Le « bombardement » du sulfureux Abdelmoumen Ould Kaddour à la tête de Sonatrach expliqué aux nuls

Le « bombardement » du sulfureux Abdelmoumen Ould Kaddour à la tête de Sonatrach expliqué aux nuls

Autant la fin de mission d’Amine Mazouzi était attendue, autant son remplacement par Abdelmoumen Ould Kaddour a provoqué un coup de tonnerre à Alger. Explications.

La désignation d’Abdelmoumen Ould Kaddour au poste de PDG de Sonatrach ce lundi matin en remplacement d’Amine Mazouzi a été « plutôt bien accueillie » au sein du « middle management » de la compagnie pétrolière algérienne, selon quelques points de vue recueillis aujourd’hui au téléphone. Elle a provoqué un choc à l’extérieur de Sonatrach.

 Ce grand écart dans les réactions a une explication. Les équipes dirigeantes des différentes division de Sonatrach avaient hâte d’en finir avec la « mandature » Amine Mazouzi, considéré comme une lourde erreur de casting de l’ancien ministre de l’énergie Youcef Yousfi qui a fait perdre  près de deux ans au redressement de la campagne convalescente après les affaires des années Khelil-Meziane (2003-2011).

Les observateurs du secteur et de la scène algérienne en dehors de Sonatrach, eux se souviennent surtout que, Abdelmoumen Ould Kaddour, le nouveau patron de la première compagnie africaine a été en détention préventive pour une affaire de surfacturation à l’époque où il dirigeait BRC une joint-venture entre Sonatrach et l’américain KBR. Et qu’il a été condamné en 2007 à une peine de prison de 30 mois pour une affaire divulgation d’information liée à la première.

L’affaire BRC dont Ould Kaddour a été le principal protagoniste incarne, à tort ou à raison, dans l’opinion la première manifestation des dérives de l’ère de Chakib Khelil, et même si le procès de l’affaire BRC, ne s’est jamais tenu et qu’aucun enrichissement personnel de son PDG n’a été prouvé, sa réhabilitation spectaculaire dans cette fonction stratégique provoque de l’incompréhension.

Dans un désert générationnel de compétences

 La première explication qui est suggérée par un ancien responsable de Sonatrach à la nomination de Abdelmoumen Ould Kaddour est liée au fait qu’il y a « une pénurie de profils valables en dehors des anciens cadres de la boite de plus de 70 ans.  Il existe là une rupture générationnelle qui va se poursuivre car le système de formation dans le secteur a été abandonné depuis une quinzaine d’années ».

La déconfiture de la gestion d’Amine Mazouzi est venue, en creux, conforter cette idée. Le PDG sortant, issue de la filière interne, n’a jamais réussie à insuffler une dynamique de reconquête de Sonatrach.

Effacé, peu à l’aise en public, d’un abord plutôt réservé dans les négociations avec les partenaires étrangers, il n’avait que sa réputation, tout à fait confirmée, de probité pour justifier son maintien à la tête de la compagnie depuis sa nomination surprise en mai 2015.

Mais les enjeux de baisse à la fois de la production et des prix du gaz et du pétrole ont vite rendu la tâche spartiate à la tête de la compagnie pour un profil de manager qui n’était pas préparé à occuper de telles hautes fonctions.

 Boutarfa s’est auto-réhabilité aussi

Le choix d’Abdelmoumen Ould Kaddour ne tient pas uniquement à cette pénurie dans le secteur de l’énergie de quinquagénaires d’envergure managériale éprouvée pour diriger Sonatrach.

 Le ministre de l’énergie Nouredine Boutarfa a voulu par cette proposition, rapidement cautionnée par la Présidence de la république, envoyer un message subliminal concernant sa propre gestion à la tête de Sonelgaz.  Son nom a été évoqué dans l’affaire SNC Lavalin de l’avenant sur le contrat de réalisation de la centrale électrique de Hadjret Ennous près de Cherchell (ouest d’Alger).

 « Avec la réhabilitation de Abdelmoumen Ould Kaddour le ministre veut nous dire que tous les cadres qui ont pu être inquiétés durant cette période n’étaient pas nécessairement fautifs dans leur gestion » explique un ancien ministre. Pour ajouter aussitôt : « mais le dossier à charge de Abdelmoumen Ould Kaddour est bien plus consistant et rien ne dit que sans la dissolution de BRC et la protection présidentielle directe, il n’aurait pas révélé de réelles malversations ».

Une suspicion jamais levée au profit de KBR

Abdelmoumen Ould Kaddour s’est exilé quelques années à Abu Dhabi, aux Emirats arabes unis, après son élargissement en 2009, mis en liberté conditionnelle dans l’affaire BRC. Il avait, entre temps, purgé une peine de 30 mois (réduite à 20 mois), prononcée contre lui par le tribunal militaire de Blida pour divulgation de secret défense.

 L’ancien PDG de BRC a été accusé d’avoir organisé à son profit l’exfiltration de bandes d’écoute du DRS dans le cadre de l’enquête que les services conduisaient sur les pratiques de la Joint-Venture entre Sonatrach et l’américain KBR. Un officier des services a été également condamné dans cette affaire. Les écoutes concernaient directement la personne d’Ould Kaddour.

 Le DRS enquêtait sur les surfacturations de BRC dans des contrats liant cette entreprise spécialisée dans les projets d’équipement clés en mains (EPC) et le ministère de la défense (Hôpital d’Oran, aéroports militaires, centre criminologie), mais également des contrats d’équipements pour Sonatrach. « Le préjudice financier subi par les clients algériens de BRC, entre 2001 et 2005 était évalué à plusieurs centaines de millions de dollars » rappelle l’ancien ministre.

 L’enquête devait déterminer s’il existait un système d’influence qui bénéficiait au partenaire américain de Sonatrach, car les surprofits réalisés par BRC dans le cadre de ces contrats étaient rapatriés par KBR, le partenaire américain détenteur de 49% de la joint-venture, qu’il a vendus à Sonatrach en 2007 après le déclenchement de l’affaire.

 En 2010, une fuite de presse du rapport de l’IGF, évoquait des factures hallucinantes comme une poubelle à 40 000 dinars ou encore la décoration d’une salle de conférence pour 2 ,4 millions d’euros.

Ould Kaddour « un vrai patron, même si… »

 L’interprétation de la réhabilitation d’Abdelmoumen Ould Kaddour ne peut pas être dissociée de celle de Chakib Khelil, l’ancien ministre de l’énergie autorisé par le président Bouteflika à revenir en Algérie en avril 2016. Même si un ancien responsable de Sonatrach rappelle que Chakib Khelil s’était empressé de lâcher Ould Kaddour lorsque le DRS avait déclenché son enquête, et que depuis les deux hommes n’ont plus eu de contacts.

 Il est tout de même difficile de ne pas voir dans la nomination d’Ould Kaddour à la tête de Sonatrach la consécration de l’idée entretenue par l’ex SG du FLN Amar Saadani, notamment, mais pas par lui seul, que le management du secteur de l’énergie par Chakib Khelil  » était bon  » si l’on fermait les yeux sur ses « travers de cleptomane ».

 Une sorte de jurisprudence DSK, aujourd’hui en vogue, qui voudrait que le délinquant sexuel que l ‘ancien DG du FMI a pu être ne doit pas faire perdre de vue la pertinence de son expertise de dirigeant financier.

 « Nourredine Boutarfa a besoin d’un vrai patron à la tête de Sonatrach, quelqu’un qui prendra des décisions et qui aura une certaine facilité à prendre langue avec les partenaires étrangers de Sonatrach afin de rendre les partenariats plus attractifs qu’ils ne l’ont été ces dernières années » estime l’ancien responsable de la compagnie algérienne.

 Abdelmoumen  Ould Kaddour pourrait être cet homme. « Il pourrait même aller, selon l’ancien ministre, jusqu’à prendre l’initiative de changer le mode de sélection des partenaires de Sonatrach » en allant vers des consultations restreintes au lieu des appels d’offres actuelles, comme vient de le suggérer sur RadioM Nazim Zouiouèche ancien PDG de Sonatrach. Sans suspicion d’affairisme ?

 « Il est diplômé de MIT » répètent les sources qui veulent voir cette nomination stupéfiante comme un verre à moitié plein.  L’alternative sous Bouteflika IV est presque suggérée pour Sonatrach entre un manager brillant mais capable d’égarement et un autre honnête mais avec lequel l’industrie énergétique algérienne régresse.