Présent en Algérie en compagnie d’Ali Dilem, il a animé une série de conférences accompagnées d’expositions à Constantine et Oran. Celles d’Alger auront lieu aujourd’hui.
Dans cet entretien, le dessinateur du quotidien français le Monde explique l’apport du dessin de presse dans la promotion de la compréhension et du respect entre les différentes populations.
Liberté : “La caricature, un dérapage contrôlé”, tel est le thème des rencontres organisées par la fondation Cartooning for Peace en Algérie. Est-ce vrai que ce dérapage est contrôlé ? Subit-il une censure ?
Jean Plantu : Tout n’est pas possible en dessin comme dans le journalisme. La question est de savoir s’il s’agit de censure quand un dessin est refusé. Cela m’arrive régulièrement d’avoir à “retravailler ma copie”, mais je ne le vis pas comme une censure. Vous, journalistes, vous ne pouvez pas dire tout ce qui vous passe par la tête quand vous écrivez un papier. Pour un dessin, c’est pareil. Cela dit, quand je suis sûr de mon dessin, de mon opinion éditoriale, le dessin finit toujours par passer. Des fois, mes rédacteurs en chef pensent que je suis un “emmerdeur” mais ils finissent quand même par le publier.
Vous êtes à la tête de la fondation Cartooning of Peace qui s’efforce à promouvoir une meilleure compréhension et un respect mutuel entre des populations de différentes croyances ou cultures. Comment le dessin peut-il y parvenir ?
Ce que les paroles ne peuvent pas dire, le dessin arrive toujours à le suggérer. C’est bien pour ça qu’il y a des polémiques autour des dessins publiés car l’astuce du dessin est de contourner toujours les interdits. Quand nous avons réalisé des rencontres en Palestine en 2008 avec des dessinateurs palestiniens et israéliens, j’étais vraiment très heureux de me retrouver avec Ali Dilem qui a su dialoguer avec les caricaturistes de la région. Le Moyen-Orient est compliqué et Dilem a su établir des ponts. Il s’est exprimé en arabe à Bethleem et à Ramallah, il a montré ses dessins et je me souviens que les personnes qui assistaient à nos débats étaient étonnées de voir un dessinateur algérien s’exprimer avec une telle franchise et une liberté de penser. C’est ça, l’esprit Cartooning for Peace : dépasser les clivages entres les cultures et les religions et parvenir enfin à dialoguer par dessins interposés. L’humour est aussi un facteur d’optimisme
Au jour d’aujourd’hui, le dessin de presse est-il reconnu comme un travail journalistique à part entière ? Quelle place occupe-t-il dans le paysage médiatique ?
En Algérie le dessin est réellement un bon moyen de communiquer une passion de l’information : Dilem est ainsi assez proche des différentes couches de la population. En France, le dessinateur est proche des lecteurs de son journal et n’a pas l’impact national d’un dessinateur algérien.
Je découvre à chacun de mes voyages en Algérie combien l’humour algérien n’est pas que dans les dessins : il y a réellement un humour dans les rapports quotidiens : heureusement, d’ailleurs, car je ne sais pas comment les gens supporteraient toutes les difficultés que rencontre ce pays depuis plus de vingt ans. En tout cas, le métier de dessinateur de presse ressemble à une sorte de Canada Dry de journalisme : ça a le goût du journalisme, ça a le parfum du journalisme, ça en a la couleur mais ça n’est pas vraiment du journalisme.
Avec la profusion de sites internet d’information, la caricature est-elle menacée par la numérisation de la presse écrite ?
En grec (et en arabe je crois) les mots “poison” et “médicament” se ressemblent (en grec : pharmaca) : c’est un peu comme cela que je vois internet : c’est un outil génial et passionnant mais c’est aussi un danger : quand je fais certains dessins sur le Proche-Orient ou sur le Vatican, je peux me faire traiter dans la même semaine d’anti-islamiste, d’antichrétien ou d’antisémite : c’est énervant mais je m’y suis fait. À propos de la pédophilie dans l’église, j’ai fait il y a quelques mois un dessin où l’on voyait un cardinal tenant un enfant par la main ; le cardinal disait : “Les voies du Seigneur sont impénétrables”, et le petit répondait : “Y a bien qu’elles !!” Rien que pour ce dessin, le journal le Monde a reçu, en une seule journée, 3 000 mails de protestations. Avant Internet, il n’existait pas ce genre de réactions aussi massives et organisées. Cela impressionne les rédacteurs en chef qui, ensuite, hésitent beaucoup à publier certains dessins. Cette disproportion est nouvelle, maintenant, tout créateur peut être l’objet d’attaques ciblées et je ne suis pas sûr que le débat démocratique y trouve son compte.
C’est aussi pour cela que nous avons créé Cartooning for Peace avec Kofi Annan et 85 dessinateurs internationaux : nous nous efforçons de continuer à être dérangeants tout en évitant d’être humiliants auprès des croyants : nous nous en prenons aux intolérants des trois grandes religions et nous respectons les croyants. Nos cibles sont souvent les intolérants de tous poils et de toutes barbes.