L’économie de marché, qu’il ne serait pas exagéré d’appeler, chez nous, “économie de copinage”, s’est traduite par l’émergence de véritables enfants gâtés du régime, destinataires exclusifs de ses appels d’offres.
Avec le lancement de mises en demeure à l’encontre de l’ETRHB, un groupe appartenant à Ali Haddad, le gouvernement veut montrer qu’il a à cœur de mettre un terme à certaines dérives, comme le glissement dans les plannings des travaux ou encore les écarts de réévaluation qui pénalisent les caisses de l’État.
En décidant ainsi de clouer au pilori le “patron des patrons”, l’on veut, semble-t-il, donner l’alerte contre de vraies mauvaises pratiques qui, reconnaissons-le, ont toujours eu cours. Mais le non-respect des délais et des normes de construction, les négligences et autres laxismes coupables dans l’octroi et la gestion des marchés publics, la corruption aux effets ravageurs, renvoient, en réalité, à la nature clientéliste — certains diraient “maffieuse” — qu’on prête au régime politique. Les dernières révélations sur les marchés octroyés à l’ETRHB Haddad mettent à nu, en tout cas, l’étendue du trafic d’influence dans l’administration et achève de démontrer que la gouvernance clientéliste n’est pas une vue de l’esprit, mais, malheureusement, une réalité.
Reconnaître aujourd’hui cette réalité signifie-t-il que l’État est désormais soucieux de la gestion de ses deniers et qu’il compte enfin rompre avec cette gouvernance au profit des “copains” ? Trop tôt pour le croire. Le “système” a eu, par le passé, à broyer des “enfants prodiges” et des “golden boys” qu’il avait lui-même créés.
En effet, pour les observateurs, cette disgrâce qui semble subitement frapper le président du FCE qui, hier, avait pignon sur rue et n’hésitait pas à le montrer orgueilleusement et avec un zèle assumé, n’est peut-être pas dénuée d’arrière-pensées politiques. Ce qui apparaît aujourd’hui comme une dénonciation publique de cas emblématiques de mauvaise gestion semble relever, non pas d’une sincère volonté de rationalisation des dépenses publiques, mais de simples calculs politiciens. Il est vrai que les revenus du pétrole en chute et les luttes de succession, conjuguées à une situation politique de moins en moins tenable pour le pouvoir, ne peuvent plus faire l’économie de mesures vertueuses. Selon cette assertion, le pouvoir voudrait se refaire donc une réputation, c’est-à-dire restaurer une image ternie par les multiples frasques du gouvernement Sellal dans lequel régnait en maître incontesté un certain Abdeslam Bouchouareb dont la relation “privilégiée” (dans tous les sens du terme) qu’il entretenait avec Ali Haddad est un secret de Polichinelle.
Il s’agirait, tout compte fait, d’une opération de séduction qui, pour prétendre à quelques succès, oblige le pouvoir à se passer des services de certaines “têtes de turc”, quitte à les désigner, s’il le faut, à la vindicte médiatique.
Néanmoins, pour le simple quidam, ce sont principalement les méthodes des dirigeants qui génèrent le plus d’incertitudes dans ce pays. L’économie de marché, qu’il ne serait pas exagéré d’appeler, chez nous, “économie de copinage”, s’est traduite, comme chacun sait, par l’émergence de véritables enfants gâtés du régime, destinataires exclusifs de ses appels d’offres. Avec le fait du prince, des pans entiers de l’économie nationale ont été, ainsi, remis à cette clientèle triée sur le volet.
Il est, donc, presque inutile de préciser que ces largesses ont entraîné une grande démobilisation. Car concrètement, qui oserait encore prétendre que pour réussir dans ce pays il faille des efforts et des qualités intrinsèques ? Qui se soucie encore de la chose publique ? De l’intérêt national ? Qui a encore le goût de l’effort ? Il reste à souhaiter que cette nouvelle démarche, visible depuis la désignation de Tebboune comme Premier ministre, ne soit pas un feu de paille destiné à entretenir de faux espoirs mais l’expression d’une volonté politique réelle d’en finir avec ces multiples tares qui minent non seulement l’économie du pays mais aussi le moral de la nation.