Le bilan chiffré des dispositifs d’aide à la création d’entreprises cumule les dysfonctionnements, Diplômés et métiers utiles, les oubliés de l’Ansej et de la Cnac

Le bilan chiffré des dispositifs d’aide à la création d’entreprises cumule les dysfonctionnements, Diplômés et métiers utiles, les oubliés de l’Ansej et de la Cnac

Qui n’a pas eu, au moins une fois, du mal à trouver un peintre, un plombier, un électricien ou encore un chauffagiste ? Les métiers utiles se font rares, et les dispositifs d’aide à la création d’entreprises ne favorisent pas leur émergence.

Ce constat apparaît à la lecture des statistiques publiées par la direction générale de l’emploi et de l’insertion et à celle du bilan chiffré des réalisations de l’Ansej et de la Cnac. Pourtant, depuis le lancement de ces deux dispositifs, il y a respectivement quinze et dix ans, les années 2011 et 2012 ont été les plus prolifiques en matière de nombre de projets financés. En 2011, l’Ansej et la Cnac ont carrément doublé le nombre de projets financés par rapport à 2010, passant de 30 106 à 61 322. De même pour l’année 2012. Le chiffre a atteint 100 613 projets financés à travers le secteur bancaire. En 2011, dans une tentative de rendre les métiers utiles plus attractifs pour les demandeurs de financements, l’Etat a offert la possibilité de créer ces activités sous forme de véhicules ateliers.

Il s’agit d’éviter la contrainte du local en le remplaçant par un véhicule équipé pour intervenir dans des domaines tels que la plomberie, la peinture, l’électricité et d’autres métiers manuels. Mais “le véhicule atelier” n’a pas suscité l’engouement attendu. En 2011, l’Ansej et la Cnac réunis n’ont financé, à l’échelle nationale, que 2 projets de peinture en bâtiment, seulement 9 l’année d’après et uniquement 12 projets en 2013. C’en est d’ailleurs le cas pour tous les métiers utiles. Toujours en 2011, seulement 4 projets financés dans le domaine du chauffage et de la climatisation, 14 en électricité bâtiment, 66 dans la plomberie et zéro dans la vitrerie.

En dépit de l’augmentation sensible des projets financés les deux années suivantes, le financement des métiers utiles est loin de répondre à la forte demande économique interne. Une seconde tentative d’attirer, cette fois-ci, les diplômés tend à favoriser le regroupement des demandes par métiers pour constituer des cabinets groupés. Elle prévoit une aide pour les frais de location. Mais là encore, les résultats sont très faibles.

En 2011 : zéro médecin financé, zéro architecte, zéro bureau d’ingénierie et d’études techniques, zéro entreprise d’études et de réalisation pour le BTPH et zéro vétérinaire.

Seuls les avocats percent à peine. Ils étaient 11 cabinets juridiques financés. En 2012, les résultats sont presque identiques. Les financements n’ont concerné que 3 cabinets groupés dans la médecine, 3 dans l’architecture, 17 avocats, mais aucun des autres métiers cités.

En 2013, enfin, 29 cabinets d’avocats, un seul en médecine, 3 dans l’architecture, 1 bureau d’ingénierie, 1 entreprise d’études dans le BTPH et seulement un cabinet de vétérinaires ont été financés. La lecture de ces chiffres est éloquente : le chômeur hautement diplômé est très peu attiré par ces dispositifs.

Plus de 43 000 entreprises de transport de marchandises créées en 2012

En dehors des dispositifs du véhicule atelier et du cabinet groupé, les métiers utiles sont classés dans le BTPH, et les diplômés se retrouvent principalement dans la catégorie professions libérales. Dans le tableau qui classe le nombre de projets financés par années et secteurs d’activité, il apparaît clairement que trois secteurs d’activités seulement accaparent le plus grand nombre de projets financés. Il s’agit, par ordre d’importance, du transport de marchandises, des services et du transport des voyageurs. Ces trois activités dépassent de très loin toutes les autres en termes de nombre de projets financés. Le tableau indique également le nombre d’emplois potentiellement créés à travers le financement des différentes activités. La logique voudrait que les secteurs les plus créateurs d’emplois soient favorisés. Mais là encore, force est de constater que les trois secteurs en pole position ont les ratios de création d’emploi les plus faibles, compris entre x1 et x2.

Exemple : en 2010, des financements Ansej et Cnac ont permis la création de 9068 entreprises de transport de marchandises, avec la possibilité de création de 16 597 emplois.

Comparativement, avec seulement 3168 entreprises de BTPH financées – un secteur où les besoins sont très grands et restent insatisfaits –, il est possible de créer 11 270 postes de travail. Autrement dit, pour une entreprise de BTPH financée, ce sont trois emplois et demi de créés (exactement x3,55). Mais pour une entreprise de transport de marchandises, c’est moins de deux emplois créés (x1,83). Encore mieux ! Pour des activités telles que la plomberie, la peinture en bâtiment ou l’agriculture, le ratio de création d’emplois potentiels se situe entre x3 et x5. Durant cette même année, seuls 476 projets ont été financés dans la catégorie Professions libérales, avec un coefficient de création d’emplois supérieur à deux (x2,4).

Pourtant, il a été financé trois fois moins d’entreprises de BTPH que d’entreprises de transport de marchandises. Vingt fois moins de projets dans les professions libérales. Dix mille fois moins de bureaux d’architecture, alors que cette activité crée au minimum 7 emplois au démarrage.

Cette tendance se confirme et s’aggrave au cours des années suivantes. En 2011, il y a eu 26 523 entreprises de transport de marchandises créées contre 4245 dans le BTPH. En 2012, le chiffre monte en flèche : 43 187 entreprises de transport de marchandises sont créées. Puis en 2013, ça retombe à 12 169. Sur la période de 2010-2013 et pour un total de 256 492 projets financés, le nombre d’emplois potentiels créés au démarrage des activités est de 530 918. Soit seulement deux emplois potentiels par projet financé (exactement x2,06).

Soutien à l’économie ou perfusion sociale ?

Ce faible taux de création d’emplois potentiels résulte de la prédominance des financements en direction des deux seuls secteurs : transports et services. Là encore les chiffres parlent. En 2010, la proportion du transport (marchandises et voyageurs confondus) dans le portefeuille des projets financés par l’Ansej et la Cnac est de 35,4%. En 2011, cette part a atteint les 51%. En 2012, elle passe à 48,87%. Enfin, en 2013, elle redescend à 23,4%. Cette forte croissance du secteur des transports routiers, au détriment des autres activités, répond-elle à un besoin économique réel ou est-ce, simplement, le seul créneau dans lequel peuvent s’engouffrer des milliers de jeunes, sans autre qualification qu’un permis de conduire ? Pour l’économiste Youcef Benabdallah, “l’engouement pour le transport se justifie par la modicité de l’investissement, la rapidité de sa mise en place et de l’entrée dans la phase de rentabilité et enfin, par l’absence de qualification, sauf le permis de conduire”. La répartition des projets par niveau de financement donne une idée sur l’importance et les capacités des entreprises créées à travers l’Ansej et la Cnac. Plus on met d’argent en jeu, plus on en gagne et vice-versa. Justement, ces dispositifs ont favorisé les petits financements. En 2010, 32% entre 1 et 2 millions de DA, 40% entre 2 et 5 millions DA et autant d’entreprise à moins de 1 million de DA que d’entreprises à plus de 5 millions DA (13%). Les années suivantes, la proportion des entreprises à moins de 1 million de DA se réduit au profit de celles à plus de 5 millions de DA. En 2013, ces dernières représentent 22%, contre seulement 3,5% d’entreprises à moins de 1 million de DA.

Néanmoins, la majorité des entreprises créées l’ont été avec un financement compris entre 1 et 5 millions de DA seulement. Ce qui les classe dans la catégorie des microentreprises.

Cette taille d’entreprises n’est fortement rentable que si elle crée de la richesse, exemple, développement de logiciels innovants, offre d’un service très spécialisé.

Or, la prédominance du transport, qui est une activité qui ne crée aucune richesse, coupe court à tout espoir de réaliser une quelconque plus-value. Même dans le deuxième secteur le plus doté, les services, les entreprises vivotent. Car les activités les plus prisées sont fast-food, tabac et journaux ou pressing. Mais alors, quelle place ont occupé “l’encadrement et l’accompagnement”, inclus dans ces dispositifs de financement ?

D’autres secteurs stratégiques sont ainsi complètement délaissés par ces outils, censés favoriser et orienter la création des PME. Dans l’industrie, seulement 1 369 entreprises ont été créées en 2010. Puis 2 185 en 2011 et environ 4 000 en 2012 et 2013. L’agriculture connaît une relative évolution au cours de ces mêmes années. De 2 500 projets en 2010, elle passe à 10 690 projets financés en 2013. Enfin, seulement 1 251 projets dans le domaine de la maintenance sont financés en 2013. Assez pour assurer les réparations des dizaines de milliers de camions, fourgons, camionnettes et bus, mis en circulation à travers les mêmes organismes de financement ? Pas sûr.

Ansej-Cnac : peu de retombées sur l’économie nationale

Les dispositifs d’aide à la création d’entreprises, Ansej et Cnac, existent depuis suffisamment de temps pour justifier l’évaluation de leur efficacité. Après quinze années de financement à taux zéro, d’exonérations d’impôts et d’accompagnement des entrepreneurs, il aurait été souhaitable qu’il en résulte un tissu de PME suffisamment dense pour répondre aux besoins de chacun des secteurs économiques du pays. Mais force est de constater que les objectifs macroéconomiques, visés par la mise en place de ces outils, sont loin d’être atteints. Certes, grâce à ces dispositifs, des milliers de microentreprises ont vu le jour. Mais survivront-elles et deviendront-elles des PME pour autant ? Ce boom entrepreneurial, enregistré entre 2011 et 2012, correspond-il à une logique économique, à une vision à moyen ou long terme ou était-il simplement conjoncturel, faisant office de pansement social ?

Un des éléments qui permette de mesurer la viabilité de ces milliers d’entreprises est le taux de recouvrement des crédits accordés. En 2012, il était de 63% pour l’Ansej et de 69% pour la Cnac. Puis en 2013, il est passé à 65% pour l’Ansej et à 57% pour la Cnac. Ce taux concerne, en réalité, les entreprises créées antérieurement. Les projets financés en 2011 et 2012 entreront en phase de remboursement des crédits entre trois et cinq ans après leur création, donc pas avant 2016 et 2017. Or, plusieurs facteurs peuvent influencer ce taux de recouvrement des crédits.

“Le taux de recouvrement dépend de la rentabilité du projet mais aussi du comportement du porteur de projet. Il se peut que ce dernier ait compris l’action de l’Etat comme faisant partie de la politique générale de redistribution. Dans ces conditions, il se positionne comme un ayant droit du système et se comporte par voie de conséquence comme un opportuniste”, estime M. Benabdallah, professeur en économie.  Au total et pour la période allant de 2010 à 2013, l’Ansej et la Cnac ont permis le financement d’entreprises à hauteur de près de 830 milliards de DA.

Beaucoup d’argent injecté pour peu de retombées sur l’économie nationale, encore dominée par les importations. Tout l’argent dépensé grâce aux dispositifs Ansej et Cnac ne fera pas baisser la facture de ces importations puisqu’il n’a pas servi à créer de la richesse, ni à faire baisser le chômage d’ailleurs.

Bien au contraire, ces organismes ne font que créer des milliers d’entreprises de transport, pour acheminer, encore, les tonnes de marchandises étrangères en perspective d’être livrées.

A. H