Demain sera célébré le 55e anniversaire de la disparition du martyr Si M’Hamed Bougara. Sur les lieux de sa dernière bataille. A défaut d’une tombe qui attend son corps pour y être inhumé. Mais pourquoi l’armée française cache-t-elle le corps plus d’un demi-siècle après?…
Déluge de feu sur les maquis. Dès son arrivée au pouvoir, le général de Gaulle s’était juré de «mater la rébellion» pour ensuite imposer «sa» solution à ce qu’il appelait alors «la question algérienne». Elu premier président de la Ve République française, le 8 janvier 1959, l’une de ses premières décisions fut de confier le commandement militaire en Algérie au général Challe en renforçant sa puissance de feu par des moyens militaires qui n’avaient pas encore été utilisés jusque-là.
Challe mit au point son plan qui consistait à déporter systématiquement les populations rurales vers des camps de regroupement, véritables camps de concentration, gardés par ses militaires. Il entra en action le 6 février 1959.
Les tracts annonçant sa mort
C’est ainsi qu’il vida les villages et douars de l’intérieur privant les combattants algériens de toute aide logistique auprès de la population. Sur le plan militaire, Challe utilisera ce qu’il appellera «l’aéromobilité». C’est-à-dire débarquer, grâce à l’envoi de France des hélicoptères Sikorsky, des troupes en plusieurs points d’un large périmètre pour fractionner les combattants d’une même katiba en plusieurs petites «poches» isolées les unes des autres. Sans ravitaillement, réduits en petits groupes, les moudjahidine se voyaient pris en étau par des milliers de soldats envoyés en renfort par Paris et que Challe déversait sur les crêtes des montagnes par les fameux hélicoptères que nous avons cités plus haut et qui étaient rejoints par des troupes venues des plaines où elles étaient stationnées. C’est ce qu’on appela le «plan Challe».
Un plan qui comportait plusieurs opérations. «Jumelles», «Turquoise», «Saphir», «Emeraude», «Topaze», etc. Chacune pour une partie bien délimitée du territoire algérien.
C’est dans ce contexte de guerre à outrance que le colonel Si M’Hamed Bougara, Chef de la Wilaya 4 historique fut encerclé avec quelques-uns de ses compagnons au lieudit Ouled Bouachra, dans la région de Médéa. Pour Challe c’était l’opération «Courroie». Les forces et les moyens étaient trop inégaux. Aucune possibilité de mouvement, aucun approvisionnement possible, l’ennemi qui montait de la plaine et les hélicoptères qui larguaient des commandos sur les crêtes, ne laissaient aucune chance au chef de la Wilaya 4. Il mena cependant le combat de la dignité et du sacrifice plusieurs jours jusqu’à la dernière balle.
Le 5 mai 1959, les armes se sont tues sur Ouled Bouachra. Un silence lugubre interrompu peu après par des hélicoptères qui ont largué des tracts annonçant la mort de Si M’Hamed Bougara. Histoire de démoraliser les autres groupes de moudjahidine dans un large périmètre ainsi que les populations retenues dans les «camps de regroupements». La cruauté du général Challe ne s’arrêta pas là. Ses hélicoptères évacuèrent le corps de Si Bougara vers une destination inconnue. Très certainement pour éviter que le lieu de son enterrement ne devienne un lieu de pèlerinage pour la population.
L’armée coloniale avait peur de Si Bougara même mort. Pour mieux comprendre la hantise de Challe et de ses troupes, nous avons essayé de retracer le parcours de ce héros de la guerre de Libération. Si M’Hamed Bougara est né à Khemis Miliana le 2 décembre 1928. Après avoir obtenu son certificat d’études, il entreprit une formation technique. Sa soif de connaissance lui fit prendre la route vers la Tunisie où il suivra des cours à la célèbre université de la Zitouna.
L’adieu à la famille
On peut facilement dater sa prise de conscience du sort du peuple algérien dominé par la colonisation française depuis plus d’un siècle car, de retour à Khemis Miliana, il rejoint les Scouts musulmans algériens et adhère au PPA. Il avait à peine 17 ans lorsque les manifestations du 8 Mai 1945 ont eu lieu et auxquelles il a, bien sûr, participé.
Arrêté et torturé, il en sort plusieurs mois après encore plus déterminé à s’engager dans la lutte contre l’occupant. On le retrouve dans l’Organisation secrète (L’OS) en 1950 où de nouveau il est arrêté par les forces coloniales. Après avoir purgé sa deuxième incarcération, il est soumis à une étroite surveillance. Une surveillance à laquelle il échappe et gagne la capitale pour renforcer les groupes qui allaient donner naissance à la révolution de Novembre 1954.
Recherché par les services de police et l’armée française, il rendit une dernière visite à son frère Mohamed pour lui faire ses adieux et rejoindre le maquis, dans la région de Theniet El Hadd avant même le 1er Novembre 1954. Il prend part au Congrès de la Soummam lors duquel il est promu commandant politique de la Wilaya 4.
En 1957, il succède à la tête de la Wilaya 4 au colonel Slimane Dehilès connu sous le nom de Si Sadek lorsque celui-ci se rendit à Tunis pour prendre ses nouvelles fonctions au sein du Conseil national de la Révolution algérienne (Cnra).
C’est ainsi qu’il dirigea durant deux longues années la Wilaya IV, affrontant les pires conditions de lutte et de survie dans les maquis. Jusqu’ à ce fatidique jour du 5 mai 1959 où il lutta jusqu’au bout de ses forces contre l’une des puissances militaires de l’Otan. Une puissance qui, malgré tout, avait peur de lui, même mort, puisqu’elle a caché son corps. Une dépouille que sa famille recherche toujours. A ceux qui auraient pu croire que l’armée française a «fait une oeuvre civilisatrice» en Algérie!