Tout le corps social est pris par le démon de la contestation
Laisser-aller des autorités, absence de vision des gouvernants ou échec des politiques des pouvoirs publics?
Après un Ramadhan relativement calme, la rue algérienne entame le mois de septembre avec les prémices d’un bouillonnement sans précédent. Plusieurs émeutes à Alger, Tizi Ouzou, Béjaïa, Skikda, Djelfa ont éclaté depuis le début de ce mois. Ces protestations ont toutes un dénominateur commun. Elles sont, pour le moment, limitées au seul volet social, sans revendication politique apparente. Les citoyens revendiquent des logements, de l’eau potable, le revêtement des routes et ils dénoncent les récurrentes coupures d’électricité. Comment expliquer toutes ces manifestations sur le terrain? Pourquoi l’Algérien ne décolère pas et recourt à la rue à chaque fois qu’il est confronté à un problème? Cela ne signifie-t-il pas que les élus locaux ne représentent aucunement leurs concitoyens, cela ne traduit-il pas un grave déficit de représentation?
Les villageois parlent de laisser-aller des autorités, les politiques évoquent l’absence de vision des gouvernants alors que les sociologues expliquent cette situation par l’échec des politiques publiques en matière de prise en charge des besoins sociaux des populations.
Le politologue Mohamed Hadef explique cette situation par l’absence de nouvelles voies pacifiques pour s’exprimer et demoyens pour mesurer le climat de défiance qui prévaut chez la population.
«Les grands problèmes socio-économiques n’ont jamais été résolus d’une manière radicale et efficace», a-t-il déclaré, soulignant que la société algérienne est actuellement en position de défi à cause du bricolage érigé en politique de gestion.«Pour l’instant, nous n’avons pas encore jeté les bases solides d’un nouvel ordre social juste et équitable. Il est à construire avec des lois, des règles, sur des nouvelles bases, solides, crédibles et efficaces», a précisé notre interlocuteur.
Le sociologue Abdelmadjid Merdaci explique pour sa part, ces mouvements de protestation répétitifs par «l’échec global du pouvoir politique à projeter un avenir» meilleur pour la société. «La situation globale procède d’un échec des politiques adoptées par les pouvoirs publics», a-t-il estimé. M. Merdaci évoque également le manque de légitimité des institutions électives au niveau local et le caractère arbitraire de l’administration qui «monopolise la décision».
Sur le dossier du logement, source de cette exaspération sociale, notre interlocuteur se réfère à la donnée irréversible de l’urbanisation. Ce processus a, a-t-il estimé, fait que la pression de la demande est supérieure à la capacité de l’offre des pouvoirs publics. A Alger, cette donne a embrasé plusieurs quartiers ces derniers jours.
Pour Ziad Lefgoum un activiste du mouvement associatif, président de l’association culturelle Tussna, cette situation peut être expliquée par le nombre par trop important de problèmes sur le front social.
Notre interlocuteur, qui a voulu préserver l’anonymat, cite parmi ces problèmes l’injustice, le verrouillage des espaces d’expression, les promesses non tenues des responsables et l’exclusion totale des citoyens sur les sujets les concernant.
«Cela en plus de la corruption qui a gangréné tous les niveaux du pouvoir, provoquant la décomposition totale des institutions de la République», a-t-il ajouté.
Pour un membre d’un comité de village, cette situation est due au laisser-aller des autorités.
Les habitants de son village ont organisé quatre mouvements de protestation en l’espace seulement d’une année. Les revendications sont sociales, tournant autour de l’alimentation en eau potable, en gaz de ville et la construction des routes. «On a protesté en une année quatre fois. On a fermé le siège de l’APC, de la daïra, de l’ADE, on a rencontré les responsables locaux, on a signé des PV, mais presque rien de concret n’est venu alléger notre quotidien. Si la situation perdure, et si on va protester encore une fois, c’est qu’il y a négligence. Les promesses des pouvoirs publics ne sont que de la poudre aux yeux. Ils ne se soucient pas des préoccupations citoyennes», a-t-il expliqué. «Comment demander à l’Algérien donc de ne pas protester quand le secrétaire général d’une daïra dit à ses interlocuteurs d’un comité de village que nous sommes gérés par la rue? N’est-ce pas là une invitation en bonne et due forme à la protestation?», explique notre interlocuteur.