Le baron de la drogue de Mohammadia démasqué

Le baron de la drogue de Mohammadia démasqué

L’un des barons qui était sur le point d’exporter 5 t de cannabis vers Marseille, avant que la marchandise ne soit saisie au port sec de Rouiba, il y a quelques semaines, a été identifié par les services de la gendarmerie, a-t-on appris de source judiciaire.

Il s’agit de Ahmed Yousfi Saïd, dit « Saïd l’émigré », natif de Ouezra, Médéa, et résidant depuis six ans seulement à Mohammadia, qui est actuellement réfugié au Maroc.

Evadé d’une prison française en 2002, condamné par contumace à 15 années de réclusion criminelle pour banditisme, Ahmed Yousfi Saïd rentre en Algérie et devient un des barons de la drogue. En six ans, il a érigé un empire financier. A Mohammadia, où il réside, il a acheté de nombreux biens immobiliers, mis sous scellés dans le cadre de l’affaire de 5 t de drogue découvertes au port sec de Rouiba. La découverte du pot aux roses a été possible grâce à la vigilance d’un manutentionnaire du port sec de Rouiba qui, au moment des manœuvres, s’est rendu compte que les conteneurs pesaient très lourds alors qu’ils étaient censés être vides. Il en parle à un de ses amis qui est gendarme. Le lendemain, l’information arrive au groupement de la gendarmerie. Une première équipe fait sa descente, avec les chiens renifleurs, mais ne trouve rien. Le manutentionnaire persiste dans ses propos et insiste pour une fouille physique. Une autre équipe est revenue sur les lieux.

Les parois du conteneur sont alors cassés et c’est là que la découverte a été faite. Les premiers éléments de l’enquête vont mener les gendarmes tout droit vers Saïd l’émigré, qui réside, depuis 2004, à Mohammadia, et un certain Samir « Sori » ou Mounir Baya. Mais tous les deux avaient eu suffisamment de temps pour prendre la fuite, en emportant une bonne partie de l’argent de la drogue. Saïd et Samir ont pris le temps de vider les coffres qu’ils ont construits dans leurs différentes maisons dans de nombreux quartiers d’Alger mais aussi dans sa périphérie, comme à Boufarik ou la Chiffa. Les perquisitions que les gendarmes vont faire dans les domiciles identifiés permettent de récupérer quand même quelques quantités, qui restent tout de même minimes par rapport à celles détournées. De nombreux biens entre villas et appartements, appartenant aux deux barons, à Chéraga, Mohammadia, Tlemcen, Oran, Boufarik, ont été mis sous scellés dans le cadre de cette affaire. Saïd et Samir vivaient tous les deux à Mohammadia et pratiquaient la même activité, à savoir l’importation de véhicules de France, notamment de Marseille. De plus, ils ont un ami commun, un certain Boumail, lui aussi versé dans le commerce des véhicules et impliqué dans l’affaire des 1000 kg de cocaïne importés de l’Amérique latine, interceptés en Espagne. La marchandise était dissimulée dans des conteneurs qui devaient servir au transport de sanitaires pour le compte d’un opérateur algérien, Boumail, installé à Mohammadia.

Des ramifications transnationales

Les recherches ont permis de retrouver une partie de ces sanitaires, restées pendant longtemps dans les entrepôts. L’opération d’importation servait de couverture au trafic de drogue dure. Boumail est également un expulsé de France, du fait de son implication dans des affaires de banditisme. Saïd l’émigré et Boumail ont tout deux le même parcours. Ils ont appartenu à des gangs en France, avant d’atterrir à Mohammadia pour organiser des réseaux de trafic de drogue et transformer ce quartier en une plaque tournante des narcotrafiquants avec des ramifications transnationales. Les spécialistes se demandent si le choix de ce quartier de la banlieue est d’Alger était la décision des barons marocains, dans le but de sécuriser les convois de cannabis, à travers un nouveau redéploiement depuis que les ports de l’ouest du pays sont mieux surveillés par non seulement les Douanes algériennes, mais aussi européennes. Les inquiétudes sont d’autant plus importantes, lorsque l’on voit que durant les dernières années la quantité de drogue expédiée ne se mesure plus en termes de dizaines ou de centaines de kilogrammes, mais en termes de conteneurs. Ce qui reflète une forte activité des réseaux, qui ne lésinent pas sur les moyens pour acheter le silence de larges pans d’intervenants dans la chaîne de contrôle. Les méthodes de dissimulation dans les véhicules et camions ont évolué pour passer à des techniques de plus en plus difficiles à déceler, et des cloisonnements qui rendent presque impossible la neutralisation des vrais barons, qui fuient le pays avec une facilité déconcertante pour rejoindre (souvent) le Maroc, où ils ont acquis des biens. De ce fait, les nombreux réseaux démantelés se reconstituent avec une telle célérité, que l’on se demande souvent si, réellement, ils ont été un jour inquiétés. L’affaire de Rouiba est révélatrice. De jeunes émigrés poursuivis pour banditisme en France, recherchés dans le cadre de mandats d’arrêt internationaux lancés par Interpol, rentrent en Algérie sans aucun problème, pour mettre en place d’importants réseaux de trafic de drogue et ériger des empires financiers en leurs noms et ceux des membres de leurs familles.

Des signes de richesse tellement flagrants qu’il est impossible de croire que ces bandits au col blanc n’étaient pas bien protégés. Cette affaire fait craindre le pire, du fait qu’elle démontre aussi à quel point les réseaux de trafiquants ont évolué et, en parallèle, à quel point, les services de sécurité restent à la traîne. Est-ce faute de moyens ou de compétences que Saïd l’émigré et son acolyte Samir « Sori » ont réussi à prendre la fuite aussi facilement ? L’Algérie a suffisamment de moyens pour venir à bout de ce fléau qui menace sa sécurité intérieure. Ce qui porte à croire que ce sont les compétences humaines qui posent un vrai problème dans la lutte contre la criminalité organisée. La sonnette d’alarme est tirée parce que les deux barons de la drogue sont aujourd’hui pris en charge par leurs parrains.