres. Le clan présidentiel reconduit, en fait, le même schéma utilisé en tout début de règne de Bouteflika, lorsque ce dernier s’était joué de la prestigieuse agence Reuters pour débusquer les auteurs de fuites organisées dans son entourage. Le sujet avait trait à un prétendu conflit entre le Président et les militaires !
Là, on change de comparses, tout en usant des mêmes méthodes. Il fallait, en fait, s’attendre à cette violente réaction du clan présidentiel après les enquêtes menées par le DRS contre des proches du Président dans des affaires de corruption, et dont la plus médiatique reste celle impliquant Chakib Khelil, mais surtout sur les écrits évoquant le rôle de Saïd Bouteflika dans des affaires de corruption, mais encore son rôle de vizir-décideur dans cette période postélectorale. Mais que cache cette violente réaction du clan présidentiel ? Il n’est un secret pour personne que le président Bouteflika veut mourir président. S’il avait l’intention de quitter le pouvoir, il l’aurait fait à la suite de première hospitalisation en France. Lorsqu’il changea la Constitution pour prendre un troisième mandat, il s’était assuré, auparavant, que personne ne lui contrarierait ses plans. Qu’est-ce qui a changé depuis ? Son état de santé étant ce qu’il est, sa succession revient sur toutes les langues, mais lui n’a pas encore dit son dernier mot. Et voilà qu’on ressort l’histoire d’un quatrième mandat ! Une option surréaliste, mais que le clan Bouteflika n’hésiterait pas à imposer, sauf dégradation de l’état de santé du chef de l’État.
Même si cette option reste difficile à imposer au regard pas seulement de la situation interne du pays, mais du contexte régional marqué par des révoltes populaires, il y a lieu de s’interroger s’il ne s’agit pas là d’une ultime manœuvre du clan en vue de faire sortir de leurs tanières les derniers adversaires du président Bouteflika avant de lancer, enfin, le candidat-héritier dans la course. Plus que toute autre chose, le président Bouteflika ne voudrait pas sortir par la petite porte.
En verrouillant tout, à six mois de la présidentielle, il signifie à tout le monde que ce sera lui ou quelqu’un qu’il choisira lui-même, pour maintenir le clan au pouvoir et le prémunir contre d’éventuelles poursuites judiciaires.
Le clan Bouteflika a dévoilé ses cartes. Il reste à savoir si ce plan réussit ou, si, durant les six mois qui viennent, d’autres contre-plans ne voient le jour, pour sonner la fin de l’ère des Bouteflika.
A B