Avant son assassinat, Krim Belkacem vivait en Suisse
Le signataire des Accords d’Evian a été anesthésié et étranglé avec sa ceinture et une cravate dans une chambre d’hôtel à Francfort.
L’Algérie a-t-elle tourné définitivement le dos à la mémoire de ses meilleurs enfants, assassinés et enterrés plusieurs fois?
A voir les conditions dans lesquelles le 43e anniversaire de l’assassinat du signataire des Accords d’Evian, Krim Belkacem, est passé totalement inaperçu, on est tenté de le croire. S’il ne fallait rien attendre du pouvoir, il est pour le moins étonnant de constater que la société civile et les organisations promptes à commémorer les anniversaires des héros de la Révolution algérienne ont passé sous silence l’anniversaire de l’assassinat du père de cette Révolution. Si le pouvoir a ses propres héros, il sait certainement que le peuple a les siens. Krim Belkacem en est un. D’ailleurs, la seule activité commémorative de ce tragique événement a été organisée à l’initiative de l’association Tharwa N’Krim Belkacem, la kasma des moudjahidine et l’APC d’Aït Yahia Moussa d’où il est natif. Au cimetière d’El Alia, il n’y avait pas d’ombre de représentants des pouvoirs publics. En attendant que l’Algérie officielle reconnaisse les siens, les citoyens à qui on n’a pas réussi à faire perdre la boussole des repères continuent à se souvenir. Car, pour reprendre le chanteur engagé Matoub Lounès, «Ils se souviennent Jusqu’à aujourd’hui à Draâ El Mizan, ils refusent d’oublier l’affaire de l’Allemagne».
Opposé au pouvoir dès l’indépendance du pays après avoir signé les Accords d’Evian qui mettent fin à une guerre de plus de sept ans, Krim Belkacem est entré dans la disgrâce du système autoritaire. Poussé à l’exil forcé, il sera condamné à mort par la cour révolutionnaire en avril 1969. Près de 18 mois plus tard, il sera lâchement assassiné dans une chambre d’hôtel dans la ville de Francfort en Allemagne. C’est ainsi qu’a été «récompensé» celui dont la signature a engagé tout le peuple algérien, un certain 18 mars 1962. Jusqu’à aujourd’hui, des zones d’ombre entourent cet assassinat odieux, l’un des épisodes les plus scandaleux qui ne cesseront de hanter l’Algérie. Avant son assassinat, Krim Belkacem vivait en Suisse, mais il se déplace entre la France et l’Allemagne. Son ami suisse, Bernard Golay, chez lequel les Accords d’Evian ont été préparés, raconte dans une interview accordée le mois d’août 2012 à Jean-Jacques Odier, de la revue Initiatives et changement, les derniers jours de Krim Belkacem.
Bernard Golay reçoit un coup de téléphone le 10 octobre 1970 d’une personne inconnue qui se trouve en Allemagne et qui demande où il peut atteindre Krim Belkacem en toute urgence.
Krim rejoint alors l’hôtel Intercontinental de Francfort. Le lundi suivant (le 19 octobre, Ndlr), Bernard Golay relate qu’il a reçu un coup de téléphone de l’écrivain et journaliste Yves Courrière pour lui demander où est Krim Belkacem. «Je lui réponds qu’il est à Francfort et j’entends Yves s’écrier: Ah, les salauds!», ajoute Bernard Golay. Les salauds ont tué «le Lion du Djebel». Ils l’ont anesthésié et étranglé avec sa ceinture et une cravate. Trois semaines plus tard, les objets et documents volés ont été retrouvés dans un casier à la gare de Francfort. Insulte suprême à la Révolution algérienne, le signataires des Accords d’Evian a été enterré à Francfort avant que son corps ne soit rapatrié, plusieurs années plus tard, à El Alia. Voilà comment l’Algérie indépendante a récompensé ses héros. Quant à la vérité sur son assassinat, elle est l’affaire de tous les Algériens, comme l’a proclamé, il y a un an, sa fille Karima.