Le choc des parents, le drame des enfants : 100 000 enfants trisomiques en Algérie

Le choc des parents, le drame des enfants : 100 000 enfants trisomiques en Algérie

Depuis le 10 novembre 2011, l’organisation des Nations-Unies a décrété la date du 21 mars comme celle de la «Journée mondiale de la trisomie 21». En Algérie, on est encore loin d’avoir accès à l’information concernant les trisomiques. Pourtant, leur nombre s’accroit d’année en année. Un couple qui donne naissance à un enfant trisomique est immédiatement traumatisé. Il peut passer des jours, des semaines, parfois des mois ou des années, pour accepter la situation. Parfois même, l’enfant est carrément rejeté. C’est le rêve brisé des parents : attendre des années et puis donner naissance à un enfant trisomique que ses camarades appelleront «mongolien».

En Algérie, hormis l’agressivité réelle de la société, sa violence et sa brutalité, il y a aussi la violence verbale qui se vérifie tous les jours, même sur un enfant trisomique. Le mot «yakh’khi mongol» est entré dans le lexique quotidien des insultes. L’enfance est agressée en Algérie et les malades comme les trisomiques le sont encore plus.
En plus de la brutalité de la société, les enfants trisomiques sont confrontés à celle des autorités : il n’y a ni jardins d’enfants ni structures spécialisées pour les accueillir. Les écoles spécialisées sont très rares, en tout cas introuvables dans la majorité des wilayas. Dans la capitale, il existe une classe pour les enfants trisomiques, mais c’est largement insuffisant.  Dans la cellule familiale, souvent les choses ne vont guère mieux.
Ces enfants ne bénéficient pas au sein de leur famille du soutien dont ils en ont besoin. L’ancien ministre de l’Education nationale, Boubakeur Benbouzid, avait signé, il y a deux ans, une circulaire demandant aux chefs d’établissement de faciliter les choses au moyen de cours spéciaux aux enfants trisomiques. Mais les résultats de cette initiative qui n’en est qu’à ses débuts ne sont pas encore perceptibles.
Comprendre le syndrome de Down ou «trisomie 21»
Le syndrome de Down, appelé aussi «trisomie 21» ou familièrement «mongolisme» (appellation considérée aujourd’hui comme extrêmement péjorative), est une maladie chromosomique congénitale provoquée par la présence d’un chromosome surnuméraire pour la 21e paire. Ses signes cliniques sont très nets, un retard cognitif associé à des modifications morphologiques particulières. C’est l’une des maladies génétiques les plus communes, avec une prévalence de 9,2 pour 10 000 naissances vivantes aux États-Unis. L’incidence est d’environ 1 pour 800 naissances, tous types de grossesse confondus, et varie en fonction de l’âge de la mère : environ 1/1 500 à 20 ans, 1/900 à 30 ans et 1/100 à 40 ans.
L’un des traits les plus notables est le déficit du développement cognitif, mais aussi des malformations congénitales comme les cardiopathies. Le QI des enfants atteints de syndrome de Down est extrêmement variable. Un certain nombre de patients souffrent de complications dites «orthopédiques», imposant l’hospitalisation.
Les anomalies musculo-squelettiques sont souvent source de complication. Avec les progrès de la médecine et le suivi paramédical (telle que l’orthophonie), la qualité de vie des personnes trisomiques 21 s’est considérablement améliorée ainsi que leur espérance de vie. Les personnes atteintes de trisomie 21 sont également connues pour la qualité de leurs relations avec les autres.
John Langdon Haydon Down
Le médecin britannique John Langdon Down (1828-1896) publie en 1866 un article intitulé «Observations sur une classification ethnique des idiots», dans lequel il classe les personnes selon des caractéristiques physiques et ethniques et dans lequel il donne une description clinique détaillée de la maladie qu’il appelle «idiotie mongoloïde» : «Un très grand nombre d’idiots congénitaux sont typiquement mongols […] Les cheveux ne sont pas noirs comme chez les vrais mongols, mais de couleur brune, raides et étriqués. La face est plate et large et dénuée de proéminence. Les joues sont rondes et élargies latéralement. Les yeux sont placés en oblique et les Canth internes sont anormalement distants l’un de l’autre. La fissure palpébrale est très étroite. Le front est plissé transversalement. Les lèvres sont larges et épaisses avec des fissures transversales.
La langue est longue, épaisse, et râpeuse. Le nez est petit. La peau a une teinte légèrement jaunâtre, déficiente en élasticité, donnant l’apparence d’être trop large pour le corps. Il ne peut y avoir aucun doute que ces caractéristiques ethniques sont le résultat d’une dégénérescence.
Le type mongolien d’idiotie représente plus de 10 pour cent de cas qui se sont présentés à moi. Ce sont toujours des idiots congénitaux et jamais la conséquence d’accidents après la vie intra-utérine.
Ils ont une capacité considérable d’imitation. Ils sont comiques. Ils sont habituellement capables de parler ; le langage est simplet et indistinct, mais peut être amélioré grandement par une méthode bien dirigée de gymnastique de la langue. La faculté de coordination est anormale, mais pas si défectueuse qu’elle ne puisse être grandement renforcée.»
Manifestations physiques
Chaque enfant est unique et la maladie se traduit pour chacun de manière personnelle. Les signes de la trisomie 21 changent avec l’âge. Le signe le plus fréquent est l’hypotonie musculaire globale (tous les muscles sont mous), associée à une hyper-laxité des ligaments articulaires (les articulations sont anormalement souples).
Certains signes physiques permettent souvent le diagnostic de la trisomie 21: la tête est petite et ronde avec un visage plutôt aplati et une nuque plate. Les fentes des paupières sont obliques, en haut et en dehors, les yeux sont très écartés.
Il y a souvent un strabisme ou un nystagmus (mouvements pendulaires anormaux des yeux). Les iris, lorsqu’ils sont clairs, peuvent avoir des tâches blanches caractéristiques, dites de Brushfield. La racine du nez est peu marquée en raison du moindre développement des os du nez et s’accompagne d’un épicanthus, repli cutané formant comme une troisième paupière.
Les pavillons des oreilles sont petits et mous, avec des conduits auditifs souvent étroits. Le palais est parfois ogival et la langue peut sortir de la bouche (en position de repos, la langue est normalement collée au palais qui se développe sur elle, chez les trisomiques 21, elle est en position basse, ce qui entraîne une insuffisance de développement du palais); le cou est parfois court et large, le thorax déformé, l’abdomen mou avec un écart des muscles abdominaux grands droits, source d’hernie ombilicale, le pénis est souvent petit avec des testicules fréquemment non descendus dans les bourses; les mains sont souvent trapues, avec une inclinaison du 5e doigt vers l’intérieur. Les doigts sont courts car les phalanges du milieu y sont trop courtes (brachymésophalangie).
Dans la paume de la main, les plis peuvent être horizontaux, il existe souvent un seul pli transversal. L’examen à la loupe des dermatoglyphes (petits reliefs cutanés présents sur la pulpe des doigts et sur les paumes) montre aussi des figures spécifiques ; les pieds sont, eux aussi, courts, avec un grand espace entre les deux premiers orteils, et assez souvent une mauvaise implantation d’un ou de plusieurs orteils. Il peut exister des syndactylies (fusion de deux doigts ou orteils) aux mains ou aux pieds.
À la naissance, le médecin recherche systématiquement certains types de malformation :
-cardiaques : communications inter-auriculaires, inter-ventriculaires ou auriculo-ventriculaires ;
-oculaires : cataracte ou glaucome congénitaux ;
-digestives : sténose duodénale (rétrécissement du duodénum au niveau de l’intestin) ou maladie d’Hirschsprung ;
-orthopédiques : au niveau des hanches et des vertèbres.
Aucune personne trisomique 21 ne présente l’ensemble de ces malformations qui peuvent être parfois très discrètes et parfaitement compatibles avec une vie épanouie.
Savoir surmonter «le choc»
En Algérie, des parents se battent ainsi pour le bonheur de leurs bambins, et c’est tant mieux du moment que les pouvoirs publics ne leur accordent que très peu d’intérêt.
L’Association nationale pour l’insertion scolaire et professionnelle des trisomiques (Anit) réalise des exploits avec ces enfants qui étaient, il y a seulement quelques années, livrés à eux-mêmes. L’enfant trisomique était désigné par le mot «mongolien». C’était un handicapé aux yeux de ses parents et de toute la société. Un objet de moquerie. Une honte pour la famille. Peut-être même une malédiction. «Je me suis enfermée pendant une année à la maison, me faisant toutes sortes de reproches et fuyant le regard des proches», raconte la mère d’une fille trisomique, aujourd’hui âgée de 16 ans.
Elle était pourtant enseignante et devait mieux comprendre les choses. «C’était un vrai choc pour moi, d’autant plus que je ne m’attendais pas à une nouvelle grossesse. J’avais 42 ans et je me considérais comme ménopausée.» Après un long travail sur elle-même, aidée en cela par son mari, cette femme réussit à remonter la pente et à accepter son enfant comme il est. «L’enfant est là, il faut bien le prendre en charge. C’est le moins que l’on puisse faire pour eux», dit-elle, lorsque nous l’avons abordée à l’établissement Arts et Culture où sont accueillis ces enfants trisomiques pour une séance de travaux manuels.
Une hausse inquiétante
Depuis le 10 novembre 2011, l’ONU a décrété la date du 21 mars comme celle de la «Journée mondiale de la trisomie 21». Le choix de cette date est symbolique : elle fait référence aux 3 chromosomes 21 à l’origine du syndrome. En Algérie, c’est l’occasion pour mener campagne en faveur de plus de 100 000 enfants qui souffrent de marginalisation, de difficultés d’insertion scolaire et professionnelle et d’abandon.
Selon un recensement non officiel établi par l’Association nationale des enfants trisomiques, ils pourraient être aujourd’hui 100 000 enfants atteints de cette maladie. Ce chiffre, alarmant en soi, selon l’association, «devrait inciter la collectivité nationale à prendre en charge les problèmes des enfants atteints de la trisomie 21». Parmi ces problèmes, le plus inquiétant concerne l’absence de moyens d’intégration scolaire et professionnelle et des enfants et des jeunes trisomiques. En fait, aujourd’hui, il n’y a dans le système éducatif et scolaire du pays que quelques centaines, 500 tout au plus, qui bénéficient de cours d’instruction et d’éducation.
Ces enfants sont placés dans des «classes spéciales», uniquement dans les wilayas d’Alger, Oran, Skikda, Jijel et Boumerdès.
Le reste du pays ignore ces privilégiés qui, comme on pourrait le croire, notamment par rapport au chiffre des 80 000 trisomiques recensés dans toute l’Algérie, ne disposent malheureusement pas de tous les moyens pédagogiques dont ils en ont besoin. Une carence particulière,  comme l’explique le porte-parole de l’Association nationale des enfants trisomiques, ressentie en matière  d’équipement orthophonique «indispensable à l’alphabétisation» des enfants atteints par la maladie.
Une nouvelle association d’enfants trisomiques à Oran
Une association chargée de l’insertion des enfants porteurs de la trisomie 21, dénommée Toyour El Jenna, a été créée récemment à Oran, à l’initiative de parents d’enfants trisomiques, se fixant comme objectif la scolarisation d’un maximum d’enfants trisomiques, l’amélioration de leur accompagnement avec l’aide de pédagogues et la préparation de leur insertion professionnelle, a indiqué Mohamed Talbi. «Nous œuvrons en complément de ce qui a été réalisé, il y a quelques années, par l’Association nationale pour l’insertion des enfants trisomiques (Anit)
L’Anit a un site internet où les articles sont parfois en français, parfois en arabe. Par ailleurs, elle travaille également en collaboration avec d’autres organismes, comme par exemple l’établissement Arts et Culture avec lequel elle a mis en place un programme d’activités culturelles en direction des enfants trisomiques.
Connaître les trisomiques
Les enfants trisomiques ont leur univers propre qu’il faudrait connaître pour les aider. Surtout s’ils sont scolarisés. Si les enfants porteurs de trisomie 21 traînent habituellement les pieds pour aller à l’école, ils sont, au contraire, d’une humeur joyeuse au saut du lit le mardi. Et pour cause, ils savent qu’une matinée pleine d’activités manuelles les attend au siège de l’établissement Arts et Culture de la rue Didouche-Mourad. Dalel, artiste-peintre et animatrice, a déjà tout prévu pour le trimestre à venir.
«Des travaux manuels, certes, mais, aussi, des ateliers de contes ainsi que des pièces théâtrales», affirme-t-elle. Les enfants arrivent par petites grappes accompagnés de leurs parents. Hassina, 51 ans, s’attarde un peu, le temps de voir son petit Amine (10 ans) prendre ses quartiers. «Depuis qu’il participe à ces ateliers, je le sens plus épanoui, confie-t-elle. Amine est scolarisé à Châteauneuf où une classe a été aménagée aux trisomiques 21». Et d’ajouter: «C’est mon unique enfant. Je l’ai eu vers 42 ans… même s’il ne sera jamais comme les autres, je le pousse à suivre une scolarité et à avoir des activités».
«Des enfants trisomiques en Algérie s’intègrent peu à peu dans la société grâce à un travail fabuleux accompli par des psychologues orthophonistes, sollicités par des parents qui ne veulent en aucun cas les considérer comme des handicapés. Ils apprennent à lire, écrire, jouer de la musique… être «autonomes». Ils surprennent par leurs capacités à suivre les cours et à répondre aux instructions des parents et des enseignants.
L’engagement des parents
Des mamans les assistent dans ce qu’ils font mais de loin. Elles les accompagnent au siège de l’association pour des séances d’orthophonie puis à l’établissement Arts et Culture pour les travaux manuels et les attendent dans un petit espace, le temps qu’ils terminent.
Une occasion pour ces femmes d’échanger leurs expériences dans l’éducation et l’assistance de ces enfants qu’elles ont finis par aimer plus que tout au monde. «Je l’aime plus que ses frères et sœurs. Je lui consacre plus de temps et je l’entoure de toute mon affection et de tout mon amour. Avec lui, je me sens différente…» témoigne une de ces mères qui ne quitte pas son enfant des yeux. Il est turbulent mais très sensible et très affectueux. Il adore s’accrocher à son cou et l’embrasser chaleureusement. Chose qu’il fait avec toutes les orthophonistes et toutes les éducatrices.
Et il n’est pas le seul à agir de la sorte. Tous les enfants trisomiques semblent apprécier ces gestes. Ça leur procure une sensation de bien-être et de joie qu’ils transmettent, à leur tour, aux parents et aux éducatrices. «J’oublie tous mes problèmes avec eux. Ils sont rigolos et débordent de sentiments. C’est un autre monde pour moi», témoigne une autre éducatrice.
Ces enfants trisomiques, pris en charge par l’association Anit, ne chôment pas. Ils suivent des cours d’orthophonie, tous les mardis, au siège de l’association  à Alger. Deux jeunes filles les accueillent dans deux salles différentes et leur enseignent les formes, le corporel, le graphisme, la logique, la latéralité… en utilisant des jeux, des jouets, des dessins.
Radia et Badiaâ aiment ce qu’elles font. Elles aiment l’orthophonie et, plus que l’orthophonie, les enfants. Les parents leur vouent un grand respect : «Nous les remercions vivement pour ce qu’elles font pour nos enfants. Elles sont très sérieuses dans leur travail. Elles le font de bon cœur.»
Badiaâ insiste sur la nécessité de faire suivre tous les enfants trisomiques par des médecins : «L’enfant trisomique ne souffre pas seulement d’un problème mental mais aussi de problèmes physiques. Ils ont une santé fragile. Il faut les emmener chez le médecin de façon régulière et précoce.» L’Anit s’occupe des enfants mais aussi des parents.
Elle fait de «la guidance parentale» : aider les parents à accepter la maladie de leur enfant et leur montrer comment les prendre en charge convenablement. «Le travail des parents est très important pour l’épanouissement de l’enfant trisomique», témoigne Mme Hamada, une femme pleine d’énergie, ayant consacré 24 ans de sa vie -et elle continue à le faire- à l’accompagnement de son fils Mohamed Salah. Mme Hamada et son mari sont des membres fondateurs de l’association. Ils se sont investis, corps et âme, dans cette bataille pour la défense des droits des enfants trisomiques et ont réussi à mettre en place tout un réseau de prise en charge. Et ce, avec très peu de moyens.
Le jeu et le rire pour motiver l’enfant trisomique
C’est la volonté et l’engagement des parents ainsi que des orthophonistes et des éducatrices qui ont aidé au maintien de cette association.
Il y a aussi le soutien du ministère de l’Education nationale et de quelques présidents d’APC qui ont accepté de céder une à deux classes pour la scolarisation de ces enfants… mais cela ne suffit pas.
«Il n’y a pas de réfectoire dans l’école de mon fils», s’inquiète une mère qui a placé son enfant dans une école primaire (classe spéciale/préscolaire) sur les hauteurs d’Alger. La mère rejette toute la responsabilité sur le président de l’APC : «Nous avons maintes fois sollicité l’aide du président de l’APC pour l’ouverture d’une cantine mais en vain. Il n’est pas coopératif.» Ce n’est pas le cas heureusement dans d’autres établissements comme celui de «Bilal El Habachi», à Hassiba Ben Bouali (Alger).
Là, les choses semblent tout à fait différentes. Les enfants suivent des cours d’orthophonie, tous les jours (sauf les samedis et les mardis), de 8h30 à 15h30. Il y a deux classes, chacune composée d’une dizaine d’élèves.
Les enfants adorent leur enseignante, Mimi. Une jeune fille très sympathique qui affirme, souriante, qu’il s’agit de son vrai prénom. «Bravo !», «Très bien !», «Excellent !» dit-t-elle, à haute voix, chaque fois qu’un enfant arrive devant le tableau et répond à ses questions.
L’enfant est flatté. Il est tout content d’avoir réussi à trouver la bonne réponse. Mieux, il est applaudi par toute la classe. Ne pouvant pas contenir sa joie, il s’accroche à sa maîtresse et l’enlace, l’embrasse fortement.
Tous ses camarades le suivent et font de même. Des moments de joie et de folie. «C’est en jouant avec eux que nous arrivons à faire suivre les cours aux enfants», soutient-elle. Sid Ali, le perturbateur de la classe, prend les cahiers de ses camarades, pourtant cachés dans une armoire, et les distribue comme un grand. Ce n’est pas la peine de le rappeler à l’ordre. Il se considère comme l’assistant de sa maîtresse et il est, donc, de son devoir de faire ce travail.
Amel Adjou