Le piège de la rente pétrolière est en train de se refermer sur l’Algérie enfonçant le pays dans une crise budgétaire, économique et structurelle, accentuée par des luttes de pouvoir sorties du domaine réservé avec le limogeage du puissant patron des services secrets.
Face à un budget de l’Etat soutenable qu’à un prix du pétrole de plus de 100 dollars, le gouvernement aura de grosses difficultés à financer ses dépenses de fonctionnement et d’investissement, et faute d’une stratégie claire, cohérente, pour surmonter l’épreuve, l’exécutif se contente de demi-mesures.
L’été dernier, le Premier ministre algérien Abdelmalek Sellal avait reconnu, pour la première fois, que la situation est délicate, dressant, contrairement à ses habitudes, un diagnostic pessimiste du tableau de bord économique. Rompant avec la suffisance décriée par les observateurs, il laissait entrevoir les prémices d’une crise imminente et profonde en Algérie, au cas où rien n’est entrepris pour trouver la parade adéquate. Depuis, tous les indicateurs du pays, qui dépend intimement des recettes d’hydrocarbures, tournent au rouge. Le dinar algérien est en déroute et ne cesse de battre son propre record à la baisse. La balance commerciale a enregistré un repli alarmant de 10,33 milliards de dollars à septembre dernier, pénalisée par l’effondrement des recettes pétrolières.
En effet, les ventes d’hydrocarbures, qui accaparent plus de 94 % des rentrées en devises du pays, ont baissé à 28,86 milliards de dollars, contre 48,29 milliards durant les neuf premiers mois de 2014. Sur la même tendance baissière, les réserves de change ont chuté de près de 28 milliards de dollars (mds usd) depuis fin 2014 qui coïncide avec le début de l’effondrement des prix du pétrole, et devant s’établir à 151 mds usd à fin 2015, contre 178,9 mds usd à fin décembre 2014 et à 121 mds usd à fin 2016.
Au mieux, l’Algérie a donc en réserve quelques mois d’importations, avant que le FMI ne vienne frapper à la porte, avec un déficit commercial de plus en plus marqué et devant boucler l’actuel exercice sur un score alarmant. Un état en total déphasage avec l’opulence des années fastes. En 2012, l’excédent commercial du pays a atteint 20,2 milliards de dollars, avant de tomber à 9,3 milliards en 2013, puis à 4,6 milliards en 2014. Mais, l’Algérie a vu son excédent commercial extérieur s’effriter sous l’effet de la baisse des recettes des hydrocarbures et la frénésie des importations, qui ont franchi la barre des 60 milliards de dollars l’année dernière.
A ces données inquiétantes s’ajoutent une production locale très faible, une économie très peu diversifiée, une agriculture moins développée et un tourisme quasi inexistant, poussant les experts à tancer le gouvernement l’accusant d’être en panne d’imagination et de continuer d’agir à coups de petites décisions dont l’impact reste relativement marginal.
Sous cette pression, le gouvernement décide alors le gel des projets d’équipements non lancés et des recrutements dans la fonction publique. Parallèlement, les dépenses démesurées de fonctionnement de l’Etat continuent. Le gouvernement annonce également la révision de la politique de subvention généralisée des prix et l’élaboration d’une stratégie de sortie de ce système vers un modèle de subventions ciblée et une libéralisation des prix. Cette annonce contredit les déclarations de responsables algériens qui avaient exclu toute révision de la politique de subventions par ces temps où les recettes du pays en monnaies fortes commencent à manquer. Par ailleurs, les Algériens devront, à partir du 1er janvier prochain, payer leur carburant nettement plus cher par rapport aux années précédentes. La loi des finances 2016 prévoit des augmentations des prix de produits énergétiques en élevant le taux de la TVA pour passer de 7 % actuellement à 17 % sur la vente de gasoil, sur la consommation du gaz naturel et d’électricité.
D’après la Banque mondial, le pays a besoin d’un baril de 120 dollars pour maintenir ses équilibres budgétaires et préserver sa position financière extérieure, désormais prise dans le goulot. Des projections officielles estiment qu’avec une moyenne de 50 dollars le baril, les réserves en devises chuteront à 9 milliards de dollars dans quatre ans, contre quelque 200 milliards en 2012.
Parallèlement à cette crise économique, les coups de balai se succèdent au sein du pouvoir algérien comme le limogeage en septembre du général Mohamed Médiène, alias Toufik, chef du département du Renseignement et de la Sécurité (DRS) qui a passé un quart de siècle à la tête des services secrets algériens. S’en est suivie la condamnation, après un procès expéditif, à cinq ans de prison ferme d’un des anciens proches collaborateurs de Toufik. Il s’agit de l’ancien chef de la lutte antiterroriste au DRS, le général Abdelkader Aït Ouarabi, dit Hassan, pour les délits de « destruction de documents et infraction aux consignes militaires ». Ces décisions ont été précédées par une vaste opération menée par le clan présidentiel en vue de déstructurer et vider de sa substance le Département du Renseignement et de la Sécurité, transformant ainsi ce département en une coquille vide et parachevant son plan de contrôle total de l’ensemble des rouages de l’Etat, à travers la nomination des hommes de confiance aux postes-clefs et au remerciement de toute personne à même de contester sa légitimité.