Dans cette interview, Malek Othmane, Directeur général de l’institut de formation bancaire d’Alger et expert en finances et banques qui a voulu répondre à nos questions, explique l’intérêt qu’il faut bien accorder à la formation dans le domaine bancaire, et particulièrement la formation continue et les recyclages, à même de permettre d’accompagner les professionnels du secteur et former, tant les managers que les consultants d’avenir.
Selon notre interlocuteur, il est devenu plus que nécessaire en ces temps qui courent, de former les compétences locales afin, dira-t-il, de cesser de faire appel à chaque fois, aux compétences étrangères. Sur un autre plan, M. Othmane, qui évoque certaines insuffisances dans le domaine, insiste sur la nécessité d’aller vers des réformes profondes, à même d’adapter le marché bancaire algérien avec les nouveautés, de par le monde. En ce sens, il évoque l’importance de la mise en œuvre de l’E-banking qui, selon lui, devra jouer un rôle prépondérant dans le développement des services et autres prestations bancaires. Interview.
Le Chiffre d’Affaires: Il y a une expression française qui dit que le banquier est toujours en liberté provisoire, comment expliquez-vous cela?
Malek Othmane: Si le banquier respecte la réglementation et applique les conditions et les lois en vigueur, cette expression n’a pas de raison d’être. Mais il est à signaler, que la profession de la banque suppose bien des risques, car c’est un métier spécifique, lié à l’argent et tout ce qui est en relation avec l’argent, suppose le danger. En effet, toute faute professionnelle ou négligence dans l’application de la réglementation, engendre des situations inadéquates, dont des faits contradictoires avec la loi, ce qui relève du pénal. Il ne faut pas oublier que cette expression fait allusion au fait, que l’activité principale de la banque repose sur le crédit. Parmi les cas qui exposent le banquier aux risques: l’escompte des chèques qui est –a titre d’exemple– selon le juge d’instruction, un détournement de deniers publics, car le client n’a pas d’argent dans son compte, mais dans la règlementation interne des banques, l’escompte est une opération très ordinaire et autorisée. Néanmoins, il existe d’autres pratiques impropres, où peut tomber le banquier par manque d’expérience, ou bien par inconscience professionnelle.
A votre avis, comment votre corporation peut changer cette donne, afin de soulager les gestionnaires et leur éviter les déboires que suppose leur profession?
Il est clair que la revendication allant dans le sens de la dépénalisation de l’acte de gestion, va dans ce sens justement. C’est là une mesure très importante, pour que le métier de banquier soit plus sécurisé. Cependant, et en plus de cela, l’Etat doit former des magistrats spécialisés dans le monde des affaires, car la situation est compliquée et ne peut continuer ainsi. Il faut que le banquier puisse exercer pleinement son rôle et que la banque soit en mesure de protéger son employé, en cas de défaillance ou de dérapage grave, durant l’exercice de ses fonctions.
Sachant que banquier est un métier très réglementé, je me permets de rappeler le rôle de la Banque d’Algérie qui joue le protagoniste et en même temps, le contrôleur, afin d’appliquer vigoureusement les codes et les lois régissant le domaine.
Et les cadres banquiers qui se trouvent en prison aujourd’hui, sont-ils réellement tous coupables?
Si on ne connait pas son métier, on n’est pas à l’abri du risque et si on ne maitrise pas son travail on doit s’abstenir d’accepter le poste. Mais il faut signaler également, que les banquiers subissent pression et stress, car dans la réglementation interne, le banquier n’a pas le droit de refuser un poste qu’on lui propose. Sachant que le banquier a une responsabilité civile et pénale, et là il faut dire que si ce dernier n’en est pas conscient, il peut facilement verser dans des affaires de malversation ou tout au moins, commettre des erreurs qui lui seront préjudiciables. Effectivement, il existe beaucoup de cadres incarcérés et honnêtement, tant qu’ils ne sont pas condamnés définitivement par la justice, la présomption d`innocence, elle, y est. Aujourd’hui, ce que nous regrettons c’est surtout la durée souvent prolongée du mandat de dépôt et bien sûr, la lenteur dans les procédures.
Pouvez-vous nous présenter votre institut et quelles sont les compétences et les spécialités développées à ce niveau?
Je tiens à vous informer, que l’IFB est l’unique Institut algérien qui assure des formations dans le domaine des Finances, au profit des employés des banques, de manière à développer les qualifications et de préparer la relève et surtout, afin de ne plus importer les compétences. Nous contribuons efficacement à l’investissement dans les ressources humaines, car ces banquiers formés sont les cadres de demain et même les consultants de l’avenir, lesquels épargneront aux institutions financières du pays, de faire appel aux compétences et au savoir-faire étrangers.
Donc, l’IFB est l’institut de formation bancaire dédié aux personnels en fonction. Il a été crée, grâce à la contribution de pratiquement, toutes les Banques algériennes, dont le CPA, la BDL, la BEA, la Cnep, la CNMA, et la banque mixte El Baraka, qui est aussi un actionnaire. Donc, nous sommes une filiale de la Banque d’Algérie, avec dix actionnaires. Jusqu’à aujourd’hui, l’institut compte 6.000 participants chaque année et nous assurons des formations, pour toutes les banques de la place, publiques ou privées.
Quelles sont les spécificités de ce métier?
Le métier de la banque est un métier complexe. Le banquier est censé détecter les opportunités d’affaires, grâce à un réseau de contacts avec les décideurs des grandes entreprises.
Il est appelé à développer des réflexions stratégiques. Il opte pour les meilleures solutions et tente de gagner des pouvoirs, pour ensuite arranger et exécuter les opérations, dans un cadre cohérent et réglementé.
Comptez-vous énormément sur le Trésor public et les Banques publiques pour adapter les besoins de l’école, recevoir les stagiaires et les intégrer dans la vie active: recrutement, stage…?
Non, comme je vous l’ai déjà expliqué, la banques et le Trésor, c’est eux qui comptent sur notre institut, afin de recycler et de former leurs personnels, sur de nouvelles techniques et de nouvelles normes, dans le domaine des Finances.
Qu’elle est la contribution de la Banque d’Algérie dans cette initiative? Est- elle le parrain de l’institut ou juste un accompagnateur de votre projet?
La Banque d’Algérie est actionnaire à 20%, et elle est notre tutelle, ce qui veut dire que l’institut se développe dans le cadre général de la Banque d`Algérie. On ne peut pas faire fi des principes et des orientations de la Banque d’Algérie. Notre institut est une école de banques. Nous sommes l’interbancaire, en matière de formation.
Basez-vous vos programmes dans les différentes formations, sur ce qui reflète le marché bancaire en Algérie ou bien, vous optez pour une formation adaptée aux normes internationales?
Ce genre de métiers est en évolution continue. Ce qui exige de nous, en tant que formateurs, d’être à jour et à la page, en achetant des formations des pays qui sont connus dans le domaine, afin de pouvoir transmettre le savoir acquis à nos étudiants banquiers. Généralement, ce sont des formations conformes aux pratiques sur le marché monétaire international, car il viendra le jour où nous serons dans l’obligation de répondre, à tous les besoins du marché bancaire qui reflète en même temps, les besoins de notre marché local. Ceci dit, nos formations répondent aux normes internationales, nos banquiers peuvent facilement travailler et assurer des services, dans des banques a l’étranger. Car, le plus important dans notre parcours, c’est de former nos banquiers sur la technicité, l’aspect managérial et comment développer un portefeuille client concurrentiel et surtout, sur l’universalité dans les pratiques bancaires.
La Banque d’Algérie est seule habilitée à agréer des Institutions bancaires étrangères en Algérie. Comment d’après-vous, ces dernières peuvent contribuer efficacement à l’amélioration du marché bancaire et financier en Algérie?
Contrairement à ce que nous entendons à gauche et à droite, sur le système financier en Algérie, il faut signaler que la Banque d’Algérie continue à maitriser les choses et que les Banques étrangères agréées sont soumises à nos lois, et ne peuvent agir dans l’absolu, ou selon une autonomie totale, car notre marché a ses spécificités et que les Banques étrangères agréées en Algérie agissent dans le cadre des lois algériennes, étant donné qu’elles détiennent des registres de commerce algériens.
Comment appréciez-vous la configuration du Marché bancaire algérien, et qu’en est-il de l’E-banking comme moyen de restructuration?
Le Marché bancaire algérien et, comme d’autres secteurs, souffre de quelques faiblesses physiques que les responsables essayent de rattraper, en mettant en œuvre l’E-banking. La corporation estime moderniser le secteur, faciliter les services pour ses clients, et instaurer une flexibilité dans les relations bancaires. L’e-banking est très important, pour faire évoluer les services et les prestations de la banque. En revanche, il faut savoir que cette option repose sur une technologie. Si cette dernière est défaillante, l’E-banking ne peut réussir, ou donner des résultats probants, sachant que les banques sont tributaires d’Algérie Télécom qui accuse dans ses services, un retard remarquable par rapport à d’autres pays.
Quelles sont vos conseils, aux jeunes qui veulent s’orienter vers les métiers des finances?
Les banquiers doivent être dotés d’une grande expérience bancaire de haut niveau. Ils doivent recycler leurs connaissances, s’adapter avec les nouvelles technologies et savoir communiquer car, ils sont en contact permanant avec les clients. S’il est indéniable que la banque est un métier à risques, les jeunes financiers doivent maitriser les risques et appliquer la réglementation en vigueur, dans tous ses détails, afin justement d’éviter les conséquences néfastes découlant de la négligence et/ou, du manque de maitrise.
C. L.