Le change à l’ombre de la dévaluation du dinar : la «bourse Port-Saïd » dicte sa loi

Le change à l’ombre de la dévaluation du dinar : la «bourse Port-Saïd » dicte sa loi

La dévaluation du dinar ne va pas faire que des heureux. Cela est un fait. En effet, parallèlement à cette dévaluation, le cours de la monnaie forte, notamment celui de l’euro, s’envole et atteint des cimes imprenables. Avec les répercussions négatives sur les biens et services et bien évidemment sur la bourse du commun des citoyens.

 
C’est ce qui ressort en tout au terme d’une virée accomplie hier matin en incognito au niveau du marché parallèle de la monnaie du Square Port-Saïd à Alger. En effet, les cambistes étaient là, au vu et au su de tout le monde, services de sécurité et autorités officielles y compris, avec leur prudence et leur discrétion légendaire.En tout cas et pas loin du Tribunal de Abane Ramdane, pas loin également du siège du Conseil de la Nation et face du siège du TNA, ce sont des invitations que les nombreux cambistes du marché parallèle, installés sous les arcades, se font honneur de lancer et avec insistance inégalable à la face des passants mais plus particulièrement à l’adresse de ceux qui les effleurent ou s’approchent seulement d’eux.

La Place du Square Port-Saïd est connue à travers le pays et est sollicitée l’année durant. C’est ainsi que nous avons eu le loisir de contempler de loin une dame en hidjab strict échanger avec ces banquiers d’un genre nouveau des liasses de billets. En fait, c’est à peine croyable et il se trouve que la confiance et de mise et ces opérations se déroulent durant toute la journée. En terrain conquis et pendant que juste à quelques mètres de là, des agents de circulation avaient fort à faire, nous nous faisons passer pour des commerçants de trabendo et nous entamons une rapide et furtive approche.

«C’est à 15,80/15,90 l’achat et à 16,10 la vente», nous apostrophe un cambiste duquel nous nous sommes approchés discrètement et qui affichait son semblant de profession en tenant fermement à la main une liasse de billets de banques dont brillaient les billets de 1 000 DA. «Vous vendez combien ? Pour une grande somme je suis prêt à vous faire un prix», balance-t-il. Même topo auprès des trois ou quatre autres cambistes auxquels nous nous sommes adressés.

L’opération prend à peine quelques petites minutes. Rien à voir avec la tonne de paperasse et la longue attente au niveau des banques. En fait, si le marché du Square Port-Saïd d’Alger de même que ceux similaires à Oran ou Annaba sont si aussi sollicités, les commentateurs, notamment ceux de la vox populi expliquent que c’est principalement l’absence de bureaux de change dûment officiels qui fait le bonheur du change au noir.

En effet, en plus du commerçant de trabendo, le plus en vue en fait, même les hommes d’affaires, les chefs d’entreprises, et le commun des citoyens ont recours à la facilité d’acquisition de monnaie forte qu’offre le marché parallèle, qui pour voyager tout simplement ou bien pour acquérir des équipements inaccessibles sur le marché national. Cependant, c’est le trabendo qui se taille la part du lion. Mais seulement cette catégorie de personnes, puisque même des personnalités de premier plan s’adjugent de la monnaie forte en vue de la transférer pour des achats à l’étranger, notamment des biens immobiliers.

Cependant, ce qui tracasse la vox populi, c’est que ce marché, ayant lieu en plein cœur de la Capitale du pays, se déroule au vu et au su de tout le monde en marge de la légalité et mis à part une rare descente, les cambistes ne sont nullement inquiétés même si les opérations de change concernent des sommes mirobolantes. Ces dernières semaines, la côte au dessus des 14,00 DA l’euro est allée crescendo. Toutefois et lors de notre passage sur place, très peu de gens affluaient à l’appel. Le négoce était à sa portion congrue mais l’euro avait toujours la côte.

Approvisionnement du marché : motus et bouche cousue. Selon quelques rares confidences, la cause serait due à l’arrivée massive des algériens établis à l’étranger qui même s’ils ont fait que la devise reste aussi forte, ont grogné sur les marchés parallèles de la devise. En fait, les cambistes reconnaissent à leur corps défendant que le taux de change reste élevé.

Et pour eux d’incriminer les émigrés algériens qui, arguent-t-ils, ne viennent pas seulement pour se ressourcer ou faire du tourisme mais commencent à investir dans le commerce et les services. Quant à savoir comment ils font pour s’approvisionner en monnaie forte, c’est motus et bouche cousue de la part de nos «banquiers». Pas question pour eux de dévoiler les secrets du métier, sauf que l’on peut spéculer qu’ils se rabattent sur les émigrées et sur les pensions des retraités qui sont définitivement rentrés au pays.

L’entrée clandestine de devises en Algérie alimente également le cours du marché mais personne ne va vous l’affirmer ouvertement. Rien que l’année écoulée, les autorités publiques avaient fait part de leur intention de lutter à la source contre le marché parallèle du change. Il a même été fait mention, entre autres, de l’augmentation de l’allocation touristique ainsi que des plafonds de transferts relatifs aux frais de scolarité et de soins à l’étranger mais c’est resté juste un vœu pieu.

En tout cas, jusqu’à l’heure actuelle, la Banque d’Algérie n’a décidé d’aucune de ces mesures capables de damer un tant soit peu le pion au marché parallèle de la devise.

En fait, et aux trabendistes du cabas, les plus grands habitués du marché parallèle de la devise se recrutent parmi les grands amateurs de l’import-export qui importent par containers entiers. Ceci en plus des personnes nanties et des nouveaux riches qui achètent à la pelle des biens immobiliers à l’étranger. Que l’on se rappelle les transferts de fortunes à l’étranger, révélés au début de l’année en cours des fuites de la HSBC Private Bank de Genève (Suisse).

Des voix au parfum avaient même fait état de quelques 1,8 à 2 milliards de dollars de transferts illicites de fonds vers l’étranger annuellement et qui alimentent également des marchés tels que ceux du Square Port-Saïd. Selon des données somme toute sujettes à caution, quelque 2 à 3 milliards de dollars se seraient échangés annuellement sur le marché parallèle algérien durant la période comprise entre 2009 et 2014.

Du côté officiel, la chute du cours du dinar va en se creusant. Ainsi, la très officielle APS rapportait à la fin de la semaine dernière que le «cours du dinar s’est déprécié de 11 % contre le dollar américain entre fin décembre 2014 et fin mars 2015 suite à l’impact du choc externe de grande ampleur sur les fondamentaux».

Cependant, le tocsin n’est pas sonné la très vénérable Banque d’Algérie estime que «le taux de change effectif réel du dinar algérien reste toutefois apprécié par rapport à son niveau d’équilibre de moyen terme, en situation d’élargissement du différentiel d’inflation et de tensions sur les marchés de change».

Ce n’est pas l’avis de certains experts économistes qui donnent l’alerte quant à l’impact qui peut résulter de la dévaluation du dinar sur la facture des importations, qui fait fuir les investisseurs potentiels et bien d’autres tracas dans une Algérie toujours fortement dépendante des recettes d’hydrocarbures mais ceci est une autre histoire.

Mohamed Djamel