Le choix de l’Algérie,deux voix,une mémoire de Pierre et Claudine Chaulet,Une leçon de piété humaniste

Le choix de l’Algérie,deux voix,une mémoire de Pierre et Claudine Chaulet,Une leçon de piété humaniste

Le cas moral extraordinaire, mais humain, de l’époque de la lutte de Libération nationale, a fait que, de cheminement en cheminement, l’engagement militant et l’universelle amitié ont mené à l’amour absolu du coeur et de la liberté Pierre et Claudine, deux combattants de souche française pour l’Algérie sur la terre algérienne.

C’est l’essence même du sujet Le Choix de l’Algérie: Deux voix, une mémoire (*) de Pierre et Claudine Chaulet; et de la réalité singulière de leur fantastique vécu, les deux auteurs ont voulu tirer moins des péripéties surprenantes pour émouvoir que des états d’âme inaltérables, les leurs et ceux de leurs camarades militants de la cause nationale algérienne.

L’Algérie libre

Dans ce gros livre, publié avec une préface impeccable de Rédha Malek, ce qui intéresse le couple Chaulet, et à raison, c’est d’exposer librement, sans éluder aucune des chausse-trapes des événements en question, l’aspect psychologique, et donc humain, de leur choix de l’Algérie. En d’autres circonstances, certains diraient peut-être avec l’écrivain français Louis Teissier du Cros: «On ne choisit pas, on est choisi.», – ce qui est ici parfaitement juste, car l’Algérie révolutionnaire a aussi bien choisi Pierre et Claudine Chaulet qu’ils se sont eux-mêmes mis spontanément à la servir. Cependant, je voudrais encore ajouter cette pensée personnelle qui sied, me semble-il, à l’âme libre et responsable de nos deux glorieux concitoyens: «Ce qui fait battre mon coeur et me tient en vie, ce n’est rien autre au monde que mon pays auquel je dois mon amour et cette généreuse vérité.»

Le couple Chaulet a exprimé sa volonté, chacun sans doute différemment, mais la commune volonté peinte dans le livre, qu’ils ont écrit ensemble, tend nécessairement aux effets; elle explique la réalisation totale et complète, en toute conscience, de leurs déterminations à s’engager pour la liberté et l’indépendance de l’Algérie, plus précisément pour l’Algérie libre et indépendante. De là vient que leur militantisme et leur action ne cessent de suivre le chemin de la pensée à l’action et de l’action à la pensée, luttant ainsi contre le tragique de l’aporie par le choix définitif de se révéler à eux-mêmes la vérité matérielle, historique, philosophique, sociologique du fait algérien qu’ils considèrent comme une entité incontestable, donc possible. Et, finalement, ce sera pour eux un héritage exclusif de liberté, de souvenirs vertueux, d’enthousiasme, de foi, d’énergie et d’héroïsme, – et même surtout d’âme nationale. Autrefois, dans l’épreuve de la lutte de Libération nationale et aujourd’hui, dans l’Algérie indépendante, quel nationaliste algérien n’a-t-il pas entendu parler du militantisme révolutionnaire exceptionnel du couple Chaulet? Rédha Malek résume, en quelques lignes, ce que je pourrais appeler leur force d’âme, c’est-à-dire «la fortitude» qui fait se tenir fermes les justes contre l’ennemi; ces quelques lignes, extraites de sa préface à leur livre, les voici: «On peut dire que ce couple heureux a scellé son bonheur dans le combat pour l’Algérie. Algériens, ils ont choisi de l’être à part entière, d’une manière raisonnée et inconditionnelle. Lorsqu’on prend au mot les idéaux de notre jeunesse, ils deviennent fatalement la pierre de touche de notre manière de penser et d’agir. Tel est le secret de l’engagement de Claudine et Pierre et naturellement de l’amour qu’ils vouent à ce pays. Élevé dans une ambiance de christianisme social, Pierre intériorisa de bonne heure sa foi et puisa dans son éducation une idée intransigeante de la justice. Quant à Claudine, elle est issue d’une vieille famille républicaine: grands-parents instituteurs, fervents de l’école laïque; une mère professeure et un père officier aux convictions démocratiques bien ancrées. Le Deuxième Conflit mondial, l’occupation de la France, puis l’exode ont forgé le caractère de la petite Claudine et lui ont inculqué à jamais la haine de l’oppression.» Pour autant, en écrivant leur autobiographie, les Chaulet restent d’une émouvante modestie: «Ce livre n’est pas une histoire de l’Algérie contemporaine avant et après l’indépendance. C’est volontairement que nous avons choisi de raconter la chronique de nos deux vies, si différentes dans leurs origines puis totalement confondues après notre mariage, même si les événements traversés n’ont pas été vécus et ressentis de la même façon par chacun d’entre nous. Cette façon de progresser dans l’Histoire et dans notre histoire, nous avons tenté de la restituer en rédigeant ce journal à deux voix. Nous avons fait cet effort de mémoire d’abord pour nos petits-enfants: Victoire, Céleste, Alice, Yahia.

Fiers de leur choix

Pour leur faire découvrir un monde et une époque qu’ils n’ont jamais connus et qu’ils ne peuvent imaginer, et surtout leur faire comprendre les racines de notre engagement, et ses prolongements dans notre itinéraire professionnel et politique.» Notons que Pierre Chaulet, né à Alger, le 27 mars 1930, était médecin pédiatre et Claudine, née à Longeau (France), le 21 avril 1931 (joyeux anniversaire à nos deux octogénaires!), était enseignante et chercheur en sociologie. «L’itinéraire des Chaulet est, poursuit Rédha Malek dans sa préface, d’une certaine manière, le reflet fidèle d’une révolution à laquelle ils ont participé de bout en bout. […] À l’heure où les repères se perdent, où l’habileté remplace la vertu, et le clientélisme médiocre le principe de souveraineté, Claudine et Pierre Chaulet sont demeurés debout et fiers de leur choix d’il y a un demi-siècle. Une leçon de choses magistrale qui, à tous égards, s’adresse à nous tous et à nos enfants.» Ici, définitivement l’ambiguïté des appartenances est effacée et le choix complexe et passionnant d’une identité voulue est mis à l’honneur de tous les honneurs. Le récit-témoignage développé dans Le Choix de l’Algérie, deux voix, une mémoire de Pierre et Claudine Chaulet s’ouvre par une épigraphe humaniste qui interpelle les intelligences soumises aux prétextes, la voici dans le texte original d’un dialogue très explicite au cours de l’équipée de Smaïl, un jeune Arabe, avec Fournier, un résistant français: «Bon. Mais en ce qui me concerne, quelle peut bien être ma patrie? – Là où tu veux vivre, sans subir ni infliger l’humiliation.» La citation est extraite du roman, prix Fémina 1948, Les Hauteurs de la ville d’Emmanuel Roblès, un autre ami de l’Algérie et de la littérature algérienne. Toutefois, le travail de mémoire des Chaulet porte sur une aventure vraie, et de l’avoir publié en Algérie est très significatif de leur choix, aussi. Les deux voix s’alternent en harmonie avec la démarche du récit, l’opportunité de l’expression et la spontanéité du sentiment. Les auteurs ne sont pas des historiens professionnels, à ceux-ci, ils laissent «le soin d’établir les recoupements, de compléter et enrichir les analyses des événements auxquels [ils ont] été mêlés.» Par contre, l’organisation du récit – des séquences du récit – renforce l’intérêt de le lire, étape par étape, comme pour aller effectivement sur de longs chemins de vie. Dans l’«Introduction», Pierre et Claudine évoquent leur «rencontre» dans la famille Mandouze, le 21 décembre 1954 «pour discuter du futur numéro de la revue Conscience Maghribine.» Mais ils auront «à recueillir» des responsables politiques du MTLD: A. Mehri et S. Louanchi,…

Puis ils consacrent cinq «livres» à leur multiple itinéraire, tout en incluant un cahier de

photographies-souvenirs: 1. «Deux jeunesses parallèles, 1930-1958 (Pierre et Claudine)»;

2. «L’engagement, 1955-1962 (Alger-Paris, 1955-1957. Tunis, 1957-1962)»; 3. «Dans l’Algérie indépendante, 1962-1994, séquences de vie et de militantisme très détaillées)»; 4. «L’exil, 1994-1999, Paris-Genève, 1994-1998 (second exil). Pierre autour du monde)»; 5. «À Alger depuis 1999: Vivre, conclusion en forme provisoire» et «Épilogue». Suivent des «Textes à l’appui», un «Index des noms» et un «Index des sigles». Le lecteur retrouvera des lieux (villes, villages, quartiers, régions, paysages) et des personnages (politiques, culturels, combattants,…) familiers de la lutte de libération nationale dont la longue liste est dans l’index des noms. Racontées par Pierre ou Claudine, on lira avec intérêt et admiration des séquences peu connues sur les activités politiques, sociales, culturelles des militants hommes et femmes et sur les opérations des combattants conduites pour la libération du pays.

Fidélité

De pleines pages décrivent la personnalité et les démarches d’un grand nombre d’étrangers amis qui ont soutenu le combat juste du peuple et des travailleurs algériens sous la direction historique du FLN et de l’ALN. L’oeuvre magnifique de Pierre et Claudine Chaulet est un immense enseignement pour les hommes de conscience en quelque lieu qu’ils se trouvent empêchés de vivre libres. La substance de leur choix est encore dans ces lignes qui sonnent comme de puissants échos d’un duo de voix: «À aucun moment, nous n’avons éprouvé la sensation ni la capacité de changer le monde. Mais nous étions convaincus de participer à notre place à une phase historique de bouleversement de la société algérienne, sortant de la dépendance coloniale pour se trouver plongée dans les nouveaux rapports mondiaux. Nous étions pris, et le sommes encore, par une histoire qui nous dépasse, au sein de laquelle nous avons essayé de garder lucidité, fidélité, espoir et humour.» En conclusion, de l’ouvrage Le Choix de l’Algérie, deux voix, une mémoire de Pierre et Claudine Chaulet, quel être humain ne tirerait-il pas quelque forte leçon de bonheur de vie? Oui, il faut du courage et du talent pour aimer vraiment l’Algérie d’hier, d’aujourd’hui et de demain et la mériter sans conteste.6+