Le chômage baisse en Algérie, les chiffres de l’emploi dérapent

Le chômage baisse en Algérie, les chiffres de l’emploi dérapent

Le FMI considère la lutte contre le chômage comme le défi majeur du monde durant la prochaine décennie. En Algérie, la bataille semble bien engagée, à en croire les chiffres officiels, avec un taux de chômage qui est passé, première historique, sous la barre des dix pour cent. Mais que valent les statistiques du chômage ? Quelle crédibilité leur accorder ?

Le taux de chômage devrait légèrement baisser en Algérie en 2013, pour atteindre 9.3%, contre 9.6% en 2012. C’est du moins ce qu’indiquent les chiffres officiels. Des chiffres fortement contestés, accueillis avec beaucoup de scepticisme, parfois avec des sarcasmes, tant ils paraissent déconnectés de la réalité économique du pays.

Pourtant, à y regarder de plus près, le marché du travail a subi un changement de fond, qui tranche avec les données qui ont longuement dominé ce secteur. D’où vient ce scepticisme alors ? D’abord, de la méfiance et de la suspicion envers tout ce qui émane du pouvoir ; pour les spécialistes et les initiés, ensuite, le doute ne se limite pas aux résultats publiés, mais il concerne aussi les méthodes utilisées, ainsi que le coût de la lutte contre le chômage, et les différents subterfuges qui permettent de maquiller des données alarmantes.

Quel que soit le degré de contestation, une donnée s’impose : le chômage semble avoir fortement diminué en une décennie. Est-ce suffisant pour affirmer qu’il est plus proche de 10% que de 20%, alors qu’il était autour de 30% à la fin des années 1990, pour ensuite amorcer un déclin régulier, passant de 27.3% en 2001 à 12.3 en 2006 ? Les avis divergent. Oui, affirme un économiste, qui s’en tient à une lecture restrictive des règles observées par l’Office National des Statistiques (ONS) pour élaborer ses chiffres sur le chômage. Non, affirme un autre ancien haut responsable, qui estime que le taux de chômage reste supérieur à 20%.

Côté officiel, M. Mohamed Tahar Chaalal, directeur général de l’Agence nationale de l’emploi (ANEM), a déclaré en fin de semaine que le taux de chômage était de 9.7% en 2012, et devrait légèrement diminuer pour atteindre 9.3% en 2013. Ces projections sont celles du FMI, a indiqué M. Chaalal, comme pour leur donner du poids, en sachant que les statistiques publiées en Algérie sont souvent approximatives et peu crédibles.

De plus, M. Chaalal a affirmé que c’est désormais « l’activité économique qui devient le premier facteur de création d’emplois », et non les emplois aidés. Pour illustrer cette tendance, il a indiqué que 260.000 postes de travail « économiques » ont été créés en 2012, et que l’ANEM, à elle seule, a pourvu 214.000 postes de travail réel en 2012, contre 181.000 en 2011.

Excès de zèle

Mais quand M. Chaalal déclare que ces chiffres sont « les meilleurs résultats enregistrés dans le monde arabe dans le domaine de la lutte contre chômage », il montre clairement son zèle à vouloir embellir les résultats de la politique économique du gouvernement. D’autant qu’il les accompagne de l’inévitable commentaire selon lequel ces résultats ont été obtenus « dans le cadre de l’application du programme de son Excellence M. Abdelaziz Bouteflika ».

Faut-il, dès lors, ne voir que du zèle dans ces chiffres flatteurs? Difficile à dire, car sur le terrain, des évolutions sont réellement contrastées. Il y a, d’abord, les données qui plaident en faveur d’une forte diminution du taux de chômage. En premier lieu les pénuries de main d’œuvre enregistrées de manière chronique dans de nombreux secteurs d’activité, comme l’agriculture, le BTP, le bâtiment, et différents travaux d’entretien. En zone urbaine, chaque algérien connait une histoire d’un voisin ou d’un parent qui a, en vain, cherché pendant des mois un peintre, un maçon, ou un artisan quelconque pour des travaux sans importance. Un entrepreneur a déclaré à Maghreb Emergent que « le manque de main d’œuvre est devenu aussi contraignant pour l’entreprise que l’étaient les pénuries de matériaux de construction dans les années 1980 ». Il serait donc logique de penser qu’un pays qui enregistre une pénurie de main d’œuvre se rapproche du plein emploi.

Mais c’est l’ONS lui-même qui fournit les premiers éléments pour réfuter cette hypothèse, en rappelant, à titre d’exemple, que la participation des femmes à l’activité économique demeure très faible ». L’ONS notait ainsi, dans l’enquête menée en septembre 2001, que « les femmes représentent 14.1% du total des occupés », contre 16,9% en septembre 2006. Comment avoir un taux de chômage si bas avec si peu de femmes qui travaillent ? Ce détail semble indiquer que les femmes au foyer ne sont pas classées parmi les chômeurs. L’ONS précise d’ailleurs qu’il prend le chômeur au sens que lui attribue le Bureau International du Travail : est considéré comme chômeur celui qui n’a pas d’activité rémunérée pendant un certain temps, et qui a engagé des démarches pour trouver du travailler.

Chômeur réel et chômeur statistique

En ce sens, un vendeur occasionnel de cigarettes, qui ne s’inscrit pas auprès de l’ANEM, n’est pas considéré comme chômeur. Tout comme un travailleur à temps partiel. L’exemple le plus édifiant est cependant offert par le « hittiste » classique qui n’a pas mené des démarches pour chercher du travail : il n’est pas considéré comme un chômeur. Avec de tels critères, les chiffres de l’ONS deviennent plausibles, mais ils changent totalement de signification.

A cela, il faudrait ajouter les autres éléments qui faussent à la fois l’analyse et le marché du travail. Comme ces milliers de jeunes qui ont déposé un dossier ANSEJ, et qui attendent l’argent de l’Etat. « Cette distribution d’argent a soustrait du marché du travail des centaines de milliers de jeunes », note un entrepreneur qui a perdu la moitié de ses ouvriers qualifiés.

Ce tour de passe-passe a un coût. Transformer un jeune chômeur en entrepreneur coûte beaucoup d’argent. Tout comme les emplois aidés, qui permettent à des entreprises publiques de recruter des jeunes diplômés sans en avoir besoin, de les sous-payer, les sous-employer, pour les soustraire momentanément aux statistiques du chômage. L’impact de ce phénomène est difficile à évaluer, tout comme le phénomène du sous-emploi dans les administrations publiques. Mais au final, l’opération permet au gouvernement d’afficher des chiffres statistiquement vrais, mais dont la signification est totalement faussée.