Ce fut le premier acte de piraterie internationale ayant concerné un avion civil de transport de voyageurs, détournés de sa destination. Il a été commis par la France coloniale.
Le 22 octobre 1956, un avion de la compagnie Air Atlas, qui transportait de Rabat à Tunis cinq dirigeants du FLN (Ben Bella, Khider, Lacheraf, Boudiaf et Aït Ahmed), est intercepté en plein vol par l’aviation française qui le contraint de se poser à Alger où les cinq historiques sont faits prisonniers. Cette œuvre machiavélique restera gravée a jamais dans les annales de l’histoire mondiale de l’aviation.
Le 22 octobre 1956, Ahmed Ben Bella et plusieurs chefs historiques du FLN ont longuement discuté avec le sultan du Maroc Mohammed V et son fils le prince Hassan, à Rabat. Le sujet portait essentiellement sur la conférence de Tunis qu’ils devaient rejoindre. Alors que les cinq chefs historiques du FLN s’apprêtaient à prendre place à bord du même avion que le sultan Mohammed V, les autorités marocaines leur imposent un changement de programme de dernière minute. Le roi prendra un avion spécial qui survolera l’Algérie, et les autorités marocaines mettront à la disposition des dirigeants du FLN, un DC3 de la compagnie Air Atlas, qui, transportait, aussi, un grand malade dont l’hospitalisation était prévue à Tunis même ainsi que deux journalistes françaises appelées à couvrir les travaux de l’éventuelle réunion maghrébine dans la capitale tunisienne entre Mohammed V et le président Bourguiba avec la participation de la Délégation extérieure du FLN.
Au départ, l’avion a pris du retard, sans raison apparente, mais après le décollage, l’avion atterrit d’abord aux Baléares, escale non prévue. Ce que certains ont attribué aux tractations qui eurent lieu en ce temps là, entre les membres de l’équipage et Alger. A 16 heures, la décision de passer à l’action fut prise, par Robert Lacoste, ministre-résident en Algérie, avec l’aval du président du conseil Guy Mollet. Pour éviter d’attirer la méfiance des passagers, l’hôtesse de l’air s’occupe d’eux…, ferme les rideaux et joue aux cartes avec les membres du FLN. Pendant ce temps, l’avion tourne en rond pour arriver à Alger à l’heure prévue pour Tunis.
A la nuit tombante, le DC3 foule le tarmac de l’aérodrome d’Alger. L’équipage français et l’hôtesse de l’air complice quittent l’appareil après avoir éteint les lumières intérieures.
Cela étant, de nos jours encore, la responsabilité de cet acte de piraterie divise encore les historiens. Entre ceux qui le mettent à l’actif des seules autorités coloniales, notamment aux services spéciaux français infiltrés au Maroc qui alertèrent Alger, qui a aussitôt pris la décision d’intercepter l’avion transportant les dirigeants du FLN.
Revenant pour sa part sur cet événement, l’historien et journaliste Hassanine Haykel accuse directement le Maroc d’être de mèche avec les autorités coloniales, auxquelles elles auraient remis les chefs historiques. Un avis que partage Ahmed Ben Bella dans son témoignage fondé sur le fait que l’équipage de l’avion d’Air Atlas était entièrement français, du commandant de bord Gaston Grellier à l’hôtesse de l’air Michèle Lambert. Mais l’équipage de l’avion, qui était exclusivement au service de l’Etat marocain, ne pouvait certainement pas résister aux injonctions des autorités françaises de dérouter le DC3.
Selon les témoignages d’Ahmed Ben Bella, « il était prévu que nous nous réunissions à Madrid et non au Maroc afin d’étudier les résolutions du Congrès de la Soummam. Aït Ahmed venait d’Amérique et nous allions, Khider et moi, partir à Madrid alors que nous étions également sur le point de tenir une rencontre officielle à Tunis réunissant les Marocains, les Tunisiens et les Algériens.
En route pour Madrid, j’ai entendu dire qu’Hassan II s’était également rendu à Madrid en laissant son groupe qu’on avait fait entrer au Maroc. Il était prévu que nous n’y allions pas. Il était prévu que moi je me rende à Tunis après, et que de là-bas je retourne à Tripoli afin que Bahi Legrane nous fasse entrer en Tunisie et que le roi Mohammed V vienne seul ».
S’agissant du changement de l’avion, il soutiendra qu’« il était prévu que nous prenions le même avion que le roi Mohammed V et que celui-ci ne survole pas l’Algérie, mais la mer sans rentrer dans l’espace aérien. Mais la veille du voyage, nous avons été informés que le roi serait accompagné de son épouse, ce qui signifiait que nous ne voyagerons pas à bord du même avion. Je ne vous cacherai pas que j’avais un pressentiment et mes pressentiments ne m’ont jamais trahi.
J’étais donc hésitant à tel point que le groupe me demanda : «Pourquoi as-tu des doutes sur cette affaire?» J’ai répondu : «Non, l’affaire ne me plaît pas. Comment vont-ils venir nous prendre ? Je ne suis pas rassuré.»
Le lendemain dans l’avion qui devait nous amener à Tunis, nous avons trouvé des passagers. Puis, ils nous ont dit qu’ils avaient fait erreur, car cet avion allait à Oran. Nous sommes donc descendus et ils nous ont emmenés vers un autre avion. Nous sommes montés à bord et il s’est passé ce qui s’est passé. L’avion survolait la mer et au milieu de l’océan, un autre avion lui ordonna d’atterrir ».
Selon le témoignage, l’affaire était planifiée. « Excuse-moi, mais l’affaire avait été planifiée, car l’avion était marocain et le pilote était français. L’équipage était entièrement français. Dans l’affaire du détournement de l’avion, je le dis sans hésitation, ils nous ont vendus. »
Après de longs et épuisants interrogatoires dans les locaux de la DST à Bouzaréah, les cinq dirigeants historiques arrêtés ont été emprisonnés en France, tour à tour, à la prison de la Santé, à l’île d’Aix, au château de Turquant et, à Aulnoy, où ils ont été maintenus jusqu’à l’indépendance du pays en 1962.
Mais cette arrestation des dirigeants était loin de signer la fin d’une révolution portée à bras-le-cœur par tout un peuple. Ce que diront les cinq historiques face à leurs bourreaux : « Ce n’est pas l’arrestation de quelques dirigeants ou responsables qui mettra fin à un mouvement d’envergure issu des profondeurs du peuple. »
Djamel Belbey