Les commerces rouvrent, les voitures circulent timidement, mais les villes ne sont pas aussi animées que d’habitude. La ville de Béjaïa et toute la wilaya donnaient hier l’impression de se réveiller d’un long cauchemar.
Le calme est revenu partout à la faveur des appels lancés la veille par ceux qui ont désapprouvé la violence et la casse. Que ce soit à Béjaïa, Akbou, Sidi Aïch, Amizour, El Kseur, à Tazmakt et les autres commune côtières de la wilaya (Darguina, Aokas, Kherrata, Souk El Tennine, Tichy etc.), l’heure est à l’apaisement. Les commerces rouvrent, les voitures circulent timidement, mais les villes ne sont pas aussi animées que d’habitude. Le transport reprend aussi progressivement et les écoliers ont repris le chemin de l’école, notamment dans les villages, car des établissements étaient encore désertés par les élèves hier. Les routes sont rouvertes à la circulation automobile après quatre jours de blocage où l’activité économique et commerciale ont pris un coup. En effet, les magasins d’alimentation générale sont vides et les pénuries sont importantes. C’est le cas par exemple des fruits et légumes et du carburant.
Les stations-service n’ont rien à proposer sauf dans quelques-unes où de files de voitures sont observées à des centaines de mètres. Les gens vaquent à leurs occupations même si dans les établissements privés et publics le travail n’a pas repris par mesure de sécurité. A Darguina, trois jeunes ont été arrêtés après avoir tenté de semer des troubles. La ville a été nettoyé la nuit par des bénévoles et les services de la commune. Idem pour Kherrata où une opération de nettoyage a été menée par des gens de bonne volonté. Au siège de la wilaya, le wali a présidé une réunion à laquelle ont pris part les directeurs de son exécutif, les élus APW, le mouvement associatif et les parlementaires. Il s’agissait de faire le point sur la situation de la wilaya et d’adopter le comportement à tenir pour contenir les roubles et sauver ce qui peut l’être. Une réunion qui intervient, faut-il le dire, tardivement, car les dégâts sont énormes. Le wali fait lui-même le bilan des édifices qui ont été incendiés, pillés et saccagés. En effet, il parle de 571 personnes blessées, dont 391 policiers et 180 manifestants, 7 écoles (CEM et primaire) saccagées, des établissements de santé, des sièges de daïra, tribunaux, administration des impôts, Sonelgaz etc. Le premier responsable de la wilaya a annoncé également que 495 logements ont été squattés. Il donnera instruction pour la distribution des 4 000 locaux à usage professionnel aux jeunes. Des débats houleux ont eu lieu. Les élus n’ont pas manqué d’accuser le pouvoir à travers l’administration d’être «responsable» de cette situation chaotique. La proposition d’une marche étant évacuée, les élus et le mouvement associatif ont proposé la tenue de réunions dans les quartiers, des mesures pour baisser les prix des produits de large consommation, ouverture de la radio pour lancer des appels, puis la rédaction d’une déclaration commune. Cependant, les élus n’on pas raté l’occasion de relever les problèmes politiques qui touchent le pays et parlent de fléaux sociaux et maux qui rongent la société depuis des années, notamment la corruption et la bureaucratie.
A Akbou, la société civile représentée par les corporations des avocats, des médecins et le mouvement associatif se sont réunis avec les élus pour prendre des initiatives à même d’apaiser la situation et éviter encore les troubles et actes de pillage et vandalisme. La LADDH de Béjaïa a appelé aussi au calme et à cesser les violences et saccages des édifices publics, mais «à une mobilisation citoyenne et pacifique, tout en saluant toutes les initiatives qui tendent à canaliser la colère et à ramener le calme dans la région». Elle se dit «consciente de la gravité de la situation, exprime sa préoccupation devant l’escalade de la violence et l’embrasement général du pays sur fond de mutisme du pouvoir et de manipulations tous azimuts», lit-on dans un appel à la mobilisation pacifique lancé envers la société. Le Forum Kabylie attribue la colère de ces jeunes au «ras-le-bol, à l’injustice sociale». Pour ces animateurs, «c’est aussi par l’expression d’une crise politique et structurelle de l’Algérie post-coloniale avec ses pouvoirs successifs qui ont fermé toutes les voies d’expression démocratique et poussé au désespoir une jeunesse sans perspectives et abandonnée à elle-même». Pour les rédacteurs de la déclaration, «le marasme de la jeunesse et les conditions difficiles de vie n’ont pas trouvé d’écoute ni de cadre approprié pour une expression politique de ses revendications et que ni les partis politiques ni les organisations syndicales, qui ont la responsabilité de porter les aspirations citoyennes, n’ont occupé le terrain de la contestation, laissant ainsi des jeunes abandonnés, manipulables, livrer une guerre muette sans pouvoir mettre des mots sur leur souffrance, incapables d’exprimer leurs exigences si ce n’est par la rage et la casse».
Par Yacine T.